Chères Louise et Lisette, cher Pierre

Chères Louise et Lisette, cher Pierre,

Je les ai aimés vos textes, ceux que vous avez lus lundi matin, pour annoncer votre départ du caucus. Il y a du vrai, énormément de vrai, dans ce que vous dites.

C’est ce que tu as dis, très chère Louise, que j’ai trouvé le plus important:

La cause plus profonde de ma démission concerne justement une certaine façon de faire de la politique à laquelle, je le reconnais, j’ai longtemps adhéré.

Mais c’est à mon retour en 2008, peut-être parce qu’une pause de cinq ans m’a permis de voir les choses autrement, que j’ai commencé à m’interroger sur la partisanerie qui souvent rend aveugle, qui nous force à toujours être dans la certitude, jamais dans le doute, sur le ton guerrier que l’on se croit obligés d’employer, sur la manière de se comporter avec des adversaires que l’on a tendance à considérer comme des ennemis, sur l’unanimisme imposé et sur la rigidité implacable de la ligne de parti: des maux dont la politique, je crois, est en train de mourir, ici et ailleurs

Voilà un noble combat. Faire de la politique autrement. Se libérer de la ligne de parti. Voter selon sa conscience. Tendre la main aux élus qui n’ont pas la même étiquette que soi pour trouver, ensemble, des solutions aux vrais problèmes.

Pierre a illustré le hiatus entre la politique traditionnelle et l’expression de mouvements citoyens, dans une réponse qui sentait le vécu:

Le temps est venu d’essayer de modifier ces institutions-là pour leur redonner leur crédibilité, leur redonner un véritable sens.

On ne peut plus se présenter, quand on est membre d’un parti politique, pour défendre aucune cause citoyenne. Même, dans certains cas – la langue – on est targué d’être… on ne peut pas prendre la parole parce qu’on est identifié à un parti. Ça n’a plus de sens!

On ne peut pas être dans cette relation-là comme des personnes élues, on doit être une… dans une relation qui est… d’une façon crédible, qu’on représente d’une façon crédible la volonté populaire et qu’on lui donne les moyens de s’exprimer puis qu’elle retrouve un peu de son sens.

Vous en avez donc contre la politique telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui. Cette pratique n’est pas nouvelle, vous l’admettez. Mais elle n’est plus adaptée. Elle nourrit le cynisme et éloigne les élus des électeurs, les représentants des citoyens.

Vous Lisette, qui avez été ma collègue conseillère pendant plus d’un an et — contrairement aux rumeurs folles — également ma complice dans plusieurs dossiers, avez exprimé combien le projet de loi sur le nouveau Colisée incarnait cette politique dont vous ne voulez plus:

Comme plusieurs collègues, j’ai d’abord été incrédule puis véritablement sonnée d’apprendre que la décision était sans appel et qu’on ne permettrait aucune note discordante. Même sur une question de principe, c’est la loi du «crois ou sors». Pathétique. Oui, j’ai dit pathétique.

Comment, en étant ainsi muselés et même forcés de faire la promotion d’une décision avec laquelle nous avons un problème de conscience, comment, comme députés, pouvons-nous espérer restaurer la confiance de la population envers ses élus et redorer le blason de la fonction de député?

D’autres mettront en cause les raisons exprimés pour votre démission. Et s’il est vrai qu’aucun effet ne trouve sa source dans une cause unique, vous me trouverez à vos côtés pour défendre la valeur des arguments que j’ai repris ici.

Je pourrais vous dire que vous prônez un désarmement unilatéral. Que l’adversaire, lui, avance en rang serré, sans se poser de question. Ce serait passer à côté du sujet.

Je pourrais vous dire qu’en démissionnant avec fracas, vous aidez ceux qui, en face, n’ont de cesse que de renforcer la politique traditionnelle que vous rejetez et qu’ainsi, vous lui laissez le champ libre. Mais je sens que vous avez mesuré cette possibilité et que votre cri de liberté se veut un refus global, un geste de rupture avec un système.

Je sais cependant, comme vous, qu’il se trouve parmi vos collègues du caucus du Parti québécois des dizaines d’autres élus, notamment parmi la considérable relève, qui ne pensent pas autrement. Des gens qui cherchent, comme vous, des façons de changer la politique, d’agir autrement, de retisser le lien entre élus et électeurs.

Vous avez tenu leur discours, admirablement. Vous avez défendu votre droit à la dissidence, admirablement. Mais en retirant vos voix, fortes et crédibles, du concert de ceux qui veulent le changement, et donc du seul parti politique apte à gouverner autrement, ne desservez-vous pas la cause même que vous enfourchez avec tant de verve ?

Votre rapport de force combiné est considérable. Du moins il l’était. La décision de la chef du Parti québécois de vous offrir, ce lundi matin, le droit d’exprimer cette dissidence n’était-elle pas la première victoire de votre combat pour une autre politique ?

N’auriez-vous pas pu vous en enorgueillir ? Affirmer, dans cette conférence de presse déjà convoquée, en modifiant des textes déjà écrits, votre décision d’exprimer, sur ce premier et épineux dossier de l’amphithéâtre, votre intime conviction? Ajouter que ce n’était que la première étape dans un combat pour le renouvellement du discours et de la pratique politique ? Une première défaite de la langue de bois ?

N’auriez-vous pas pu annoncer que vous alliez mettre votre réputation et votre crédibilité au service de cette cause, avec vos jeunes alliés de la députation, pour changer la politique dans ce parti auquel vous avez tant donné ?

Que vous alliez prendre le risque de la démotion et de l’exclusion, mais qu’on ne vous chasserait qu’à votre corps défendant, qu’il faudrait littéralement vous arracher de votre effort de donner un nouveau souffle au Parti qui, un peu grâce à vous, a déjà transformé le Québec ?

Chères Louise et Lise. Cher Pierre. Vous aurez, pour toujours, mon amitié et mon estime.

Mais mon admiration serait plus forte encore si, au lieu de vous faire démissionnaires, vous vous étiez faits révolutionnaires.

Bien amicalement,

Jean-François