Nous avions tout faux. C’est ce que je tire comme conclusion des premiers jours d’audience de la Commission Bastarache.
Tout faux, lorsque nous pensions qu’il faudrait — qu’il suffirait — de déterminer si Jean Charest ou si Marc Bellemare disait vrai.
Or, à les entendre, j’ai acquis la conviction qu’ils cachent tous les deux la vérité. Pourquoi ? L’instinct. Et la pratique du journalisme et de la politique.
Versant Bellemare
Vous voyez, en journalisme, on cherche toujours la phrase-choc. Or il est rare que l’on trouve une citation parfaite. Des mots qui tuent ou plutôt qui, lorsque prononcés en privé par un personnage important, l’incriminent absolument.
C’est pourquoi j’ai d’abord tiqué, mardi, lorsque M. Bellemare a affirmé avoir entendu de la part de Jean Charest les mots:
«Franco Fava est un ami personnel, c’est un collecteur influent du parti, on a besoin de ces gars-là, il faut les écouter, c’est un professionnel du financement. S’il te dit de nommer Bisson et Simard, nomme-les.»
En admettant que les faits soient vrais, la conversation sonne faux. Voici un premier ministre expérimenté devant gérer un ministre inexpérimenté et qu’on soupçonne déjà un peu incontrôlable. Admettons qu’il ait voulu le convaincre de procéder aux nominations voulues par Fava. Après tout, on connaît le résultat: les nominations ont été faites.
À moins d’être un idiot — ce qu’il n’est pas — Charest aurait dit:
«Écoute Marc, c’est toi qui décide, c’est toi le ministre. Maintenant, Bisson et Simard sont compétents, c’est entendu. C’est peut-être vrai que c’est leur tour, après tout. Ce ne sont pas les péquistes qui les auraient nommés, depuis neuf ans, malgré leur compétence, non ? Tes candidats aussi sont compétents, c’est sûr. Mais il y aura d’autres nominations, plus tard. Alors, moi, je me fie à ton jugement. Je pense que tu peux voir toutes les facettes du problème. Réfléchis encore.»
Voilà une citation crédible. Un message qui passe, mais avec des gants blancs.
Mercredi, Marc Bellemare a enfoncé le clou avec une seconde citation, qu’un Jean Charest imprudent comme un puceau aurait émise le jour de la démission de celui qui, c’était maintenant certain, était incontrôlable:
«Tu sais que tu as un serment ministériel. Fava, Rondeau, les juges, l’argent… cela n’existe pas. Tu n’as pas le droit de parler de ça.»
L’ex-ministre veut nous faire croire que le Premier ministre a pris la peine, en le quittant, de lui faire la liste de tout ce qui pouvait lui nuire. C’est politiquement incroyable. Une version crédible est que Charest ne lui ait rien dit et lui fasse savoir par un non-élu — le secrétaire général du gouvernement — l’importance du serment ministériel. Puis, au maximum, lui fasse savoir par un conseiller l’importance de garder le linge sale, pour peu qu’il y en ait, dans la famille libérale.
Versant Charest
Lorsque vous êtes empêtré dans une situation embarrassante et que le respect de la vérité n’est pas votre vertu cardinale, la meilleure défense est de nier en bloc. D’affirmer n’avoir jamais été dans l’endroit en question et n’avoir jamais été empêtré.
Ce mensonge est plus gros mais surtout plus lisse, donne moins prise aux questions, qu’une vérité complexe.
La défense de Jean Charest tient en ces mots:
«M. Bellemare n’a pas soulevé avec moi la question d’influences indues dans la nomination des juges. J’ai encore moins dit à M. Bellemare d’accepter une nomination parce qu’il était sous pression de qui que ce soit»
Je l’ai dit, je crois que Bellemare embellit le dialogue avec le PM. Mais je serais surpris qu’il invente du tout au tout. Il est plus probable qu’il ait en effet discuté de la question avec Charest (surtout qu’il avait son propre candidat en remplacement du juge Simard). Qu’a répondu Charest ? On ne le sait pas. Mais on connaît, je l’ai dit, le résultat: les nominations ont eu lieu.
Je pose l’hypothèse que la discussion a eu lieu, mais que les propos qu’a effectivement tenus le Premier ministre étaient, disons, ambigus. Suffisamment pour que M. Charest les estime difficile à défendre. Mieux valait choisir la négation totale de l’existence de la conversation. Ainsi, il n’y a rien à expliquer.
Cela ne veut pas dire qu’il soit crédible et cru (je ne suis pas des 13% de Québécois qui le croient). Mais cela est plus facile à gérer avec la presse, et devant la commission. Puisque, dans cette version, l’événement n’a pas eu lieu, il y a peu à dire.
Cela dit, cher commissaire Bastarache, je vous souhaite une excellente journée.
Pas content. Pas crédible. (Photo PC)