Bouchard, Khadir et la Cour du Roi Pétaud

J’ai une remarque amicale à adresser à Claude Pinard, le député péquiste qui a présidé la Commission parlementaire à laquelle participaient ce mardi Lucien Bouchard et Amir Khadir (et, selon des témoins, d’autres personnes).

Bouchard et Khadir sont des grands garçons. Ils savaient exactement ce qu’ils feraient en entrant dans la pièce et étaient parfaitement préparés l’un pour l’autre. Ils n’avaient pas besoin de protection.

Les intéressés peuvent aller voir l’intégrale de l’échange, puis revenir pour mon commentaire. Il faut commencer à 24’35″ puis ça se termine, à rebours, à 17’18″

bouchardKhadir avait droit à trois minutes 45 secondes. Posément, il a reproché à l’ex-Premier ministre d’avoir tourné le dos aux intérêts de la nation en se mettant au service d’une organisation représentant essentiellement des compagnies étrangères.

Lucien Bouchard était parfaitement préparé pour cet assaut. D’abord, il a choisi d’interrompre l’importun député en le déclarant « à côté de ses pompes », en refusant ses remontrances et en se demandant si on était « à la Cour du Roi Pataud ». Il voulait dire Pétaud, d’où vient le terme trop rarement utilisé pétaudière, qui ne signifie pas ce qu’on lui fait dire dans les cours de récréation d’écoles secondaires, mais un endroit sans discipline où tout le monde pense commander.

Après cette interruption, et celle de Claude Pinard qui s’est pour ainsi dire excusé au nom de la Commission pour autant d’outrecuidance de la part du député de Mercier, et après avoir fermement insisté pour avoir droit à ses 3 minutes 45 secondes, Khadir a aussi voulu savoir quel rôle Lucien Bouchard avait joué lorsque, Premier ministre, l’État québécois s’est départi de son investissement gazier au profit du secteur privé.

Encore une fois, Lucien Bouchard était parfaitement préparé à cette question et y a répondu très brièvement, avant de défendre son honneur et les compagnies qu’il représente.

Claude Pinard a coupé court, pressé qu’il était de passer à autre chose.

Ce que j’en pense

D’abord sur les droits de chacun. Lucien Bouchard, ancien premier ministre, a le droit de décider de représenter qui il veut, y compris Khadafi si ça lui chante. Homme parfaitement au fait des sensibilités politiques, il comprend que, ce faisant, il s’expose à la critique.

Amir Khadir, député de Mercier, a parfaitement le droit de poser des questions difficiles à tout témoin qui se présente devant lui en Commission parlementaire. On préfère qu’il soit courtois – comme il l’a été, dans la forme. Mais ce n’est même pas exigé.

Si on ne donne pas, dans l’enceinte de notre assemblée nationale et dans le cadre des règles applicables, la plus grande liberté d’expression aux élus du peuple, si on ne leur donne pas la capacité d’interroger les témoins, a fortiori des lobbyistes, a fortiori des gens qui ont, comme M. Bouchard, l’habitude de la controverse, des débats et des échanges corsés, à qui le donnera-t-on?

Je terminerai en disant, comme l’affirmerait sans doute Denise Bombardier, que cet épisode où deux adultes consentants ont été empêchés d’avoir un échange viril est le symptôme d’une société qui a peur des débats. Et s’il y a un endroit où il faut donner l’exemple et permettre le débat, c’est à l’Assemblée.

C’est à la Cour du Roi Pétaud que les témoins décident qui a le droit de poser quelle question, à qui et en quels termes. A l’hôtel de la démocratie, les élus protègent le droit des élus de poser des questions, puis le droit des témoins d’y répondre, avec la dose d’indignation et d’information qu’ils choisiront d’y mettre.

Finalement, Claude, je sais que M. Bouchard est impressionnant lorsqu’il se choque – et encore plus lorsqu’il feint de se fâcher.  Mais pour l’avoir fréquenté de près, je sais qu’il est toujours en pleine possession de ses moyens, et qu’il se défend mieux tout seul que quand on tente de s’interposer.