Ciel ! Des séparatistes !

Ceux de mes lecteurs qui sont indépendantistes auraient intérêt à renouveler leurs abonnements à des publications torontoises, car c’est là que, ces derniers jours, a été le plus clairement exposé comment s’installent les conditions gagnantes d’un prochain référendum.

D’abord dans le magazine intello The Walrus (son slogan : Canada’s Conversation), l’homme qui a conduit Justin Trudeau du statut de député d’opposition excentrique à premier ministre du Canada, Gerald Butts, avertit ses lecteurs : « The Quebec secession crisis is coming, and Canada isn’t ready » (« La crise de la sécession du Québec arrive et le Canada n’est pas prêt »). Trois forces sont selon lui à l’oeuvre pour préparer un Québexit.

D’abord, la réputation du pays est en déclin. Ses amis libéraux, écrit-il, n’ont pas présenté un narratif national positif cohérent et constant. « Il n’y a qu’un nombre limité de fois où vous pouvez vous excuser pour le passé de votre pays sans que les gens en déduisent que vous n’en êtes pas très fier », note-t-il. Puis il y a Pierre Poilievre, le champion de la négativité, pour qui « le Canada est brisé ». Une phrase, pense Butts, que les indépendantistes pourraient reprendre à leur compte. « Il est carrément dangereux pour les politiciens de dévaluer leur pays tout en rivalisant les uns avec les autres pour le diriger. Une rhétorique négative corrosive a des conséquences », pense-t-il.

Puis, Butts estime que la question écologique peut être un levier pour des indépendantistes présentant un futur Québec vert. Il leur souffle cet argument : « Nous ne ferons jamais rien de sérieux sur le climat tant que nous serons liés à cette compagnie pétrolière et gazière que les Anglos appellent un pays. » Bien dit, mais Butts ne semble pas savoir que des variations de cet argument sont avancées par les séparatistes depuis 20 ans déjà.

Il s’aventure finalement sur le terrain de l’influence étrangère et prévoit que, sans en être un élément déterminant, les « guerriers du clavier », notamment russes, se feront un plaisir d’exacerber les divisions entre le Québec et le Canada. Ce n’est pas impossible, mais ce serait un changement de position. Comme je l’ai amplement documenté dans Guerre froide, P.Q. (La Boîte à Lisée), Moscou a toujours jugé que Washington serait le grand gagnant d’un fractionnement du Canada. Mais qui peut dire ce que Poutine ferait désormais ? Butts est cependant convaincu qu’avec ou sans l’aide des Russes, les Canadiens anglais réagiraient à un nouvel effort indépendantiste non avec des manifestations d’amour, mais avec des « qu’ils partent » rageurs, agrémentés peut-être de « drapeaux fleurdelisés brûlés dans les Prairies ».

Dans le Globe and Mail, le chroniqueur Andrew Coyne s’éveille aussi au fait que les Québécois pourraient vouloir prendre la poudre d’escampette. Dans le commentariat anglo-canadien, Coyne est le plus grand promoteur de l’intransigeance envers le Québec. Il souhaitait qu’Ottawa use de son pouvoir de désaveu pour invalider la Loi sur la laïcité de l’État et/ou qu’il impose des pénalités financières ; il a écrit que la loi 96 interdisait aux médecins anglophones de parler anglais avec leurs clients anglos, ce qui est évidemment faux ; il estime, plus viscéralement, que la corruption semble « inévitable » chez nous, car constituée d’un « singulier faisceau de pathologies ». On se demande bien pourquoi des citoyens du Québec voudraient quitter un pays où fleurit envers eux le mépris, la diffamation et l’insulte. Passons.

Examinant la carte politique qui émerge de la prochaine élection fédérale, Coyne voit le Canada « se diriger vers une crise sans précédent : un gouvernement séparatiste au Québec, appuyé par un fort contingent séparatiste à Ottawa, faisant face à un premier ministre conservateur novice, un anglophone de l’extérieur du Québec sans expérience sur la réalité politique de la province et avec peu d’appui dans sa population ».

Ce qui rend le danger plus grave qu’en 1995, note correctement Coyne, est l’absence d’un Parti libéral fédéral pouvant ressurgir et faire front, comme l’avait fait Jean Chrétien, l’homme qui a, écrit-il, « remis le tigre dans la cage ». Pierre Poilievre peut-il relever ce défi ? Coyne en doute : « Rien dans sa personnalité ne nous rassure. Ses réactions d’adolescent pugnace, son esprit querelleur sont les traits d’une insécurité profonde, d’une personne cherchant constamment à être reconnue comme le mâle alpha. » Coyne souhaite pourtant de lui une « immobilité avenante, inébranlable et calme ».

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Dans le National Post, fin mai, le chroniqueur Chris Selley avait plaidé pour la même posture, reprenant l’image du tigre, mais pour affirmer que les indépendantistes sont, comme le disait Mao au sujet des États-Unis, « un tigre de papier ». Compulsant les sondages qui indiquent que le Oui ne dépasse pas les 35 %, il conseille à Poilievre de faire peu de cas de ce tigre qui rugit, mais qui ne mord pas.

Comme Coyne, Selley affirme qu’il ne faut rien offrir aux Québécois pour les dissuader de voter Oui, car la Cour suprême puis la mal nommée Loi sur la clarté ont établi qu’il faudrait une question « claire » (indiquant qu’il s’agit de « quitter la fédération ») et une réponse « claire », qui, selon Selley, doit être de plus de 50 %. Il estime hautement improbable que le Parti québécois (PQ) y arrive. Alors, pourquoi s’en faire ?

Mettons les choses au pire, ajoute-t-il : « Même une victoire convaincante sur une question claire ne signifierait pas que le Québec se réveillerait le lendemain matin en tant qu’État souverain. Cela ne ferait que déclencher des négociations avec Ottawa et les autres membres de la fédération. À quelle vitesse et avec quels heurts pensez-vous que cela se produirait ? » D’autant qu’Ottawa a en main la carte de la partition des nations autochtones.

Bref, don’t worry, be happy.

Mais j’y pense. Et si cette intransigeance avant le référendum, puis le refus de négocier de bonne foi la transition ensuite n’étaient pas aussi des conditions gagnantes pour les séparatistes ? Just sayin’.

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)

7 avis sur « Ciel ! Des séparatistes ! »

  1. Bravo et félicitations pour votre aussi noble qu’encourageante et courageuse — (périlleuse?) — entreprise de vous lancer en double écrits sérieux sur les deux politiques Q/C les plus éminents du siècle dernier. Il ne manque pas de «matière» à couvrir et recouvrir ou à recouvrer à leur propos.
    GBC a fort bien fait ressortir que René aura[it] été l’Homme du siècle au Q, pour les Québécois, par-delà Maurice Richard même; et Claude Charron (!), imaginez, sera, lui, allé jusqu’à dire que Trudeau aurait été le plus grand premier ministre canadien du siècle — (opinion que ne suis-je pas loin de partager) —, suscitant l’enthousiasme d’un Morin C., y voyant là «le carnaval des hypocrites».

  2. « La MENACE séparatiste ! ». On s’en souvient, n’est-ce pas? Elle r’monte à un beau p’tit d’mi-siècle.
    C’était alors l’énoncé préféré du même qui, deux décennies plus tard, balança son quoi qu’on dise quoi qu’on fasse.

    Entretemps…

    Puis maintenant…

    Bien, entretemps, on a eu le Père.
    Et maintenant a-t-on le Fils. Dont ‘ils’ n’arrivent à s’défaire. Les pauvres.

    Ce faute de savoir quel/où est l’Problème. Il est en la
    « température » !

    Comment voulez-vous que le gars réfléchisse, comme l’enjoint-on de le faire, quand, semaine passée, il a fait chaud à donner envie d’s’garrocher dans ‘piscine
    et que cette semaine-ci va-ce être ‘même chose à — (l’approche de) — l’Halloween
    alors qu’est-ce neige qu’il faut en cette famille pour pouvoir réfléchir – (et/ou [en] décider ) – sérieusement ?

  3. Ah, la partition ! Permettez qu’un un Franco-ontarien vous gâche la partie. Il faudra qu’un Québec souverain s’entende avec les Premières Nations et, au minimum, assumer les responsabilités de la couronne. D’abord, il y a la proclamation royale de 1763 et la suite dans la loi constitutionnelle de 1982 aussi bien que toute la jurisprudence qui en découle. Veut veut pas, ce sont des acquis qui leurs sont chers. Et après, entériner la déclaration des Nations Unies sur les droits des Peuples autochtones dans une constitution du Québec? Là vous auriez des alliés.

    • Un Québec indépendant n’a pas à assumer les responsabilités et les promesses du Canada. Faire des ententes avec les PN, certes. Être contraints par les mêmes liens coloniaux que les Redcoats ont entérinés dans les siècles derniers? Absolument pas!

  4. B’en je l’ai lu, l’article, finalement. C’est très lucide, mais vous ne parlez pas des nouveaux arrivants qui ont le droit de vote. Est-ce qu’ils voteront sur la question de l’indépendance ou resteront indifférents et ne voteront pas ?

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