Budget : Charest et le pot au lait

BM_milk_largeD’abord, il l’a cassé. Le pot. Oui. Depuis sept ans, il a accordé au total 5,4 milliards de dollars de baisses d’impôts diverses. Mais, horreur !, que voit-il ? Un déficit croissant ? Une dette qui monte ? Surprise ! Que faire ?

Recoller les morceaux du pot, en allant chercher, au total, 4,4 milliards de dollars dans les poches des contribuables. (Je note au passage qu’il s’était fait élire il y a sept ans en parlant déjà de la « pauvreté » du Québec et de son endettement, problèmes que ses baisses d’impôts allaient résoudre. Soupirs.)

Le ministre Raymond Bachand ne s’en cache pas. Le perspicace Gérard Fillion, de RDI, lui a demandé ce qu’il dirait au couple gagnant au total 20 000 $ par an et qui devra payer  200 $ par an chacun pour la santé sous peu. « Je leur répondrai qu’ils ont économisé 2 000 $ ces dernières années ». Donc il est temps de leur reprendre, par cette mesure et bien d’autres, ce qu’on avait (ren)versé de manière bien désinvolte auparavant.

Ce budget est donc, non le travail d’ingénieurs construisant un nouveau pont vers l’avenir, mais le travail de réfection de ceux qui furent responsables des malfaçons.

Comment remettre le lait dans le tube (de yogourt)

Comme le disait Shakespeare, il ne sert à rien de pleurer sur le lait répandu. Je l’ai beaucoup écrit sur ce blogue : un coup de barre était essentiel. Et, oui, il faut savoir comment payer pour le panier de services auquel nous tenons — le plus généreux sur le continent. Reste à voir la manière.

D’abord je note que le gouvernement a complètement raté l’occasion d’utiliser les perceptions nouvelles pour introduire une fiscalité verte. Pour un gouvernement qui se prétend intéressé à ces questions, le ratage est total, l’occasion, manquée.

Ensuite, vous me savez favorable à la hausse de la TVQ, compensée pour les plus bas revenus. J’applaudis donc l’introduction du crédit d’impôt de solidarité qui rembourse cette hausse pour les bas revenus. Mais je note, avec les experts d’Ernst & Young, que ce crédit est trop faible pour protéger les ménages gagnant un maigre 20 000 $ de la totalité de la voracité tarifaire du gouvernement.

La taxe santé de 200 $ par personne, payée à niveau égal par le ménage pauvre et par le président de la Banque de Montréal et madame, est la mesure la plus répréhensible de tout le budget. Régressive, appauvrissante. Elle contredit le principe même de l’impôt progressif et d’un régime d’assurance-maladie universel. La baisse d’impôt avait été progressive, le rétablissement de cette partie du fardeau est régressif et, pour tout dire, mesquin.

Appauvrissement absolu pour les uns, mais, au moins, les bonis privés sont saufs !

Il y a donc, dans plusieurs de ces mesures, promesse d’un appauvrissement absolu d’un certain nombre de Québécois. Je note aussi que des gestes compensatoires, en haut de l’échelle, ont été écartés, si tant est qu’ils aient été envisagés. L’ajout, comme au Royaume-Uni, d’une tranche d’imposition pour ceux qui touchent plus d’un quart de million par an ou encore, comme au Royaume-Uni et en France, une taxe spéciale rétroactive au début de la crise pour les bonus et primes. Les sommes totales prélevées auraient été symboliques — sauf pour les intéressés –, mais ces mesures auraient donné le signal que tous participent à l’effort, y compris ceux qui se sont enrichis pendant la crise. Avec ce budget, qu’on ne s’étonne pas que la classe moyenne se sente seule visée et en éprouve de la rancœur. D’autant qu’elle estime que l’évasion fiscale, en haut de l’échelle, est largement responsable de nos problèmes fiscaux.

Un mot sur le gel du salaire du premier ministre. C’est une bévue de communication, alors que M. Charest le trouve si peu élevé qu’il doive se faire donner une ralonge de 75 000 $ par son parti. Cette rallonge est-elle aussi gelée ? Mais oui, il faudrait savoir…

L’électricité: silence, on ne réfléchit pas

Vous me savez intéressé à un bouleversement des prix de l’électricité et des autres sources d’énergie, mais à coût nul pour le contribuable. La meilleure façon de prendre le virage vert : signal réel de prix, choix du consommateur de modifier son comportement pour augmenter son revenu disponible. Je suis aussi favorable à une augmentation graduée des tarifs, le coût montant avec la consommation.

Le gouvernement propose à la place la méthode la moins inventive qui soit… une augmentation générale, pour tous et sans compensation, du tarif d’électricité — une fois réglées les questions de péréquation avec Ottawa. (Bonne chance…)

Les entreprises sont toujours traitées avec des gants blancs. Et si le gouvernement vous dit qu’il va chercher 800 millions dans leurs goussets en deux ans (mines et institutions financières) voyez la ligne du budget qui dit que, simultanément, le fardeau fiscal des entreprises sera allégé de 1 050 milliards. Je ne suis pas tenant de l’alourdissement de la fiscalité d’entreprise — qui en définitive est refilé aux consommateurs et, surtout, en salaires réduits pour les employés.

Je suis cependant partisan de la tarification aux entreprises du coût réel des services qu’on leur rend ou des ressources qu’ils utilisent. Et je sens chez le gouvernement Charest une ferveur tarifaire différenciée : forte pour les citoyens, faible pour les entreprises.

Encore que. Le budget Bachand n’a pas le cran voulu pour annoncer l’indexation des tarifications — au niveau optimal, à mon avis, de l’accroissement du revenu médian des ménages.

Veaux, vaches, cochons, compressions

On nous annonce que l’effort du citoyen sera compensé, et bien au-delà, par une réduction considérable des dépenses de l’État — sans toucher le panier de services. Ayant vécu l’opération déficit zéro aux côtés de Lucien Bouchard et ayant constaté l’échec absolu de la tentative de réingénirie de l’État de M. Charest qui a duré 6 ans (l’acte de décès est la fermeture de l’Agence des PPP, l’an dernier), je suis en mesure de vous dire qu’on nous prend pour des valises. Les hausses de taxes sont une certitude. La réduction de la croissance des dépenses à 2,9 % par an, puis 2,2 % — soit une réduction de moitié — est une fabulation.

Les quatre économistes embauchés par le ministre Bachand pour le conseiller avaient bien identifié deux zones où une économie substantielle pouvait être trouvée : la gestion à la fois centrale et régionalisée de la Santé et de l’Éducation. Il faut choisir, ont-ils écrit, l’un ou l’autre (comme les Suédois, pourrais-je ajouter).

À la place, le gouvernement agit de manière paramétrique, annonçant son intention de réduire les dépenses partout à la fois, au même rythme. Une recette qui ne peut déboucher que sur deux résultats : l’échec ou la réduction de la qualité et de la quantité des services.

Ici encore, le gouvernement a mis le minimum de neurones en action pour affronter ce problème. Il se retrouvera avec un minimum de résultats.