Chère Montréal

Je prends la plume aujourd’hui pour vous dire, chère métropole, combien je vous apprécie. J’entends et lis des choses désagréables à votre sujet. Certains affirment ne plus pouvoir supporter vos chantiers et vos nids-de-poule et déguerpissent à la campagne pour humer la bonne odeur du fumier. Bien amicalement : bon débarras ! À nous les joies de la ville.

J’ai toujours eu le béguin pour vous, je m’en confesse. Ayant grandi à Thetford Mines, je ne manquais aucune virée montréalaise organisée par les étudiants. Chaque année, ils allaient reluquer les bagnoles au Salon de l’auto, puis applaudir les Canadiens, qui, à cette lointaine époque, le méritaient. Je leur faussais compagnie pour visiter un de vos musées, participer à une manif, et passer la soirée au TNM ou chez Duceppe. Je me dépêchai de devenir étudiant à l’UQAM, en 1976, et devint Montréalais pour l’essentiel de mon existence.

Je puis donc témoigner que vous vieillissez bien. Je viens du temps où vous ressembliez à une ville européenne au lendemain de la Seconde Guerre tant les stationnements et les terrains vagues en plein centre-ville donnaient l’impression que vous vous releviez d’une série de bombardements. J’ai pu constater combien, de décennie en décennie, vous avez colmaté ces brèches, étendu votre tissu urbain, pris votre place.

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Je vous ai observée depuis les quartiers où j’ai vécu : une résidence étudiante du centre-ville, d’abord ; un entresol de Villeray ; un rez-de-chaussée de Côte-des-Neiges ; Outremont-pas-cher, puis Outremont-ma-chère ; et, depuis quelques années, Ahuntsic. J’ai travaillé aux quatre coins du centre-ville, puis un temps avec vue sur l’Oratoire, ensuite au coeur de Rosemont, dont je fus député, et je fus même, le temps de deux grossesses, votre ministre attitré. J’ai beaucoup marché dans vos rues, pancarte à la main, notamment tous les 8 mars, 1er mai et 24 juin venus. J’ai aussi beaucoup roulé dans vos tours de ville, de jour comme de nuit. Pour les marathons, c’est non.

Alors je viens d’un temps où de rares pistes cyclables étaient parfois dessinées sur des trottoirs, avant que la ville ne devienne superbement équipée pour les deux-roues. Je viens d’un temps où les coins des rues n’avaient pas idée qu’on pouvait les pilonner pour y mettre de la verdure. Je viens d’un temps où on admirait en ville une ou deux fresques murales, avant qu’elles n’essaiment et n’embellissent chaque quartier. La cicatrice autoroutière Ville-Marie était béante dans mes années de jeunesse ; elle se referme graduellement.

La place du Stade olympique était à l’abandon ; elle est devenue un pôle d’attraction majeur. Les Shop Angus, à Rosemont, rouillaient sur pied avant de faire place à un quartier modèle. Le Vieux-Port, jadis glauque, s’emmieute chaque année. Je viens du temps de la carrière Miron, maintenant transformée en parc, non loin d’une avenue Papineau qui, au nord de la Métropolitaine, est habillée d’une surprenante foison de verdure.

Partout, dès le printemps, les terrasses prennent désormais d’assaut les places de stationnement. Partout, du mobilier urbain (parfois construit à partir des frênes malades qu’on a dû abattre) transforme les trottoirs en lieu où l’on peut vivre.

C’est vrai, j’ai moi-même douté de vous. Aux temps de la corruption endémique, avant Charbonneau et votre BIG, on se demandait si on s’en sortirait jamais et, oui, je fus de ceux qui pensaient ne pas voir de mon vivant la construction du CHUM, le remodelage de l’échangeur Turcot, la fin des travaux du rond-point Dorval, le remplacement du vieux Pont Champlain. Pourtant, ils sont tous terminés et ont ma foi un peu de gueule. En prime, l’éclairage de notre vieux Jacques Cartier est superbe.

Je ne vous dis pas les parcs et leurs installations invitantes pour les enfants. J’ai eu le malheur de passer un an à Paris avec des enfants en bas âge, et je puis vous dire combien nous ont manqué les espaces de glisse, les patinoires extérieures, les balançoires et les jeux d’eau qu’on trouve maintenant partout chez vous. Sans compter les cours d’école, désormais réinventées et ouvertes même quand les cloches ont fini de sonner. Et, toujours, le mont Royal, joyau de votre couronne.

Je ne comprends pas, chère métropole, l’aveuglement de ceux qui n’ont d’yeux que pour telle ruelle délabrée, tel graffiti, tel amas de saletés accumulé en fin d’hiver. Ne voient-ils pas le nombre croissant de ruelles vertes ? La multiplication des espaces de jardins communautaires ? Les taxis qui nous disent désormais « Bonjour ! » ?

Je passe en coup de vent sur la bouffe, les camions-restaurants, les festivals, les fêtes de quartier, la vie nocturne : je craindrais de vous ennuyer avec ce que vous savez déjà. Mais on me dit que les dames étrangères bien chaussées affirment que c’est chez vous qu’on trouve le plus grand choix à moindre prix. Je les crois sur parole.

Puisqu’on parle de bon goût, puis-je attester que l’augmentation du nombre de vos résidents de toutes origines a une incidence massive sur une richesse inquantifiable, mais parfaitement vérifiable : la beauté. J’assume mon point de vue masculin en rappelant d’abord que, de tout temps, on a vanté la beauté des Québécoises. S’y sont ajoutées ce dernier demi-siècle des couleurs d’Afrique, du Moyen-Orient, d’Amérique latine et d’Asie vous habitant désormais comme autant de membres d’une vaste conspiration de la beauté. Concurremment, comme le disaient Stéphane Venne et Renée Claude, « les couleurs se mêlent sur la peau », « et ça donne les plus beaux enfants ».

Laissez, très chère Montréal, les exécrables vous exécrer, les déserteurs vous déserter, les grognons aller grogner ailleurs. Nous, vos fans de tous les jours, savons vos atouts et vos atours. Nous resterons aux premières loges pour prendre demain (ou après-demain) les REM de l’Est et de l’Ouest, le SRB Pie-IX, la longue ligne bleue, le tramway rose vers le sud-ouest. Nous irons gambader dans votre nouveau Grand parc de l’Ouest, puis dans celui de l’Est. Nous marcherons sur la nouvelle Sainte-Catherine. Cela prend du temps ? Oui. Mais on sait désormais d’expérience qu’on n’y arrivera.

Le fait est que l’avenir vous appartient. Comme vos chantiers, votre mue ne s’arrêtera jamais ; votre originalité est une ressource renouvelable. On se plaît à rêver d’un plan de 15 ans pour recouvrir graduellement l’autoroute Décarie et y installer un long parc linéaire. À une solution pour mettre la Métropolitaine dans une bulle et y faire vivre, en dessous, bureaux et équipements ludiques et sportifs, comme on le fait sous le métro aérien parisien. Ou encore, dessus, une interminable ferme Lufa traversée en hiver par la plus longue piste de ski de fond au monde !

Vous voyez, chère Montréal, vous nous faites rêver. C’est parce que vous avez toujours su inventer votre propre avenir. Nous sommes à la fois vos artisans et vos passagers. Et nous adorons le voyage.

5 avis sur « Chère Montréal »

  1. De la fierté, de la fierté et finalement, de la fierté, comme une sirop pour retrouver la santé mentale !
    Répétez aprés moi : « Nous sommes bons, nous sommes intelligents, nous sommes généreux, nous possédons une culture riche, nous méritons le plus grand respect, nous sommes un peuple à l’avenir radieux… Si nous y croyons et en prenons soin » !!!

  2. Abonné à Tweeter depuis longtemps, je ne m’y étais jamais vraiment intéressé. Depuis une petite quinzaine, j’ai commencé à lire quelques commentaires… et j’allais me désabonner en raison de toutes les invectives et stupidités qu’on y trouve lorsqu’un courriel ce matin, d’un lien à un autre, m’a envoyé sur cette page…
    Monsieur Lisée, je vous admire depuis longtemps et je déplore ce qui vous est arrivé durant un certain débat… J’aurais tant aimé vous voir à la tête du Québec…
    Alors voilà, j’aime tellement votre « papier » aujjourd’hui sur Montréal, que je ne vais pas me désabonner afin de pouvoir continuer à vous lire, un peu comme au temps où, sur Internet, on pouvait écouter les commentaires, tellement justes, de Claude Charron … 🙂

    JPD

  3. Très jolie déclaration d’amour pour Montréal ! Elle doit être fière.
    Ayant vécu ( il y a un siècle) quelques années ds cette belle ville (elle a des défauts, oui, mais encore plus de qualités) , j’endosse totalement le propos de JFL.
    Habitant la ville de Québec (aussi, un charme particulier mais différent), ai toujours eu un peu la nostalgie des années de moyenne jeunesse à Montréal..

  4. Quel hommage bien tourné qui touche le montréalais de souche que je suis.
    Je suis né au coin de Berri – avant qu’on y creuse un tunnel – et Sherbrooke. Ce changement de configuration a démoli notre logement et on a migré vers Ahuntsic où j’ai grandi .À l’exception d’une dizaine d’années à la Baie James où j’ai passé mes jeunes années à construire un barrage, j’ai toujours vécu à Montréal. De la rue Cherrier quand j’étudiais à l’UQAM à Côte-des-Neiges, en passant par Hochlag, Outremont, NDG, Rosemont pour enfin revenir dans le quartier de mon adolescence, Ahuntsic chérie…
    Moi aussi j’adore cette ville incomparable et malgré tous ses défauts- qui n’en n’a pas – je suis profondément attaché à cette conurbation urbaine au sein de laquelle j’entends tout doucement finir mes jours.

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