Comment rater une sortie de crise

stupid01-150x150À l’heure d’écrire ces lignes, il est clair que « l’entente de principe » signée samedi par les protagonistes du conflit étudiant sera massivement rejetée par les grévistes.

Au cœur du rejet :

1. le texte même de l’entente, qui est muet sur le mécanisme qui permettrait de déduire de la contribution étudiante, ce qui comprend donc les droits de scolarité, des sommes déterminées comme des économies dans les budgets universitaires ;

2. la décision de la ministre de l’Éducation, Line Beauchamp, de souligner à grands traits pendant les entrevues de dimanche qu’il n’y avait aucune certitude quant à la réduction de la facture étudiante, quelle qu’elle soit. Un message renforcé dans un courriel du PLQ envoyé aux députés libéraux, affirmant qu’il est « faux de prétendre que l’augmentation des frais de scolarité sera obligatoirement compensée par la baisse des frais ».

Il arrive, en négociations, que le caractère flou d’un libellé traduise la volonté de chacun de sauver la face. Mais ce flou doit être compensé immédiatement dans le discours par un engagement manifeste de « livrer la marchandise » pour respecter l’esprit de l’accord. C’était l’attitude des porte-paroles étudiants samedi après-midi. Ce ne fut pas l’attitude de la ministre, du premier ministre et du représentant de la CREPUQ.

On apprend depuis que le texte de l’entente aurait pu être plus précis, en fait qu’il devait l’être. Martine Desjardins, de la FEUQ, déclare ceci :

« Le problème de cette entente, c’est que ce n’est pas très clair à certains niveaux, explique-t-elle. Ça ne présume pas d’une éventuelle diminution des frais de scolarité advenant le fait où on aurait diminué l’entièreté des frais afférents, c’est ça qui a été entendu à la table, mais vous conviendrez que ce n’est pas écrit clairement dans l’entente. »

Comment cela est-il possible ? La CLASSE a mis en ligne le récit de la négociation à ce sujet, dont voici les extraits pertinents.

Pendant la nuit de vendredi à samedi :

[La présidente du Conseil du Trésor] Michelle Courchesne nous demande quel serait notre vision des frais [afférents ou des droits] et du comité [sur la gestion des universités]. Léo Bureau-Blouin [de la FECQ] présente donc qu’il y a des économies substantielles à faire, ces économies peuvent mener à une réduction de la facture étudiante. En ce moment, on

 

a la possibilité de faire des coupures avec l’approbation du milieu et du public, mais cela doit se faire avec un engagement au niveau de la contribution étudiante, sinon nous n’avons aucun avantage à appuyer les coupures.

Line Beauchamp tient à préciser qu’il doit davantage être question de réduire la contribution étudiante. Si la partie étudiante prouve qu’il est possible de trouver de l’argent dans la gestion des institutions universitaires dans le cadre du conseil provisoire [sur la gestion des universités] il sera possible de réduire les frais . Le débat fini donc sur la question des frais institutionnels obligatoire (FIO). Cette question est mise de l’avant par les centrales syndicales. Elles font le constat que le comité n’est pas assez pour faire entrer les grévistes en classe. Courchesne tente de trouver une solution sans gagnant-e-s ni perdant-e-s et c’est le comité.

Vers 5h00 [du matin] les centrales font donc une offre avec un compromis possible. De faire la suspension du paiement des frais à la hauteur de la hausse durant les travaux du comité. Le conseil provisoire pourra faire des recommandations sur la question des FIO et des droits de scolarité. Si nous trouvons dans ce comité des endroits pour aller chercher l’argent de la hausse. Cela serait donc comme un gel, mais sans être un gel. Le gouvernement évalue la question l’oriente vers les
FIO plutôt que les frais [les droits de scolarité].

Le Comité de négociation [de la CLASSE] se trouve bien embêté. L’État continue de se désengager dans l’éducation, mais concrètement sur la facture étudiante il n’y a pas d’augmentation tant qu’on trouve de l’argent dans le gras des universités.

[…] une nouvelle pause est décrétée. Au retour nous revenons sur cette question de la hausse des frais de scolarité et de la baisse des FIO, la FECQ affirme que la contribution étudiante est un concept acceptable, mais il faut avoir des engagements clairs de la part du gouvernement comme preuve de leur bonne foi. Selon eux, le comité devra avoir le pouvoir de déterminer comment sera remboursé.

De plus, ils veulent un engagement clair, ainsi que des obligations de résultat. Courchesne affirme alors que le comité aura de la latitude quant à ces décisions et que plusieurs des questions abordées en ce moment se feront par un décret ministériel après l’acceptation de l’offre par les associations étudiantes garantissant ainsi les résultats.

Beauchamp maintien que les résultats seront motivés par le 125$ à aller chercher pendant les travaux. C’est alors que l’on nous dit que la fin des travaux sera effectif lors du dépôt du rapport du comité, que dans le décret, il sera spécifié que chaque dollars économisé sera investi dans la réduction de la facture étudiante.

Mais qu’arrivera-t-il si les économies dépassent les frais institutionnels [qui ne couvrent pas la totalité de la hausse des droits de scolarité]? Line Beauchamp répond du bout des lèvres que cela pourra, si les économies dépasse les FIO, affecter les frais de scolarité, mais que ce sera au comité provisoire de trouver les modalités de remboursement. Elle ajoute aussi que toutes les offres annoncées auparavant seront maintenu: RPR [Remboursement proportionnel au revenu], réduction de la contribution parentale, étalement [sur sept ans], etc.

La CRÉPUQ se pose alors comme question quelle sera la motivation des universités sur le comité si, trouvant des économies dans son propre budget, il n’y aura aucune avancée pour elle, mais seulement un bénéfice pour les étudiantes et les étudiants? Louis Roy, de la CSN, répond alors que le chantier sera ouvert sur le thème de la facture étudiante, que c’est eux qui ont posé le problème et amené les enjeux sur la table, mais que ce faisant, plusieurs débats seront à mener et qu’ainsi, la CRÉPUQ aussi bénéficiera d’un nouveau forum pour se faire entendre.

Le soleil se lève, la nuit a été longue. Les acteurs autour de la table sentent que le débat a été écoulé quant à la formule et qu’il faut maintenant se concentrer sur du concret. Le gouvernement demande donc un moment de rédaction pour que l’on puisse travailler sur le texte final.

Le premier texte apporté comporte de nombreuses erreurs par rapport aux divers accords que nous avions. Il y avait entre autre un mélange entre les mandats et les thèmes de sortie de crise, le document ne faisait que mention des FIO et non de la contribution étudiante, plusieurs flous subsistaient au sujet du comité et de l’application du paiement différé. Nous avons donc, entre associations étudiantes convenus de plusieurs modifications majeures et mineures.

Principalement, il était important pour nous que le libellé de la fin ne signifie pas que notre signature nous demande de recommander l’offre, de faire une trêve ou encore la fin immédiate de la grève.

Le reste se passe malheureusement dans un jeu de couloir bourdonnant qui a principalement été fait auprès de Philippe Lapointe [le seul membre du comité de négociation de la CLASSE présent dans les discussions]. À notre sortie de notre caucus étudiant, nous avons rencontré les syndicats qui avaient certaines modifications similaires aux autres mais elles trouvaient que nous poussions un peu loin après une consultation avec Justin Arcand.. Confiant-e-s, nous attendions la reprise. Attendant dans le couloir, Martine Desjardins fut prise à part pour aller discuter. Philippe, en se servant du café, se fit aussi inviter à discuter avec Pierre Pilote [le négociateur du ministère de l’Éducation] de nos modifications afin «d’accélérer les travaux». La porte ouverte, dans le local de négociation, avec Jean Beauchesne de la Fédération des Cégeps, il énuméra nos modifications qui furent entièrement prises en notes et, en général, Pierre Pilote comprenait le bien fondé des demandes étudiantes.

Après cette longue discussion, Martine entra avec Courchesne, elle avait fait le même travail avec la ministre qui semblait être d’accord avec toutes nos modifications, qui visaient principalement 3 points:

– Toute les économies trouvées par la partie étudiante ferait en sorte de réduire l’ensemble de la contribution étudiante, et non seulement les FIO;
– Que le conseil [des universités] puisse choisir ses 2 membres de la communauté économique et son président par consensus afin d’assurer la parité et;
-Que le paiement différé [des FIO] s’applique sur 2 ans et qui serait renouvelable si nécessaire.

Les représentant-es du ministère se sont retiré-es pour réécrire le document.

Nous retournons voir nos collègues, confiantes et confiants: «Nos modifications ont toutes été acceptées.» Nous attendons donc, pensant que la journée serait terminée. La journée est bel et bien commencée. Nous sommes convié-e-s à retourner à la table.

Courchesne nous annonce qu’ils se sentent près d’une entente, le document a été envoyé au bureau du Premier ministre et ils attendent une réponse, ils nous demandent donc d’attendre jusqu’à 8h, moment où ils devraient avoir une confirmation. Nous retournons patienter.

[…] La FEUQ demande une pause avec pour objectif caché de quitter les lieux, d’aller faire une sieste, revenir frais et disponibles en prévision de la tempête médiatique qui suivra, mais aussi des derniers détails à mener. Cette pause est refusée par le gouvernement, les syndicats et la CRÉPUQ qui veulent en finir le plus rapidement possible.

Vers 13h, nous sommes réinvités à la table pour voir le texte final. Ce texte comporte encore quelques erreurs que nous demandons illico de modifier. Mais la lecture fut rapide. Le nouveau texte nous arrive, en ne regardant que si les dernières modifications ont été faites. Philippe approuve le texte et, devant l’ambiance générale de sentiment de fin des travaux et signe le document sans consulter le reste du comité de négociation [de la CLASE]. Ce fut, il en conviendra par la suite, une erreur fatidique dont il prend l’entière responsabilité.

Le texte final n’était pas exactement celui convenu. Plusieurs éléments avaient été modifiés et il semble que la CRÉPUQ ait travaillé plus ardemment que les étudiants et les étudiantes dans les dernières modifications des détails. Le comité de négociation fut consterné de voir ce avec quoi revenait Philippe. Une grande tension s’est fait sentir au sein du comité. Nous nous sommes donc consulté, seul, dans une salle pour en discuter. C’est amèrement déçu-e-s que nous sommes revenus à Montréal présenter ce document aux associations alors réunies en congrès. […]

Après 22 heures de négociation entrecoupées de courtes pauses, nous aurions dû, en ce samedi après-midi, exiger la suspension des travaux. Le mouvement étudiant a fait 12 semaines de grève, une journée de fin de semaine de plus ou de moins n’aurait pas été catastrophique. Le sentiment d’urgence fut créé par le gouvernement qui, eux, avaient besoin d’un règlement rapide.

On aimerait bien avoir la version des autres belligérants, notamment celle de la CREPUQ. Cependant, on peut tirer deux grandes leçons de ce récit, de ce gâchis :

1. la FEUQ avait raison de demander une pause pour avoir l’esprit clair avant de tout relire et de signer, et les partenaires des étudiants auraient dû obtempérer ;

2. toujours relire en détail chaque version d’une entente ;

3.  mais de façon plus importante, en l’absence de ces clauses essentielles dans l’entente, il était de la responsabilité de chacun de présenter une interprétation commune de sa signification. Les déclarations de la ministre et le courriel du PLQ ont rompu ce pacte tacite.

On voudrait bien savoir pourquoi et si la consultation avec le bureau du premier ministre fut, in extremis, l’étape fatale.

Rien ne dit que l’entente, telle que voulue par les fédérations étudiantes, aurait été adoptée avec enthousiasme par les assemblées étudiantes. Mais elle aurait eu une chance raisonnable.