Chine: bonne nouvelle, mauvaise nouvelle

chineseposter13On a peine à y croire. Depuis des lustres, les économistes nous expliquent que la main-d’oeuvre chinoise bon marché est inépuisable, car les masses d’ouvriers agricoles de l’intérieur du continent viendront, par vagues successives, remplacer les salariés de la côte qui monteront sur l’échelle technologique et salariale.

Eh bien, non. Selon ce fascinant reportage du New York Times, un quadruple phénomène suscite en Chine une pénurie de main d’oeuvre !

1. L’injection massive de fonds publics pour la relance de l’économie intérieure, notamment dans les infrastructures, mobilise dans l’arrière-pays  des salariés qui, jusque là, se rendaient sur la côte.

2. La croissance économique elle-même, qui multiplie les emplois, mobilise un nombre croissant de salariés.

3. La politique de l’enfant unique provoque dans les nouvelles cohortes d’adultes un rétrécissement du bassin de main-d’oeuvre disponible (à telle enseigne que les employeurs acceptent maintenant d’embaucher les plus de 40 ans, ce à quoi ils se refusaient jusqu’à maintenant).

4. L’augmentation de la proportion des jeunes adultes qui font des études post-secondaires contribue, de même, au rétrécissement du bassin de salariés disponibles.

Conséquence: une augmentation rapide des salaires, les employeurs se faisant concurrence pour attirer les employés. Que de bonnes nouvelles donc, pour la qualité de vie des Chinois et pour le rehaussement du coût des produits chinois, rehaussement qui permettra à certains de nos propres produits de retrouver leur compétitivité.

Voilà un phénomène qui, s’il se confirme dans la durée, arrive bien plus rapidement qu’on ne l’aurait cru (surtout lorsqu’on croyait qu’il n’arriverait jamais) et qui aura un impact structurant pour toute l’économie mondiale, si toutefois la «bulle immobilière» chinoise n’explose pas, comme plusieurs le prévoient, ce qui donnerait un grand coup de frein au grand bond en avant du capitalisme chinois.

Maintenant, la mauvaise nouvelle.

La condition de vie des Chinois s’améliore, leur condition politique se détériore.

Notre ami sinologue Jean-Philippe Béjà résume la situation dans une récente opinion publiée dans Le Monde:

Depuis le début de la dernière semaine de l’année chinoise, on a appris la confirmation de la condamnation à trois ans de prison pour « divulgation de secret d’Etat » de Huang Qi, la condamnation à cinq ans de prison pour « incitation à la subversion » de Tan Zuoren, tous deux dans la belle ville de Chengdu, le rejet de l’appel de Liu Xiaobo, condamné à onze ans de prison le jour de Noël 2009, et la condamnation à quinze ans de prison pour « subversion » de Xue Mingkai, un ouvrier de 20 ans, accusé d’avoir adhéré au Parti démocrate chinois. Comme les commerçants d’antan, les dirigeants du PCC règlent les comptes avant la fin de l’année. Une fois toutes ces peines prononcées, peut-on espérer que l’année du Tigre sera une année de liberté ?

On peut en douter car, sur la scène intérieure, la situation est tendue. Aucun des problèmes qui ont été soulevés au cours des dernières années n’a été réglé. Les autorités continuent d’interdire aux tribunaux d’accepter les plaintes des parents des enfants décédés ou gravement affectés par la consommation de lait frelaté à la mélamine. Et après les lourdes condamnations qui ont frappé des lampistes l’an dernier, on a vu réapparaître du lait frelaté sur les étagères des magasins. Les « prisons noires », où l’on parque les pétitionnaires venus à Pékin pour protester contre des abus commis dans les provinces, se multiplient.

Comme on l’a déjà noté sur ce blogue, la capacité des pays occidentaux à faire désormais pression sur le pouvoir chinois pour qu’il libéralise son attitude envers les libertés est maintenant nulle. La Chine, éveillée, n’a plus rien à nous demander. La grande affaire des prochaines décennies sera la capacité de millions de terriens, occidentaux et autres, à appuyer les forces démocratiques internes à la Chine: individus, syndicalistes, ONGs, intellectuels. Personne ne peut dire quelles seront les conditions de leur progrès, encore moins de leur victoire. Mais la nouvelle frontière du combat démocratique se situe là, dans le courage et la résilience de milliers de dissidents de l’Empire du milieu.