Comment répondre à C-20

Présentation de
Jean-François Lisée

Devant la
Commission parlementaire des institutions sur le

Projet de loi no 99

Loi sur l’exercice des droits fondamentaux
et des prérogatives du peuple québécois
et de l’État du Québec

Le 15 mars 2000


Monsieur le président,
Monsieur le ministre,
Mesdames messieurs les membres de l’Assemblée nationale,

Je tiens d’abord à vous remercier de m’avoir invité à présenter certaines de mes réflexions devant vous. J’aimerais féliciter les membres du gouvernement pour leur décision de concevoir un projet de loi sur les droits fondamentaux du Québec et de le soumettre à la discussion publique. J’aimerais saluer la décision de l’Opposition officielle de participer à cette consultation, malgré la difficulté que cela pose à sa cohésion interne, à ses alliances malaisées avec son parti frère fédéral, et à son propre agenda politique. Je crois comprendre par ailleurs que les discussions au sein du caucus de l’ADQ ont rapidement mené à un consensus sur la participation du troisième parti à cette consultation. Il n’en a pas moins de mérite pour autant.

Vous n’avez pas choisi de tenir ce débat-ci à ce moment-ci. Tous autant que vous êtes, élus du peuple québécois, vous avez signifié au parti gouvernemental canadien qu’il serait inopportun, pour dire le moins, d’aller de l’avant avec son initiative. Prolongeant une tradition maintenant bien ancrée en politique libérale fédérale, l’unanimité de l’Assemblée nationale n’a pas pesé lourd – n’a pas pesé du tout – dans les décisions des membres du gouvernement libéral qui prétendent parler pour le Québec.

Mais puisque ce débat nous est imposé maintenant, il faut faire en sorte que le Québec, et que la démocratie québécoise, en sortent renforcée, plutôt qu’affaiblie.

Le projet de loi 99 fait un bon travail de circonscrire et d’affirmer les droits du Québec. Je crois cependant qu’elle ne fait pas tout le travail et qu’il n’y aura guère de meilleure occasion d’y revenir. C’est pourquoi j’ai deux séries de propositions à vous soumettre.

DES AMÉNAGEMENTS AU PROJET DE LOI 99 LUI-MÊME

La Commission devrait envisager d’effectuer des aménagements au projet de loi 99 lui-même.

Les auteurs du projet de loi 99 ont décidé d’affirmer les droits fondamentaux du Québec mais sans tenter d’établir, comme le fait le projet de loi fédéral C-20, les modalités d’accession du Québec à la souveraineté. Je soumets que c’est précisément ce qu’il faut faire. MM Chrétien et Dion, contredisant en plusieurs points l’Avis de leur propre Cour suprême, tentent de faire avaliser par la Chambre des Communes une série de cadenas à la volonté démocratique québécoise et de leur donner une légitimité législative.

L’Assemblée nationale doit répondre en inscrivant dans sa propre loi une démarche démocratique en cas de choix souverainiste des Québécois. Chacun sait que nous sommes en présence d’une Cour suprême du Canada qui a balisé dans un Avis un processus d’accession à la souveraineté presque totalement compatible avec les principes évoqués depuis un tiers de siècle par les souverainistes québécois. La compatibilité est également grande entre cet avis et les écrits des parlementaires et membres de la société civile réunis dans la Commission Bélanger-Campeau en 1990 et avec les principes inscrits par l’actuelle Opposition officielle dans sa loi 150 et avec ceux qui ont été défendus dans un passé récent par l’ADQ.

Dans la recherche d’une clarification des règles d’accession du Québec à la souveraineté, il y a donc une convergence entre l’expression des droits du Québec tels qu’interprétés par les élus du Québec et l’expression du droit canadien tel qu’interprété, à la demande du gouvernement fédéral, par le plus haut tribunal du Canada.

Il me semble opportun d’inscrire tous ces points de convergence dans la législation québécoise elle-même.

La majorité gouvernementale à l’Assemblée nationale pourrait ainsi accéder à la volonté de l’Opposition officielle de faire référence au jugement de la Cour de deux façons : d’abord en ajoutant, dans le préambule, un attendu notant l’existence de l’Avis, soulignant la convergence de l’Avis avec la démarche québécoise sur les points essentiels, et indiquant que l’Avis ne lie cependant pas juridiquement l’Assemblée nationale, ce que le juge en chef de la Cour a d’ailleurs lui-même indiqué dans une entrevue célèbre. Dans le libellé des articles de la loi, en reprenant chaque fois que c’est possible les termes mêmes de l’Avis, cette compatibilité sera établie.

Si le projet de loi 99 prenait acte de ces convergences et l’inscrivait dans sa législation, les juristes québécois, canadiens et internationaux constateraient qu’une autre assemblée parlementaire, la Chambre des communes, a adopté un texte, C-20, qui, lui, s’écarte du consensus existant entre l’Assemblée nationale et la Cour suprême et que c’est la démarche fédérale qui est fautive, pas celle du Québec ni celle de la Cour.

En conséquence, je vous suggère de modifier le projet de loi 99 :

a) Pour affirmer que le Québec fait partie de la fédération canadienne, même si cette adhésion n’a jamais fait l’objet d’une consultation démocratique de l’ensemble des Québécois;

On sait qu’en 1867, les appels répétés du parti qui allait devenir le parti libéral du Québec en faveur de la tenue d’un référendum sur l’entrée du Québec au Canada furent rejetés et qu’ensuite l’élection de l’automne 1867 qui allait confirmer, a posteriori, l’entrée du Québec dans le Canada fut tenue dans des conditions de fraude électorale telle qu’elle aurait dû être annulée à l’aune même des pratiques électorales de l’époque. Les droits démocratiques du parti qui allait devenir le PLQ et qui s’opposait à la confédération ont été bafoués de multiples façons.

Reste que l’appartenance du Québec au Canada est un fait de l’histoire, et on peut arguer que c’est grâce aux souverainistes, en 1980 et en 1995, que les Québécois ont pour les seules fois de leur existence politique voté en faveur de l’appartenance du Québec au Canada, avec des majorités qui chaque fois ont été tributaires de promesses de modifier la place du Québec au sein du Canada. Il s’agissait donc d’une acceptation conditionnelle, et de conditions jamais satisfaites, bien au contraire.

C’est pourquoi je suggère aussi les amendements suivants:

b) Pour affirmer que les modifications au contrat constitutionnel qui lie le Québec à la fédération nécessitent un consentement démocratique préalable de l’Assemblée nationale ou, lors de modifications significatives, des citoyens Québécois eux-mêmes;

c) Pour constater que la Constitution canadienne fut modifiée en 1982 sans le consentement démocratique des Québécois ou de leur Assemblée nationale et pour faire obligation à l’Assemblée nationale de ne pouvoir ratifier politiquement cette constitution qu’après avoir obtenu, par référendum, un consentement populaire;

Votre Assemblée s’est déjà prononcée, majoritairement, contre la réduction unilatérale de vos pouvoirs établis par la Constitution de 1982. Il me semble opportun de réitérer l’opposition de l’Assemblée à cette constitution d’autant que, depuis, la Cour suprême elle-même vous donne raison sur la nécessité d’asseoir tout changement constitutionnel sur le consentement démocratique. En effet, dans son Avis, la Cour parle un peu légèrement de la « souveraineté populaire qui a donné naissance à la constitution actuelle ». En associant les concepts de « souveraineté populaire » et de « référendum » (au paragraphe 75) elle sape elle-même la légitimité de la constitution de 1982.

Rejetant ensuite la « règle de la simple majorité » lorsqu’il s’agit d’opérer des modifications constitutionnelles, la Cour insiste sur l’importance de « la majorité qui doit être consultée afin de modifier l’équilibre fondamental de partage du pouvoir politique (y compris les sphères d’autonomie garanties par le principe du fédéralisme) » (76). En 1982, aucune consultation n’a eu lieu au Québec, aucune majorité, populaire ou parlementaire, n’a donné son aval.

Plus clairement encore, lorsque la Cour explique qu’il n’y a pas de remède judiciaire à une mauvaise négociation constitutionnelle, elle affirme: « il incombe plutôt aux représentants élus de s’acquitter de leurs obligations constitutionnelles d’une façon concrète que, en dernière analyse, seuls les électeurs eux-mêmes sont en mesure d’évaluer » (101).

Or, la constitution de 1982 fut « évaluée » par les électeurs québécois à l’élection de 1984 par un rejet massif du Parti libéral du Canada qui avait conçu et imposé cette constitution – on sait que dans une alliance politique historique, des organisateurs des deux principaux partis de cette Assemblée ont travaillé de concert pour faire battre les amis de M. Jean Chrétien. Puis, l’électorat québécois a désavoué directement la constitution de 1982 lorsqu’au référendum d’octobre 1992 il a rejeté à 56% une version qu’on disait améliorée de cette constitution.

Une fois établis ces principes, je pense qu’on devrait aller plus loin :

d) Pour affirmer le droit des Québécois à quitter la fédération canadienne, comme le fait déjà le projet, mais pour noter de surcroît l’aval donné par la Cour suprême à l’existence de ce droit;

e) Pour intégrer « l’exigence de clarté » proposée par la Cour suprême et appuyée par le gouvernement québécois et l’Opposition officielle québécoise;

Cette exigence de clarté ne signifie nullement qu’on prenne les Québécois pour des idiots ou qu’il faille écrire la question référendaire sous la dictée des ministres fédéraux. Terre-Neuve a fait son entrée dans le Canada en répondant à une de deux options soumises au référendum, un procédé que MM Chrétien et Dion considèrent aujourd’hui inacceptable. L’Onu a organisé depuis 10 ans deux référendums sur la souveraineté comportant deux options et le Canada a reconnu les résultats de deux référendums dans les Balkans qui comportaient en une seule question les deux concepts d’accession à la souveraineté et d’adhésion à une confédération d’États, une combinaison que le projet de loi fédéral voudrait interdire. Compte tenu du caractère extrêmement restrictif que veut imposer le gouvernement fédéral à votre liberté d’action, vous devriez au contraire affirmer votre liberté d’expression quant au projet de souveraineté que vous avez le droit de proposer aux Québécois. Ainsi, vous devriez :

f) Affirmer le droit de l’Assemblée nationale de proposer en termes clairs aux Québécois, par voie de référendum, la souveraineté du Québec ou tout aménagement nouveau des relations avec le Canada; le droit de soumettre à la consultation populaire une ou plusieurs options, de manière séparée ou combinée; le droit de demander un mandat de négocier cet aménagement ou toute autre concept que l’Assemblée jugera opportun au moment de choisir sa question référendaire;

Cet article disposerait du sujet de la clarté de la question. Resterait la clarté de la réponse. Le projet de loi 99 pose déjà comme principe la règle du 50% plus un. J’irais plus loin en notant la convergence, d’une part, avec un précédent canadien, celui de Terre-Neuve, entré au Canada avec une majorité de 52% jugée « claire et sans ambiguïté » par le premier ministre libéral fédéral de l’époque, et d’autre part, avec un principe énoncé par la Cour suprême, celui de l’équivalence entre le fait d’entrer dans un pays et le fait d’en sortir. Il s’agirait donc :

g) D’affirmer que, comme le note la Cour suprême du Canada, « L’autodétermination externe peut être décrite par l’extrait suivant de la Déclaration touchant les relations amicales de l’ONU : La création d’un État souverain et indépendant, la libre association ou l’intégration avec un État indépendant ou l’acquisition de tout autre statut politique librement décidé par un peuple constituent pour ce peuple des moyens d’exercer son droit à disposer de lui même » et que l’histoire canadienne ayant établi ce principe au point d’entrée de Terre-Neuve en 1949, il s’applique aussi au retrait éventuel du Québec ;

On objectera qu’il s’agit ici de droit externe, alors que la souveraineté du Québec se fait, selon la Cour, en droit interne. Mais puisque Terre-Neuve n’était pas une « colonie opprimée » ce n’était pas du droit externe et puisqu’elle n’était pas dans la fédération, ce n’était pas du droit interne. Quoiqu’il en soit, on ne voit pas en quoi l’effet miroir entrée-sortie établi par la Cour et par l’ONU ne s’appliquerait que dans un type de droit, et non dans les cas qui nous occupent. Posée autrement, la question est la suivante : pourquoi devrait-il être plus facile pour le Canada de l’an 2000 de se fusionner avec les Etats-Unis que pour le Québec de quitter la fédération canadienne ?

h) Pour affirmer que, si l’Assemblée nationale décidait de s’engager dans la voie de la souveraineté à la suite d’un référendum, la volonté québécoise serait de quitter la fédération de façon démocratique et négociée;

i) Pour intégrer l’obligation faite au gouvernement québécois mandaté pour réaliser la souveraineté du Québec de tenter de bonne foi, avant de déclarer cette souveraineté, de négocier les modalités de la transition avec les autres membres de la fédération canadienne;

En effet, comme vous le savez, en répondant de manière prévisible aux questions politiquement biaisées posées par le gouvernement Chrétien, la Cour a bien noté qu’elle interdisait au Québec le droit de faire une déclaration unilatérale sans négociations préalables ou du moins sans tentative de négociation. Personne ici n’invoque ce droit. Autant le dire et inscrire cette convergence dans la loi.

Ensuite, je crois qu’il faut agir:

j) Pour intégrer les sujets essentiels à aborder lors d’une négociation devant mener à la souveraineté du Québec, tels qu’envisagés par la majorité des députés de l’Assemblée nationale et par la totalité des membres de la Cour suprême;

Le gouvernement fédéral, dans sa loi C-20, outrepasse l’Avis de la Cour dans la définition qu’il donne des sujets à aborder, en y incluant notamment la question des frontières. MM Chrétien et Dion sont d’ailleurs en retrait par rapport à la liste que le ministre de la justice, Allan Rock, avait lui-même rendue publique à l’automne de 1997. Je propose de rétablir cette liste et de puiser à ces sources.

k) Reprenant les termes mêmes de la Cour, on pourrait indiquer que ces négociations « devraient traiter des intérêts des autres provinces, du gouvernement fédéral, du Québec et, en fait, des droits de tous les Canadiens à l’intérieur et à l’extérieur du Québec, et plus particulièrement des droits des minorités » francophones du Canada et anglophones au Québec; qu’elles devraient « prendre en compte » les « droits et les intérêts des autochtones » et se soucier de « l’économie nationale et de la dette nationale». Reprenant ensuite les mots du ministre Rock, on pourrait ajouter que ces négociations doivent traiter également des « droits des citoyens de se déplacer à l’intérieur du pays, du partage de la dette et des biens publics, de l’utilisation de la monnaie et une foule d’autres questions ». Insérant ensuite, et dans la foulée, les objectifs de négociation du gouvernement québécois, on pourrait ajouter vouloir négocier notamment la possibilité, pour les citoyens qui le désirent, d’avoir à la fois, et à certaines conditions raisonnables que le gouvernement canadien pourra établir, la citoyenneté québécoise et la citoyenneté canadienne, mais en principe pas le droit de vote aux élections canadiennes – afin de protéger notamment les droits des citoyens québécois attachés au Canada, notamment les Anglo-québécois. Le texte de loi ferait obligation au gouvernement du Québec de s’engager à tout mettre en oeuvre pour assurer le succès de ces négociations, et l’autoriserait à rechercher à cette fin la conclusion d’un traité de partenariat économique et politique avec le Canada et à procéder à une transition ordonnée vers la souveraineté.

Ayant établi les termes de la négociation, les objectifs convergents des deux parties et ceux du gouvernement du Québec, on pourrait alors ajouter un article :

l) Pour intégrer la reconnaissance, par la Cour suprême du Canada, de l’obligation qu’auront les autres parties à la fédération de négocier avec un gouvernement québécois investi d’un mandat référendaire clair de quitter la fédération;

m) Pour concourir à l’avis de la Cour suprême que seules les « parties à la Confédération » — soit le gouvernement fédéral et les autres provinces d’une part, le gouvernement du Québec d’autre part – participeront à la négociation proprement dite;

Dans son projet de loi, le gouvernement fédéral se donne le droit de compliquer la négociation en y intégrant d’autres participants (par l’utilisation du mot « notamment »). Cette disposition contrevient à l’Avis de la Cour. Le Québec doit cependant s’engager à associer à son équipe et à sa stratégie de négociation les minorités québécoises et canadiennes dont il voudra défendre les droits pendant cette négociation. Il faudrait ainsi :

n) Affirmer la volonté du gouvernement québécois de se faire assister, pour les fins de la négociation, de comités consultatifs existants ou à venir formés de représentants des nations autochtones du Québec, de la minorité anglophone du Québec et des communautés francophones et acadiennes hors Québec, dont il s’engage à défendre les intérêts et les droits lors des négociations;

Il faut ensuite parler du processus de ratification de l’entente qui découlerait de ces négociations :

o) Pour affirmer l’attitude qu’adopterait l’Assemblée nationale envers le processus de ratification d’une entente, telle que préfigurée par le rapport de la Commission Bélanger-Campeau;

On sait que le processus de ratification prévu au projet de loi fédéral est totalement irréaliste, car non seulement il a conduit au rejet de l’accord du lac Meech, mais il suppose dorénavant la tenue de référendums dans trois provinces. Ce processus signifierait donc que des parlementaires fédéraux devraient faire campagne en Ontario, par exemple, pour convaincre les citoyens de voter Oui à un référendum permettant la sécession du Québec. De passage à Ottawa le mois dernier devant le comité législatif de la Chambre des Communes examinant le projet de loi C-20, j’ai demandé s’il y avait des parlementaires prêts à commettre un tel suicide politique. Personne n’a levé la main.

Dans un moment de lucidité, la ministre fédérale de la justice, Anne McLellan, a elle même jugé irréaliste l’adoption de cette procédure, et proposé l’invention d’une procédure nouvelle. Elle a déclaré en février 1998 que le Canada serait face à « des circonstances tellement extraordinaires qu’elles ne sauraient être traitées dans le cadre constitutionnel existant. Il faudrait probablement alors reconnaître la nature extraordinaire de l’événement et déterminer un processus en conséquence. »

M. Dion lui même n’a jamais pu expliquer ce que ferait le gouvernement fédéral devant le refus d’une province de ratifier l’amendement constitutionnel qui permettrait au Québec de quitter la fédération.

Dans son Avis, la Cour se garde bien de porter quelque jugement que ce soit sur le processus de modification constitutionnelle, mais sent suffisamment la difficulté pour évoquer sans ambages les risques d’échec de la négociation donc, a fortiori, de la ratification.

Le premier ministre Bouchard avait déjà tracé la voie, dans un discours à l’Assemblée Nationale en mai 1996, citant d’abord le rapport de la Commission Bélanger-Campeau, signé notamment par MM Bourassa, Parizeau, Bouchard et Ryan et selon lequel « si les autres membres de la fédération y consentaient, l’accession du Québec au statut d’État indépendant pourrait se faire par accord; les modifications constitutionnelles requises pourraient être préparées et les divers arrangements de transition négociés préalablement ». Mais en l’absence d’un accord, et de modifications constitutionnelles, le Québec devrait opter, écrivait la commission Bélanger-Campeau, pour un « processus de sécession unilatérale ». M. Bouchard reprenait cette flexibilité à son compte en 1996, affirmant que, dans l’année prévue par le projet souverainiste pour préparer la transition après un vote positif, « si le Canada et les provinces veulent utiliser cette période pour régler leurs problèmes de droit interne et adopter des amendements appropriés, le gouvernement du Québec ne s’y opposera pas ». Cependant il ajoutait que « si le Canada veut nous imposer des veto, nous retenir dans la fédération contre notre gré, nous allons nous en retirer en proclamant unilatéralement la souveraineté ».

Je crois qu’il faudrait codifier cette attitude – y compris la période habilitant le Canada de régler ses problèmes de droit interne, mais sans se coller à une procédure particulière (c’est leur problème, pas le nôtre) — dans le texte de la loi québécoise.

Passé, donc, un délai de quelques mois pour permettre aux provinces canadiennes d’adopter une entente que le Québec aurait de toute évidence négocié de bonne foi, le recours à une déclaration unilatérale d’indépendance serait parfaitement justifié et justifiable devant l’opinion publique interne et externe. Et alors l’entente, même non ratifiée, serait le passeport de la transition, s’imposerait à l’acteur principal, Ottawa

Il faut cependant aussi noter le risque d’échec de la négociation elle-même et :

p) Intégrer la reconnaissance, par la Cour suprême du Canada, de la capacité qu’aura le Québec de déclarer unilatéralement sa souveraineté après avoir tenté de négocier avec le reste du Canada, et du fait qu’un « Québec qui aurait négocié dans le respect des principes et valeurs constitutionnels, face à l’intransigeance injustifiée d’autres participants au niveau fédéral ou provincial, aura probablement plus de chances d’être reconnu (sur la scène internationale) qu’un Québec qui n’aurait pas lui-même agi conformément aux principes constitutionnels au cours du processus de négociation. »

Ces ajouts au projet de loi 99 permettraient de baliser la route que le Québec pourra décider un jour d’emprunter vers la souveraineté et fera oeuvre de clarification. Pour les juristes québécois, canadiens et internationaux, et pour la contestation judiciaire qui suivra certainement l’adoption des deux lois, une comparaison des textes de votre loi ainsi modifiée, de l’Avis de la Cour suprême et de la loi fédérale démontrera hors de tout doute que vous avez été les véritables agents de la clarification et de la convergence, alors que le gouvernement fédéral a voulu utiliser le procédé législatif, non pour clarifier les règles, mais pour se donner le dernier mot.

LA NÉCESSITÉ D’IMAGINER DES « CLAUSES DE SAUVEGARDE » DE LA DÉMOCRATIE QUÉBÉCOISE

La volonté fédérale de faire échec à la démocratie québécoise ne se limite pas au seul dépôt de son projet de loi. De trois autres façons, au moins, le gouvernement fédéral tente de peser de manière inacceptable sur les décisions des Québécois. C’est pourquoi je vous suggère d’adopter des clauses de sauvegarde de la démocratie québécoise en modifiant la loi des consultations populaires.

Les moyens extra-parlementaires utilisés par le pouvoir fédéral pour faire échec à l’expression de la démocratie québécoise sont de deux ordres :

1) Les dépenses fédérales en période référendaire proprement dite ont un impact important et contrecarrent l’intention du législateur québécois d’assurer un équilibre entre les parties, tel qu’observé lors des référendums de 1980, 1992 et 1995 ;

Encore une fois la Cour suprême du Canada, dans l’affaire Libman, a salué le travail de cette Assemblée dans la confection de sa loi sur la consultation populaire et a vigoureusement soutenu son intention d’assurer l’équilibre des dépenses lors des référendums.

On me permettra de la citer, tout le jugement est de la même eau. C’est la Cour qui parle :

 

  • « L’objectif de la loi est d’abord égalitaire en ce qu’elle vise à empêcher les éléments les plus fortunés de la société d’exercer une influence disproportionnée en dominant le débat référendaire par des moyens supérieurs. Il s’agit en quelque sorte d’une égalité de participation et d’influence entre les tenants de chaque option. »
  • « En second lieu, du point de vue de ceux qui votent, le régime vise à permettre un choix éclairé en s’assurant que certaines positions ne soient pas enterrées par d’autres. »
  • « Finalement, et de façon connexe, le régime vise à préserver la confiance de l’électorat dans un processus démocratique qu’il saura ne pas être dominé par la puissance de l’argent. Les dépenses des comités nationaux sont soumises à un plafonnement afin que les tenants de chaque option disposent de moyens financiers équivalents pour s’adresser à la population. La limitation des dépenses en période référendaire est primordiale pour garantir le caractère juste et équitable de la consultation populaire. »Or on sait que lors du référendum de 1980, votre Assemblée avait fixé à 2,1 million de dollars la somme que chaque camp pouvait dépenser pendant la campagne proprement dite. On a appris depuis que le ministre fédéral des finances avait doté le Centre d’information pour l’unité canadienne d’un budget de 10,3 millions de dollars qui fut totalement dépensé entre le début de l’année fiscale, le premier avril 1980, donc à quelques jours du début de la campagne, et la fin mai, donc à sa clôture. Bref, sans même compter les frais fixes et sans prendre en compte la publicité fédérale pro-canadienne qui n’a pas cessé pendant la campagne, le camp du Non a disposé en 1980 de cinq fois plus d’argent que le camp du Oui.

    Les principes d’équilibre exigés par votre Assemblée et appuyés par le plus haut tribunal du pays ont été foulés au pied.

    De même lors de la campagne référendaire de 1995, votre Assemblée avait fixé à 5 millions de dollars les dépenses autorisées pour chacun des deux camps. Or des publicités fédérales qu’un document du Conseil privé désignait spécifiquement comme faisant partie de l’effort référendaire canadien ont continué à être diffusées pendant la campagne référendaire proprement dite sans être soumises à cette comptabilité et, de plus, on a appris qu’une somme de quatre millions de dollars a été octroyée à l’organisme Option Canada immédiatement avant le déclenchement de la campagne et qu’il ne restait plus rien de cette somme une fois la campagne terminée. Le Directeur général des élections a également constaté que des sommes considérables, non autorisées, ont été dépensées pour l’organisation de la grande manifestation du Non, à Montréal, quelques jours avant le référendum.

    Bref, il appert que, à même les fonds fédéraux, le camp du Non a bénéficié en 1995 d’au moins deux fois la somme autorisée par votre Assemblée, en contravention à vos principes et à ceux qu’applaudit désormais la plus haute cour du pays.

    Dans l’affaire Libman, la Cour suprême affirme « la nécessité d’empêcher une distribution inégale des ressources financières entre les options qui saperait l’équité du processus référendaire ».

    Voici comment je vous suggère d’agir pour y parvenir, en faisant trois choses : en disciplinant le gouvernement québécois lui-même ; en lançant un appeldans la législation au respect de cette discipline par le gouvernement fédéral et les autres gouvernements canadiens, qui ne sont malheureusement pas juridiquement liés par la loi québécoise ; puis en édictant des mesures et des sanctions pour que cette discipline soit respectée, sur le terrain, par ceux qui livrent les services. Ainsi la loi sur la consultation populaire ferait en sorte de :

    a) Interdire au gouvernement québécois, aux organismes publics et parapublics sous son contrôle, aux organisations qu’il subventionne pour la plus grande part et à toute autre entreprise dont il répond, d’effectuer pendant la campagne référendaire et sans l’autorisation expresse de l’un ou l’autre des comités référendaires légalement constitués pour le référendum, des dépenses de quelque nature que ce soit qui pourraient avoir pour effet d’influencer les électeurs dans leur choix; inviter le gouvernement canadien et tout autre gouvernement extérieur au Québec à se plier volontairement aux mêmes exigences;

    b) Interdire au gouvernement québécois, à ses ministères, sociétés d’État, organismes qu’il contrôle pour la plus grande part et autres de procéder, pendant la campagne référendaire, à des campagnes de publicité télévisées, radiophoniques ou imprimées sur quelque sujet que ce soit, sauf en cas de danger imminent pour la santé ou la sécurité publique; inviter le gouvernement du Canada et tout autre gouvernement extérieur au Québec à se plier volontairement aux mêmes exigences;

    c) Interdire aux entreprises agissant sur le territoire québécois de faciliter de quelque façon que ce soit, moyennant paiement ou gratuitement, par leur action ou leur inaction pendant la campagne référendaire, l’exécution de quelque dépense que ce soit, la diffusion de quelque publicité ou pamphlet de propagande de quelque source que ce soit, qui ne serait pas autorisée par un des deux comités référendaires;

    Même si le gouvernement fédéral refuse de se plier à l’exigence d’équité référendaire portée aux nues par sa propre Cour suprême, il lui serait ainsi de facto quasi impossible de procéder à la plupart de ses dépenses pendant la campagne référendaire. Ottawa ne pourrait être empêché de passer des commandes – mais on pourrait empêcher, pour l’essentiel, qu’elles soient exécutées. On ne peut, bien sûr, bloquer la totalité des dépenses fédérales, surtout occultes : les cinq millions d’Option Canada de 1995, par exemple, échappent encore à tous les écrans radar. En télévision, les diffuseurs comme Radio Canada et TVA échappent à l’autorité de l’Assemblée nationale, mais la pression politique qui serait exercée par l’adoption de ces dispositions législatives, un appel direct du DGE et du président de l’Assemblée nationale, un recours préalable à l’Ombudsman de Radio Canada pourraient conduire leurs responsables à s’y conformer, par simple respect de l’électorat… et des auditeurs.

    2) L’appareil fédéral est désormais mis à profit pour modifier le rapport de forces le jour du scrutin, tel qu’observé lors du référendum de 1995;

    L’extraordinaire effort entrepris en 1995 par les services fédéraux de l’immigration pour accélérer la naturalisation de citoyens canadiens résidant au Québec a mis au jour une pratique systématique, soit l’utilisation politique partisane de la citoyenneté. Depuis les années 60, lorsque le Parti libéral du Canada est au pouvoir à Ottawa et qu’une élection est prévisible prochainement au niveau fédéral ou dans une des trois provinces principalement visées par l’immigration soit l’Ontario, le Québec et la Colombie-Britannique, on assiste à une accélération du processus de naturalisation dans l’année et les mois qui précèdent le vote. Lorsque le Parti progressiste conservateur est au pouvoir à Ottawa, le contraire se produit.

    Chacun sait que les nouveaux Canadiens votent pour les candidats libéraux, provinciaux et fédéraux, en plus forte proportion que pour les autres partis – et c’est leur droit le plus strict.

    Il appert cependant que la pratique des deux grands partis fédéraux d’accélérer ou de décélérer le processus de naturalisation à des fins politiques fédérales et provinciales est une entorse au principe d’équité et de démocratie, car elle politise un processus d’accession à la citoyenneté qui devrait être au-dessus de tout soupçon et suivre une vitesse de croisière insensible aux calendriers électoraux.

    Jamais, cependant, l’accélération n’avait été aussi forte que dans les 20 mois précédant la campagne référendaire de 1995. Pendant le seul mois d’octobre 1995, la bureaucratie fédérale, travaillant même les fins de semaine, a fait des miracles, naturalisant 11 500 personnes en quatre semaines, soit un bond de 250% par rapport au mois précédent, de 300% par rapport au même mois de l’année précédente, de 440% par rapport au même mois de 1993. Jamais une telle augmentation n’a été enregistrée avant une autre élection, provinciale ou fédérale.

    L’opération n’est pas passée inaperçue pendant la campagne référendaire elle-même. Au-delà des problèmes d’éthique politique et démocratique posés, et sans compter le doute qui s’installe sur le respect, à cette cadence, des procédures fédérales de naturalisation elles-mêmes, cet événement n’a pas été de nature à jeter des ponts entre la communauté francophone, qui a voté majoritairement Oui, et les Québécois issus de l’immigration, qui votent majoritairement Non, comme c’est leur droit. En utilisant les Québécois issus de l’immigration à des fins partisanes, en détournant le cours normal du processus de naturalisation, le gouvernement fédéral ne contribue pas au lien de confiance qui doit s’établir entre toutes les communautés du Québec.

    Mes calculs indiquent que si Ottawa avait respecté la vitesse de croisière de la naturalisation pendant la décennie, le résultat référendaire de 1995 aurait été modifié et le Non l’aurait emporté avec 50,4% plutôt qu’avec les 50,6% qu’il a obtenus. C’est toujours, comme le dirait McKenzie King, une majorité « claire et sans ambiguïté ». Je ne partage donc pas les doutes que mon ami Bernard Landry a évoqués sur un possible renversement du vote causé par cette pratique. Cependant il faut admettre que si le Non l’avait emporté avec 50,1% des voix, cette majorité aurait été totalement attribuable à l’utilisation politique de la naturalisation.

    Nous savons donc que, s’il devait y avoir un autre référendum sur la souveraineté, au moins 18 mois avant la tenue du vote, s’il est possible de la prévoir si longtemps à l’avance, le cabinet fédéral ordonnera la répétition de cette pratique maintenant éprouvée. Nous le savons parce que Mme Robillard, alors ministre responsable, a déclaré que si des circonstances semblables se représentaient, le gouvernement fédéral procéderait de la même manière.

    Toute tentative de contrer cette manoeuvre fédérale doit être fondée sur la démonstration de l’utilisation partisane, donc répréhensible, qu’Ottawa fait de la naturalisation. Démonstration qui doit être préférablement présentée en commission parlementaire, puis devant des tribunaux. Pour y arriver il faudrait, là aussi, amender la loi de la consultation populaire.

    Il faut savoir que le droit d’un citoyen de voter n’est pas absolu. Dans toutes les provinces, y compris au Québec, il ne suffit pas d’être citoyen majeur pour avoir le droit de vote. Une condition a été attachée, et confirmée par la Cour suprême : le critère de domicile. Pour avoir le droit de vote, il faut que le citoyen ait été domicilié dans la province pendant au moins six mois. Avant 1989, la règle québécoise, parfaitement légale, était de 12 mois. Pour qu’un citoyen québécois ayant déménagé hors Québec ait le droit de vote à une élection québécoise, il doit avoir été domicilié au Québec, avant son départ, pendant au moins 12 mois. Et il ne peut exercer ce droit que pendant deux ans.

     

    Donc : la citoyenneté n’est pas un critère absolu. On peut lui adjoindre des conditions. Des amendements à la loi québécoise pourraient :

    a) établir que pour voter à une élection ou à un référendum québécois, il faut avoir acquis la citoyenneté canadienne depuis au moins 12 mois ( ou 20 mois, la période pendant laquelle le gouvernement fédéral a mené son opération pré-référendaire de 1994-1995);
    b) cette condition sera levée lorsque sera déposé à l’Assemblée nationale un rapport d’enquête qui établira hors de tout doute raisonnable que le gouvernement fédéral, ses ministères et agences ont mis fin pour l’avenir prévisible à leur pratique d’utiliser le rythme de naturalisation des nouveaux citoyens à des fins partisanes sur le territoire du Québec;
    c) ce rapport sera préparé et déposé à date fixe tous les deux ans, ou plus fréquemment si nécessaire, par un panel de trois personnes, nommées par le gouvernement à partir d’une liste formée d’abord des titulaires ou anciens titulaires des postes de Directeur général des élections, Vérificateur général, Protecteur du citoyen du Québec, ensuite d’anciens Présidents de l’Assemblée nationale, ces personnes ayant toutes été nommées de façon non partisane par agrément du gouvernement et de l’opposition officielle à l’Assemblée nationale;

    Il fait peu doute que ces dispositions seraient immédiatement contestées devant les tribunaux, probablement en invoquant l’article 15 de la Charte fédérale des droits, qui stipule que tous les citoyens sont égaux. Tant mieux. Cela permettrait au gouvernement québécois de faire, en Cour, la démonstration de la nature partisane de la pratique fédérale et d’argumenter qu’il est donc raisonnable, en vertu de l’article premier de la Charte, de poser la condition ici imaginée. Des preuves pourraient être déposées, des témoins entendus. Il serait probablement possible d’établir, par exemple, que des personnes ont acquis la citoyenneté dans la précipitation de 1995 sans satisfaire aux exigences de la loi fédérale sur la connaissance d’une des langues officielles. Il n’est pas certain que le Québec perdrait cette bataille judiciaire, en tous cas pas à tous les paliers. À supposer que la Cour suprême vienne invalider ces dispositions en invoquant l’article 15, il serait toujours loisible au gouvernement québécois d’invoquer la clause nonobstant pour les rétablir, jusqu’à ce que la preuve soit faite que la pratique fédérale partisane a cessé.

    Si, par contre, la Cour suprême invalidait les dispositions en fonction d’un autre article, sur lequel la clause nonobstant n’a pas de prise;, il resterait toujours la pression morale. Le président de l’Assemblée nationale, dûment mandaté par une majorité de députés, ou alors les trois juges de la Cour du Québec qui forment le « Conseil du référendum » prévu par la loi québécoise, pourraient, par déclaration publique et missive individuelle, s’adresser à tous les juges canadiens de la citoyenneté et à tous les fonctionnaires fédéraux de l’immigration oeuvrant au Québec pour les inviter formellement à ne pas se prêter à une manipulation politique. Par ailleurs, il pourrait être annoncé que des observateurs membres des services juridiques de l’un ou l’autre des comités référendaires seront présents aux cérémonies d’assermentation (événements publics) pour vérifier que la loi fédérale, au moins, est appliquée correctement ; faute de quoi le mécanisme fédéral de plaintes pourrait être immédiatement enclenché. La dissuasion est souvent une arme aussi efficace que l’interdiction.

    3) Sur des mesures aptes à contrer la tentation partitionniste du gouvernement canadien et de l’Opposition officielle fédérale.

    J’en viens à ma dernière proposition de « clause de sauvegarde » de la démocratie québécoise, qui porte sur un phénomène absolument inédit dans une démocratie occidentale moderne : nous sommes en présence d’un parti de gouvernement, à Ottawa, et d’une opposition officielle, à Ottawa, qui appuient ouvertement le principe de la partition.

    Depuis plus de dix ans, alors la question est fréquemment soulevée, la communauté internationale, les hommes et les femmes de gouvernement responsables et les juristes internationaux oeuvrent chaque fois pour fermer cette porte, dans les pays baltes nouvellement indépendants, en Europe centrale, dans les Balkans. Partout dans le monde civilisé, alors que les souverainetés d’ex-provinces se multiplient, la partition de ces provinces devenues États est une idée mise au ban de l’histoire, jamais présentée comme une solution souhaitable, et seulement acceptée à regret et a posteriori, après que des brutes eurent fait parler les armes et fait couler le sang. Partout, sauf au Canada.

    Le Québec est en présence de ce que les Américains appellent un « danger clair et immédiat ». Le gouvernement fédéral a inséré dans son projet de loi la question des frontières du Québec le ministre fédéral des affaires intergouvernementales fait depuis quatre ans la promotion de l’idée de partition du Québec. Il faut savoir aussi que l’opposition officielle aux Communes, le Reform Party, a déposé un projet de loi qui ferait en sorte que chaque circonscription frontalière avec le reste du Canada et ayant voté majoritairement Non resterait automatiquement en territoire canadien (un sondage CROP-L’actualité avait pourtant démontré en 1996 que mêmes les électeurs du Non de l’Outaouais qui disent accepter le principe de la partition, refuseraient en majorité de se détacher du Québec. Il serait donc pour le moins excessif de leur imposer cette partition sous le seul prétexte qu’ils auraient voté Non). De plus, le Reform affirme que si le gouvernement fédéral n’est pas satisfait de la question référendaire posée par l’Assemblée nationale, Ottawa devrait organiser son propre référendum au Québec et demander à chaque « collectivité » si elle veut quitter le territoire québécois. Le texte du Reform est ainsi rédigé que le village de Jean Chrétien, en Mauricie, pourrait se détacher du centre du Québec et rester canadien.

    Il y a une façon de se prémunir contre ce danger clair et immédiat et de rendre au gouvernement fédéral la tâche extrêmement difficile: la solution développée par les Nations Unies, l’an dernier.

    En 1999 au Timor oriental, lors du référendum organisé de A à Z par les Nations Unies, les responsables craignaient que le gouvernement indonésien ou des groupes de pression intérieurs au Timor oriental n’utilisent les résultats des scrutins locaux pour dépecer le territoire de la province. Notez la nuance : Onu le craignait, mais n’en avait pas la certitude. Avec le projet de loi du couple Chrétien/Dion, la menace est explicite. Avec la proposition du Reform, la menace deviendrait politique officielle du Canada.

    Dans sa grande sagesse, le secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, fort d’une délégation de pouvoir que lui a donné en juin 1999 le Conseil de sécurité des Nations Unies où siégeait le représentant du gouvernement du Canada, a décidé de contrecarrer les visées partitionnistes en… éliminant le comptage local des bulletins.

    Le contingent de l’Onu chargé du vote, qui avait des observateurs, dont des Canadiens, dans chaque bureau de scrutin, a fait en sorte de transporter chaque boîte de scrutin, accompagnée par son observateur, vers un centre régional dès la clôture du vote. Dans les briefings donnés à la presse locale et internationale, les responsables des Nations Unies ont même demandé aux journalistes de ne pas interroger les observateurs à la sortie des bureaux de scrutin, tellement forte était leur volonté qu’il « n’y ait aucune possibilité d’identifier un village en particulier pendant le vote » et d’empêcher « toute fuite ». Au centre régional, des contrôleurs s’assuraient qu’ils avaient la totalité des boîtes de scrutin puis… les envoyaient à la capitale du Timor Oriental, Dili, où tous les votes étaient dépouillés sous la surveillance d’observateurs étrangers. Un seul résultat, national, fut compilé et annoncé au monde.

    Quel magnifique système ! Au Québec, on pourrait prévoir le même en cas de référendum national sur le statut politique du Québec, ou sur des questions sociales majeures. Le Québec pourrait prendre sur lui d’inviter des observateurs internationaux pour le vote. Pourquoi pas? Plus la communauté internationale sera impliquée, plus elle sera encline à condamner un refus fédéral de reconnaître le résultat ou de dépecer le territoire. Les observateurs accompagneraient les boîtes de scrutin et superviseraient le dépouillement, centralisé dans la capitale nationale, Québec. À la rigueur, et si on ne veut pas prendre l’avion de peur de perdre tout un chargement – une objection valide – on pourrait procéder à des dépouillements régionaux : Grande région métropolitaine, Ouest du Québec et ainsi de suite. On pourrait décider, ou non, de révéler les résultats par grandes régions.

    Le danger partitionniste est réel pour une seule raison : le gouvernement du Canada l’alimente. Le Québec a toutes les raisons de s’inspirer d’un exemple étranger, inventé par les Nations Unies, approuvé par le Canada, et qui serait un atout supplémentaire en faveur de la paix civile.

    Ces dispositions pourraient également être insérées dès ce printemps dans la loi sur les consultations populaires. Elles livreraient deux bénéfices marginaux considérables en démocratie : d’abord, elles permettraient de respecter le secret du vote, même dans des bureaux de scrutin qui auraient voté à 100% pour le Non, comme cela s’est produit dans Côte Saint-Luc en 1995, ou à 100% pour le Oui, comme à l’île d’Anticosti; ensuite, le soir d’une victoire ou d’une défaite, personne ne pourrait se fonder sur des résultats locaux pour accuser tel ou tel groupe d’être responsable du résultat. Tous les votes seraient absolument, indubitablement, égaux.

    Que le Québec soit province ou pays, le sentiment d’appartenance de tous les citoyens à une même communauté civique serait renforcé par la décision réfléchie et délibérée de ne dépouiller les votes qu’au niveau national chaque fois que la question référendaire soumise à discussion ne porte pas sur un enjeu local, de circonscription ou régional. Si les Québécois devaient un jour être consultés par référendum sur la place de la religion à l’école, l’avortement, le divorce, la peine de mort ou le clonage, pourquoi ne pas faire exprès de faire parler le peuple en entier, sans vouloir connaître (autrement que par sondages) les variations locales, ethniques, linguistiques, de son opinion ? Si on tient à faire parler les Québécois par sections géographiques, il existe un autre moyen: l’élection des députés.

    Conclusion

    Si votre Assemblée devait intégrer à ses législations tout ou partie des propositions que je viens de décrire, elle ferait en sorte de démontrer à la fois sa bonne foi, son respect des principes démocratiques, sa convergence avec l’opinion émise par le plus haut tribunal du Canada. Le texte ainsi modifié illustrerait également, par contraste, le refus du gouvernement fédéral d’adhérer à ces principes et les infractions à la démocratie qu’il commet. L’adoption de ces dispositions serait le meilleur signal que vous puissiez envoyer aux Québécois, à l’opinion canadienne et internationale, mais également aux parlementaires et démocrates canadiens qui seraient en présence d’un texte réellement respectueux de la démocratie, provenant du Québec, et pourraient mieux juger de la mixture nocive que veut leur faire avaler le gouvernement canadien.