Cet inconnu qui nous gouverne

images3-150x150Que faut-il savoir de Stephen Harper, le premier ministre canadien qui, fort probablement, sera réélu ce printemps?

Il faut savoir ce qu’en racontent Paul Wells et John Geddes, dans le Maclean’s courant et en ligne ici:

1. La politique de l’érosion

Il a été Premier ministre pendant cinq ans, plus longtemps que Lester Pearson. […] Par la force de sa ténacité. Pendant qu’il survit, il rabote la façon dont le pays et gouverné. Il évite les grands virages qui pourraient le rendre vulnérable. C’est pourquoi il tient à survivre. Il a besoin de temps. Sa méthode n’est pas la révolution, pas même l’évolution. C’est l’érosion.

Il reste fixement concentré, non sur la façon dont le Canada fonctionne, ses lois et ses dépenses, ou du moins pas principalement. Il est concentré sur ce que les Canadiens pensent.

« Sommes-nous un pays de centre droit? », demande un de ses plus proches conseillers. « Non ». L’objectif de Harper est de changer cela.

Comment ?

Au niveau idéologique, en mettant constamment de l’avant des thèmes qui forment le cœur du conservatisme moderne, la loi et l’ordre (l’armée, la GRC, la défense du grand Nord), les droits des victimes, les choix individuels des familles, la réduction de l’immigration, la réduction de la présence fédérale dans les affaires provinciales, la réduction du fardeau fiscal, donc de la capacité gouvernementale d’agir.

Au niveau pratique, en introduisant des changements quasi-irréversibles: réduction de la TPS, envoi de chèques aux mères, nomination de juges de droite — parfois théo-conservateurs — , élimination de subventions aux ONGs, réorientation d’organismes comme Droits et Démocratie, soutien à l’émergence de médias comme Sun TV (le futur Fox News du nord, de Quebecor), en ondes à temps pour l’élection.

Le poids relatif des sujets et des portefeuilles a aussi son importance. Naguère, les porteurs des dossiers de la santé, de l’environnement, des relations fédérales-provinciales avaient coffre et relief. Aujourd’hui, ils sont des joueurs mineurs. En Affaires internationales, fini le discours « humanitaire ». Fini la nation médiatrice. Le Canada choisit son camp — les USA, Israël — et ne bronche pas. Avec un gros investissement en Inde et en Ukraine, pays d’origine d’un très grand nombre d’électeurs à Toronto et dans l’Ouest.

2. Pourquoi sa base de droite le soutient

Stephen Harper ne va pas aussi loin que son aile de droite voudrait qu’il aille. Normal, il n’est pas majoritaire. Pourtant il réussit, bien mieux que son prédécesseur conservateur Brian Mulroney, à garder sa base, et son caucus des députés, unis derrière lui. Paul Wells donne cette explication et cite une source conservatrice:

« Stephen Harper a une vision beaucoup plus élastique de ce qu’il peut changer que ce que le pensaient ses prédécesseurs conservateurs. Le Parti le comprend implicitement. C’est pourquoi l’aile droite du parti continue de le soutenir, malgré des décisions ponctuelles qui leur déplaisent. Ils comprennent que Harper est plus proche de Thatcher que de Mulroney. »

3. Glaive et talon d’Achille: la coalition

Paul Wells explique avec de nouveaux détails combien la coalition formée en décembre 2008 par Stéphane Dion, Jack Layton et Gilles Duceppe a été un moment-clé dans la maturation politique de Stephen Harper. (Son premier réflexe a été de leur laisser le pouvoir, pensant qu’il sauverait le Canada de cette catastrophe, six mois plus tard. Un conseiller lui fit remarquer qu’il risquait ainsi de perdre son poste de chef conservateur. Harper changea d’avis.)

Mais le souvenir de ce quasi-décès politique pousse Harper à présenter l’élection à venir comme un combat entre, d’une part, un gouvernement conservateur majoritaire et, d’autre part, une nouvelle coalition libéro-néo-démocrate-séparatiste. Un thème mobilisateur, sans doute, dans la campagne, même si les Libéraux jurent qu’il n’en est pas question.

Cependant, suggère Paul Wells, que se passera-t-il si l’élection produit un nouveau gouvernement conservateur minoritaire ? Harper n’aura-t-il pas fait le lit de la coalition qui pourra le renverser dans l’heure ?

Une maudite bonne question, Paul. Une maudite bonne question.

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À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !