Ces parias qui ne paient pas d’impôt

45 %

C’est la proportion d’Américains qui ne paient pas d’impôts, selon un récent rapport du Tax Policy Center de Washington. Pourquoi cette statistique est-elle intéressante ? Parce qu’un des arguments les plus souvent entendus pour souligner le dysfonctionnement du Québec est le fait que 42% des Québécois ne paient pas d’impôt québécois. Cette statistique est utilisée comme si elle singularisait le Québec en Amérique du nord, en faisant un lieu où pullulent les assistés et ceux qui ne contribuent pas à la société.

De plus, c’est le genre d’argument qui sou-tend l’imposition à tous les Québécois, riches et pauvres, de la même taxe régressive de $200 pour la santé, et à la future franchise santé de 25$ par visite médicale.

Qui sont les non-payeurs ?

Aux États-Unis, de qui s’agit-il ?

La moitié d’entre eux ont trop peu de revenus, l’autre moitié — principalement des ménages de revenus faibles ou moyens — ont recours aux crédits d’impôts pour enfants ou frais de garde, pour le paiement des frais de scolarités ou d’épargne-retraite.

En détail, le Tax Policy Center explique que 55% des retraités et des familles ne paient pas d’impôt, ce qui fait déjà beaucoup de monde.

Au Québec, mon collègue l’économiste Pierre Fortin avait consacré une chronique, dans L’actualité en 2007, pour souligner notamment que la proportion de 42% de non-payeurs québécois était identique à la moyenne canadienne (en 2004), et légèrement inférieure à ce que l’on retrouve dans l’Ouest canadien (43%).

Ils ne paient… rien ?

C’est l’impression qui nous reste, lorsqu’on entend dénoncer ces 42% de non payeurs. Ils ne contribueraient pas.

C’est faux aux USA, dit le Tax Center :

Chaque citoyen qui ne paie pas d’impôt paie toutes sortes de taxes. Ils paient des prestations de sécurité sociale et d’assurance-maladie vieillesse lorsqu’ils travaillent, les taxes de vente et de propriété, les taxes sur l’essence, le tabac et l’alcool. Selon nos recherches, 75% des citoyens contribuent d’une façon ou d’une autre au trésor fédéral.

C’est faux au Québec, écrit Pierre Fortin:

Ils paient la taxe de vente du Québec (TVQ) sur leurs biens de consommation, les taxes sur l’essence et les cigarettes, les droits d’immatriculation des véhicules, et ainsi de suite. Ils ajoutent aussi au revenu des entreprises d’État par leurs achats auprès d’Hydro-Québec, de Loto-Québec, de la Société des alcools, etc. Enfin, ceux qui ont un emploi cotisent au Régime des rentes du Québec. On peut ainsi estimer qu’en 2004 les personnes qui n’ont pas payé d’impôt ont en fait versé trois milliards de dollars en taxes, achats et cotisations à l’État. En gros, un dollar sur chaque tranche de huit dollars récoltés par le Trésor québécois provient de leurs goussets.

Donc, trop d’impôt pour les autres ?

Vous aurez peut-être remarqué que si plus de 40% des Américains et Québécois ne paient pas d’impôts, mais que seulement entre 6 et 9% d’entre eux sont au chômage, c’est qu’il y a énormément de gens qui ont des emplois très peu payés — en plus des retraités pauvres qui ne sont plus dans la population active.

Non, le vrai scandale ne réside pas dans le fait qu’une proportion significative de la population ne paie pas d’impôts. Il réside dans le fait que l’évolution du marché de l’emploi, et des inégalités de revenus, fait en sorte que l’écart se creuse sans cesse entre l’emploi de base, peu rémunéré, et les salaires de plus en plus importants des hauts salariés, pour ne rien dire des cadres supérieurs d’entreprise.

Le Québec, comme plusieurs pays européens, résiste plus que le reste de l’Amérique du Nord à ce phénomène — surtout aux USA où ces inégalités de revenus sont aujourd’hui revenus à ses niveaux des années folles, avant la crise de 1930.

Plusieurs mécanismes sont à l’œuvre dans ces écarts grandissants, entre gens qui travaillent. Mais un mécanisme a été prévu, justement pour corriger ces écarts: l’impôt sur le revenu.

Plus les écarts entre salariés sont grands, plus la redistribution devrait être forte et plus, donc, devrait être importante la proportion de citoyens qui ne paient pas d’impôts.

C’est ce principe élémentaire qui semble en voie de disparition, par les temps — et les budgets — qui courent.

(Voir aussi ici, le  blogue de Darwin sur le même sujet. )

Merci à l’alertinternaute Simon pour ce signalement.

Note en petits caractères :

Les billets « Temps durs pour les détracteurs du modèle québécois » ne prétendent pas que tout est parfait au Québec, tant s’en faut. L’auteur a d’ailleurs proposé, dans ses ouvrages et sur ce blogue, des réformes nombreuses et importantes visant à surmonter plusieurs des importants défis auxquels le Québec est confronté. Cependant, la série permet de percer quelques trous dans le discours ambiant qui tend à noircir la situation globale du Québec qui, pourtant, affiche d’assez bons résultats comparativement aux autres sociétés semblables.
Ce contenu a été publié dans Le chiffre, Temps dur pour les détracteurs du modèle québécois par Jean-François Lisée. Mettez-le en favori avec son permalien.

À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !