Présentation de
Jean-François Lisée
Devant la
Commission parlementaire des institutions sur le
Projet de loi no 99
Loi sur l’exercice des droits fondamentaux
et des prérogatives du peuple québécois
et de l’État du Québec
Le 15 mars 2000
Monsieur le président,
Monsieur le ministre,
Mesdames messieurs les membres de l’Assemblée nationale,
Je tiens d’abord à vous remercier de m’avoir invité à présenter certaines de mes réflexions devant vous. J’aimerais féliciter les membres du gouvernement pour leur décision de concevoir un projet de loi sur les droits fondamentaux du Québec et de le soumettre à la discussion publique. J’aimerais saluer la décision de l’Opposition officielle de participer à cette consultation, malgré la difficulté que cela pose à sa cohésion interne, à ses alliances malaisées avec son parti frère fédéral, et à son propre agenda politique. Je crois comprendre par ailleurs que les discussions au sein du caucus de l’ADQ ont rapidement mené à un consensus sur la participation du troisième parti à cette consultation. Il n’en a pas moins de mérite pour autant.
Vous n’avez pas choisi de tenir ce débat-ci à ce moment-ci. Tous autant que vous êtes, élus du peuple québécois, vous avez signifié au parti gouvernemental canadien qu’il serait inopportun, pour dire le moins, d’aller de l’avant avec son initiative. Prolongeant une tradition maintenant bien ancrée en politique libérale fédérale, l’unanimité de l’Assemblée nationale n’a pas pesé lourd – n’a pas pesé du tout – dans les décisions des membres du gouvernement libéral qui prétendent parler pour le Québec.
Mais puisque ce débat nous est imposé maintenant, il faut faire en sorte que le Québec, et que la démocratie québécoise, en sortent renforcée, plutôt qu’affaiblie.
Le projet de loi 99 fait un bon travail de circonscrire et d’affirmer les droits du Québec. Je crois cependant qu’elle ne fait pas tout le travail et qu’il n’y aura guère de meilleure occasion d’y revenir. C’est pourquoi j’ai deux séries de propositions à vous soumettre.
DES AMÉNAGEMENTS AU PROJET DE LOI 99 LUI-MÊME
La Commission devrait envisager d’effectuer des aménagements au projet de loi 99 lui-même.
Les auteurs du projet de loi 99 ont décidé d’affirmer les droits fondamentaux du Québec mais sans tenter d’établir, comme le fait le projet de loi fédéral C-20, les modalités d’accession du Québec à la souveraineté. Je soumets que c’est précisément ce qu’il faut faire. MM Chrétien et Dion, contredisant en plusieurs points l’Avis de leur propre Cour suprême, tentent de faire avaliser par la Chambre des Communes une série de cadenas à la volonté démocratique québécoise et de leur donner une légitimité législative.
L’Assemblée nationale doit répondre en inscrivant dans sa propre loi une démarche démocratique en cas de choix souverainiste des Québécois. Chacun sait que nous sommes en présence d’une Cour suprême du Canada qui a balisé dans un Avis un processus d’accession à la souveraineté presque totalement compatible avec les principes évoqués depuis un tiers de siècle par les souverainistes québécois. La compatibilité est également grande entre cet avis et les écrits des parlementaires et membres de la société civile réunis dans la Commission Bélanger-Campeau en 1990 et avec les principes inscrits par l’actuelle Opposition officielle dans sa loi 150 et avec ceux qui ont été défendus dans un passé récent par l’ADQ.
Dans la recherche d’une clarification des règles d’accession du Québec à la souveraineté, il y a donc une convergence entre l’expression des droits du Québec tels qu’interprétés par les élus du Québec et l’expression du droit canadien tel qu’interprété, à la demande du gouvernement fédéral, par le plus haut tribunal du Canada.
Il me semble opportun d’inscrire tous ces points de convergence dans la législation québécoise elle-même.
La majorité gouvernementale à l’Assemblée nationale pourrait ainsi accéder à la volonté de l’Opposition officielle de faire référence au jugement de la Cour de deux façons : d’abord en ajoutant, dans le préambule, un attendu notant l’existence de l’Avis, soulignant la convergence de l’Avis avec la démarche québécoise sur les points essentiels, et indiquant que l’Avis ne lie cependant pas juridiquement l’Assemblée nationale, ce que le juge en chef de la Cour a d’ailleurs lui-même indiqué dans une entrevue célèbre. Dans le libellé des articles de la loi, en reprenant chaque fois que c’est possible les termes mêmes de l’Avis, cette compatibilité sera établie.
Si le projet de loi 99 prenait acte de ces convergences et l’inscrivait dans sa législation, les juristes québécois, canadiens et internationaux constateraient qu’une autre assemblée parlementaire, la Chambre des communes, a adopté un texte, C-20, qui, lui, s’écarte du consensus existant entre l’Assemblée nationale et la Cour suprême et que c’est la démarche fédérale qui est fautive, pas celle du Québec ni celle de la Cour.
En conséquence, je vous suggère de modifier le projet de loi 99 :
a) Pour affirmer que le Québec fait partie de la fédération canadienne, même si cette adhésion n’a jamais fait l’objet d’une consultation démocratique de l’ensemble des Québécois;
On sait qu’en 1867, les appels répétés du parti qui allait devenir le parti libéral du Québec en faveur de la tenue d’un référendum sur l’entrée du Québec au Canada furent rejetés et qu’ensuite l’élection de l’automne 1867 qui allait confirmer, a posteriori, l’entrée du Québec dans le Canada fut tenue dans des conditions de fraude électorale telle qu’elle aurait dû être annulée à l’aune même des pratiques électorales de l’époque. Les droits démocratiques du parti qui allait devenir le PLQ et qui s’opposait à la confédération ont été bafoués de multiples façons.
Reste que l’appartenance du Québec au Canada est un fait de l’histoire, et on peut arguer que c’est grâce aux souverainistes, en 1980 et en 1995, que les Québécois ont pour les seules fois de leur existence politique voté en faveur de l’appartenance du Québec au Canada, avec des majorités qui chaque fois ont été tributaires de promesses de modifier la place du Québec au sein du Canada. Il s’agissait donc d’une acceptation conditionnelle, et de conditions jamais satisfaites, bien au contraire.
C’est pourquoi je suggère aussi les amendements suivants:
b) Pour affirmer que les modifications au contrat constitutionnel qui lie le Québec à la fédération nécessitent un consentement démocratique préalable de l’Assemblée nationale ou, lors de modifications significatives, des citoyens Québécois eux-mêmes;
c) Pour constater que la Constitution canadienne fut modifiée en 1982 sans le consentement démocratique des Québécois ou de leur Assemblée nationale et pour faire obligation à l’Assemblée nationale de ne pouvoir ratifier politiquement cette constitution qu’après avoir obtenu, par référendum, un consentement populaire;
Votre Assemblée s’est déjà prononcée, majoritairement, contre la réduction unilatérale de vos pouvoirs établis par la Constitution de 1982. Il me semble opportun de réitérer l’opposition de l’Assemblée à cette constitution d’autant que, depuis, la Cour suprême elle-même vous donne raison sur la nécessité d’asseoir tout changement constitutionnel sur le consentement démocratique. En effet, dans son Avis, la Cour parle un peu légèrement de la « souveraineté populaire qui a donné naissance à la constitution actuelle ». En associant les concepts de « souveraineté populaire » et de « référendum » (au paragraphe 75) elle sape elle-même la légitimité de la constitution de 1982.
Rejetant ensuite la « règle de la simple majorité » lorsqu’il s’agit d’opérer des modifications constitutionnelles, la Cour insiste sur l’importance de « la majorité qui doit être consultée afin de modifier l’équilibre fondamental de partage du pouvoir politique (y compris les sphères d’autonomie garanties par le principe du fédéralisme) » (76). En 1982, aucune consultation n’a eu lieu au Québec, aucune majorité, populaire ou parlementaire, n’a donné son aval.
Plus clairement encore, lorsque la Cour explique qu’il n’y a pas de remède judiciaire à une mauvaise négociation constitutionnelle, elle affirme: « il incombe plutôt aux représentants élus de s’acquitter de leurs obligations constitutionnelles d’une façon concrète que, en dernière analyse, seuls les électeurs eux-mêmes sont en mesure d’évaluer » (101).
Or, la constitution de 1982 fut « évaluée » par les électeurs québécois à l’élection de 1984 par un rejet massif du Parti libéral du Canada qui avait conçu et imposé cette constitution – on sait que dans une alliance politique historique, des organisateurs des deux principaux partis de cette Assemblée ont travaillé de concert pour faire battre les amis de M. Jean Chrétien. Puis, l’électorat québécois a désavoué directement la constitution de 1982 lorsqu’au référendum d’octobre 1992 il a rejeté à 56% une version qu’on disait améliorée de cette constitution.
Une fois établis ces principes, je pense qu’on devrait aller plus loin :
d) Pour affirmer le droit des Québécois à quitter la fédération canadienne, comme le fait déjà le projet, mais pour noter de surcroît l’aval donné par la Cour suprême à l’existence de ce droit;
e) Pour intégrer « l’exigence de clarté » proposée par la Cour suprême et appuyée par le gouvernement québécois et l’Opposition officielle québécoise;
Cette exigence de clarté ne signifie nullement qu’on prenne les Québécois pour des idiots ou qu’il faille écrire la question référendaire sous la dictée des ministres fédéraux. Terre-Neuve a fait son entrée dans le Canada en répondant à une de deux options soumises au référendum, un procédé que MM Chrétien et Dion considèrent aujourd’hui inacceptable. L’Onu a organisé depuis 10 ans deux référendums sur la souveraineté comportant deux options et le Canada a reconnu les résultats de deux référendums dans les Balkans qui comportaient en une seule question les deux concepts d’accession à la souveraineté et d’adhésion à une confédération d’États, une combinaison que le projet de loi fédéral voudrait interdire. Compte tenu du caractère extrêmement restrictif que veut imposer le gouvernement fédéral à votre liberté d’action, vous devriez au contraire affirmer votre liberté d’expression quant au projet de souveraineté que vous avez le droit de proposer aux Québécois. Ainsi, vous devriez :
f) Affirmer le droit de l’Assemblée nationale de proposer en termes clairs aux Québécois, par voie de référendum, la souveraineté du Québec ou tout aménagement nouveau des relations avec le Canada; le droit de soumettre à la consultation populaire une ou plusieurs options, de manière séparée ou combinée; le droit de demander un mandat de négocier cet aménagement ou toute autre concept que l’Assemblée jugera opportun au moment de choisir sa question référendaire;
Cet article disposerait du sujet de la clarté de la question. Resterait la clarté de la réponse. Le projet de loi 99 pose déjà comme principe la règle du 50% plus un. J’irais plus loin en notant la convergence, d’une part, avec un précédent canadien, celui de Terre-Neuve, entré au Canada avec une majorité de 52% jugée « claire et sans ambiguïté » par le premier ministre libéral fédéral de l’époque, et d’autre part, avec un principe énoncé par la Cour suprême, celui de l’équivalence entre le fait d’entrer dans un pays et le fait d’en sortir. Il s’agirait donc :
g) D’affirmer que, comme le note la Cour suprême du Canada, « L’autodétermination externe peut être décrite par l’extrait suivant de la Déclaration touchant les relations amicales de l’ONU : La création d’un État souverain et indépendant, la libre association ou l’intégration avec un État indépendant ou l’acquisition de tout autre statut politique librement décidé par un peuple constituent pour ce peuple des moyens d’exercer son droit à disposer de lui même » et que l’histoire canadienne ayant établi ce principe au point d’entrée de Terre-Neuve en 1949, il s’applique aussi au retrait éventuel du Québec ;
On objectera qu’il s’agit ici de droit externe, alors que la souveraineté du Québec se fait, selon la Cour, en droit interne. Mais puisque Terre-Neuve n’était pas une « colonie opprimée » ce n’était pas du droit externe et puisqu’elle n’était pas dans la fédération, ce n’était pas du droit interne. Quoiqu’il en soit, on ne voit pas en quoi l’effet miroir entrée-sortie établi par la Cour et par l’ONU ne s’appliquerait que dans un type de droit, et non dans les cas qui nous occupent. Posée autrement, la question est la suivante : pourquoi devrait-il être plus facile pour le Canada de l’an 2000 de se fusionner avec les Etats-Unis que pour le Québec de quitter la fédération canadienne ?
h) Pour affirmer que, si l’Assemblée nationale décidait de s’engager dans la voie de la souveraineté à la suite d’un référendum, la volonté québécoise serait de quitter la fédération de façon démocratique et négociée;
i) Pour intégrer l’obligation faite au gouvernement québécois mandaté pour réaliser la souveraineté du Québec de tenter de bonne foi, avant de déclarer cette souveraineté, de négocier les modalités de la transition avec les autres membres de la fédération canadienne;
En effet, comme vous le savez, en répondant de manière prévisible aux questions politiquement biaisées posées par le gouvernement Chrétien, la Cour a bien noté qu’elle interdisait au Québec le droit de faire une déclaration unilatérale sans négociations préalables ou du moins sans tentative de négociation. Personne ici n’invoque ce droit. Autant le dire et inscrire cette convergence dans la loi.
Ensuite, je crois qu’il faut agir:
j) Pour intégrer les sujets essentiels à aborder lors d’une négociation devant mener à la souveraineté du Québec, tels qu’envisagés par la majorité des députés de l’Assemblée nationale et par la totalité des membres de la Cour suprême;
Le gouvernement fédéral, dans sa loi C-20, outrepasse l’Avis de la Cour dans la définition qu’il donne des sujets à aborder, en y incluant notamment la question des frontières. MM Chrétien et Dion sont d’ailleurs en retrait par rapport à la liste que le ministre de la justice, Allan Rock, avait lui-même rendue publique à l’automne de 1997. Je propose de rétablir cette liste et de puiser à ces sources.
k) Reprenant les termes mêmes de la Cour, on pourrait indiquer que ces négociations « devraient traiter des intérêts des autres provinces, du gouvernement fédéral, du Québec et, en fait, des droits de tous les Canadiens à l’intérieur et à l’extérieur du Québec, et plus particulièrement des droits des minorités » francophones du Canada et anglophones au Québec; qu’elles devraient « prendre en compte » les « droits et les intérêts des autochtones » et se soucier de « l’économie nationale et de la dette nationale». Reprenant ensuite les mots du ministre Rock, on pourrait ajouter que ces négociations doivent traiter également des « droits des citoyens de se déplacer à l’intérieur du pays, du partage de la dette et des biens publics, de l’utilisation de la monnaie et une foule d’autres questions ». Insérant ensuite, et dans la foulée, les objectifs de négociation du gouvernement québécois, on pourrait ajouter vouloir négocier notamment la possibilité, pour les citoyens qui le désirent, d’avoir à la fois, et à certaines conditions raisonnables que le gouvernement canadien pourra établir, la citoyenneté québécoise et la citoyenneté canadienne, mais en principe pas le droit de vote aux élections canadiennes – afin de protéger notamment les droits des citoyens québécois attachés au Canada, notamment les Anglo-québécois. Le texte de loi ferait obligation au gouvernement du Québec de s’engager à tout mettre en oeuvre pour assurer le succès de ces négociations, et l’autoriserait à rechercher à cette fin la conclusion d’un traité de partenariat économique et politique avec le Canada et à procéder à une transition ordonnée vers la souveraineté.
Ayant établi les termes de la négociation, les objectifs convergents des deux parties et ceux du gouvernement du Québec, on pourrait alors ajouter un article :
l) Pour intégrer la reconnaissance, par la Cour suprême du Canada, de l’obligation qu’auront les autres parties à la fédération de négocier avec un gouvernement québécois investi d’un mandat référendaire clair de quitter la fédération;
m) Pour concourir à l’avis de la Cour suprême que seules les « parties à la Confédération » — soit le gouvernement fédéral et les autres provinces d’une part, le gouvernement du Québec d’autre part – participeront à la négociation proprement dite;
Dans son projet de loi, le gouvernement fédéral se donne le droit de compliquer la négociation en y intégrant d’autres participants (par l’utilisation du mot « notamment »). Cette disposition contrevient à l’Avis de la Cour. Le Québec doit cependant s’engager à associer à son équipe et à sa stratégie de négociation les minorités québécoises et canadiennes dont il voudra défendre les droits pendant cette négociation. Il faudrait ainsi :
n) Affirmer la volonté du gouvernement québécois de se faire assister, pour les fins de la négociation, de comités consultatifs existants ou à venir formés de représentants des nations autochtones du Québec, de la minorité anglophone du Québec et des communautés francophones et acadiennes hors Québec, dont il s’engage à défendre les intérêts et les droits lors des négociations;
Il faut ensuite parler du processus de ratification de l’entente qui découlerait de ces négociations :
o) Pour affirmer l’attitude qu’adopterait l’Assemblée nationale envers le processus de ratification d’une entente, telle que préfigurée par le rapport de la Commission Bélanger-Campeau;
On sait que le processus de ratification prévu au projet de loi fédéral est totalement irréaliste, car non seulement il a conduit au rejet de l’accord du lac Meech, mais il suppose dorénavant la tenue de référendums dans trois provinces. Ce processus signifierait donc que des parlementaires fédéraux devraient faire campagne en Ontario, par exemple, pour convaincre les citoyens de voter Oui à un référendum permettant la sécession du Québec. De passage à Ottawa le mois dernier devant le comité législatif de la Chambre des Communes examinant le projet de loi C-20, j’ai demandé s’il y avait des parlementaires prêts à commettre un tel suicide politique. Personne n’a levé la main.
Dans un moment de lucidité, la ministre fédérale de la justice, Anne McLellan, a elle même jugé irréaliste l’adoption de cette procédure, et proposé l’invention d’une procédure nouvelle. Elle a déclaré en février 1998 que le Canada serait face à « des circonstances tellement extraordinaires qu’elles ne sauraient être traitées dans le cadre constitutionnel existant. Il faudrait probablement alors reconnaître la nature extraordinaire de l’événement et déterminer un processus en conséquence. »
M. Dion lui même n’a jamais pu expliquer ce que ferait le gouvernement fédéral devant le refus d’une province de ratifier l’amendement constitutionnel qui permettrait au Québec de quitter la fédération.
Dans son Avis, la Cour se garde bien de porter quelque jugement que ce soit sur le processus de modification constitutionnelle, mais sent suffisamment la difficulté pour évoquer sans ambages les risques d’échec de la négociation donc, a fortiori, de la ratification.
Le premier ministre Bouchard avait déjà tracé la voie, dans un discours à l’Assemblée Nationale en mai 1996, citant d’abord le rapport de la Commission Bélanger-Campeau, signé notamment par MM Bourassa, Parizeau, Bouchard et Ryan et selon lequel « si les autres membres de la fédération y consentaient, l’accession du Québec au statut d’État indépendant pourrait se faire par accord; les modifications constitutionnelles requises pourraient être préparées et les divers arrangements de transition négociés préalablement ». Mais en l’absence d’un accord, et de modifications constitutionnelles, le Québec devrait opter, écrivait la commission Bélanger-Campeau, pour un « processus de sécession unilatérale ». M. Bouchard reprenait cette flexibilité à son compte en 1996, affirmant que, dans l’année prévue par le projet souverainiste pour préparer la transition après un vote positif, « si le Canada et les provinces veulent utiliser cette période pour régler leurs problèmes de droit interne et adopter des amendements appropriés, le gouvernement du Québec ne s’y opposera pas ». Cependant il ajoutait que « si le Canada veut nous imposer des veto, nous retenir dans la fédération contre notre gré, nous allons nous en retirer en proclamant unilatéralement la souveraineté ».
Je crois qu’il faudrait codifier cette attitude – y compris la période habilitant le Canada de régler ses problèmes de droit interne, mais sans se coller à une procédure particulière (c’est leur problème, pas le nôtre) — dans le texte de la loi québécoise.
Passé, donc, un délai de quelques mois pour permettre aux provinces canadiennes d’adopter une entente que le Québec aurait de toute évidence négocié de bonne foi, le recours à une déclaration unilatérale d’indépendance serait parfaitement justifié et justifiable devant l’opinion publique interne et externe. Et alors l’entente, même non ratifiée, serait le passeport de la transition, s’imposerait à l’acteur principal, Ottawa
Il faut cependant aussi noter le risque d’échec de la négociation elle-même et :
p) Intégrer la reconnaissance, par la Cour suprême du Canada, de la capacité qu’aura le Québec de déclarer unilatéralement sa souveraineté après avoir tenté de négocier avec le reste du Canada, et du fait qu’un « Québec qui aurait négocié dans le respect des principes et valeurs constitutionnels, face à l’intransigeance injustifiée d’autres participants au niveau fédéral ou provincial, aura probablement plus de chances d’être reconnu (sur la scène internationale) qu’un Québec qui n’aurait pas lui-même agi conformément aux principes constitutionnels au cours du processus de négociation. »
Ces ajouts au projet de loi 99 permettraient de baliser la route que le Québec pourra décider un jour d’emprunter vers la souveraineté et fera oeuvre de clarification. Pour les juristes québécois, canadiens et internationaux, et pour la contestation judiciaire qui suivra certainement l’adoption des deux lois, une comparaison des textes de votre loi ainsi modifiée, de l’Avis de la Cour suprême et de la loi fédérale démontrera hors de tout doute que vous avez été les véritables agents de la clarification et de la convergence, alors que le gouvernement fédéral a voulu utiliser le procédé législatif, non pour clarifier les règles, mais pour se donner le dernier mot.
LA NÉCESSITÉ D’IMAGINER DES « CLAUSES DE SAUVEGARDE » DE LA DÉMOCRATIE QUÉBÉCOISE
La volonté fédérale de faire échec à la démocratie québécoise ne se limite pas au seul dépôt de son projet de loi. De trois autres façons, au moins, le gouvernement fédéral tente de peser de manière inacceptable sur les décisions des Québécois. C’est pourquoi je vous suggère d’adopter des clauses de sauvegarde de la démocratie québécoise en modifiant la loi des consultations populaires.
Les moyens extra-parlementaires utilisés par le pouvoir fédéral pour faire échec à l’expression de la démocratie québécoise sont de deux ordres :
1) Les dépenses fédérales en période référendaire proprement dite ont un impact important et contrecarrent l’intention du législateur québécois d’assurer un équilibre entre les parties, tel qu’observé lors des référendums de 1980, 1992 et 1995 ;
Encore une fois la Cour suprême du Canada, dans l’affaire Libman, a salué le travail de cette Assemblée dans la confection de sa loi sur la consultation populaire et a vigoureusement soutenu son intention d’assurer l’équilibre des dépenses lors des référendums.
On me permettra de la citer, tout le jugement est de la même eau. C’est la Cour qui parle :
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