Concours d’élégance: Journal de Montréal 1 / La Presse 0

Quand on lance dans la mare un pavé, on s’attend à se faire éclabousser. Surtout par le crocodile qui le reçoit entre les deux yeux. C’est donc en parfaite connaissance de cause que j’attendais les contre-punches que me vaudrait la publication de Comment mettre la droite K.-O. en 15 arguments. Quelques textes assez raides, du domaine de l’opinion, ont été publiés. Normal. Mais je me donne le droit de répliquer quand on déforme les faits ou qu’on s’attaque à mon honnêteté intellectuelle. C’est ce qui s’est produit, à mon humble avis, dans des textes publiés par Alain Dubuc dans La Presse de vendredi et par Richard Martineau dans Le Journal de Montréal de samedi.

Étant relativement rapide sur le clavier, j’ai demandé si je pouvais envoyer un texte de réponse. On m’a dit oui. Ma réponse à Martineau fut publiée ce mardi dans Le Journal de Montréal  et celle à Dubuc fut… refusée ! André Pratte, responsable des textes d’opinion, m’a écrit que ma réplique tenait de l’attaque personnelle et que je déformais les propos de Dubuc. Cela m’a laissé un peu perplexe car Dubuc m’avait attaqué personnellement et avait déformé mes propos .  Tout de même, perméable à la critique, je répondis à André Pratte que je pouvais faire quelques changements (c’était déjà arrivé dans le passé) mais il a maintenu son refus de publication. « Tu auras l’air fin, ai-je écrit, lorsque le Journal de Montréal publiera ma réplique et pas toi. » En vain. Même l’idée de sembler plus réfractaire à la critique que Quebecor n’a pas réussi à le faire fléchir.

Je me suis dit que mon papier devait être très brutal pour entraîner un tel refus. Je l’ai donc fait relire par un de mes amis qui fut longtemps au Conseil de presse. Il n’y a pas vu de quoi fouetter un éditorialiste-en-chef et m’affirma qu’il l’aurait publié dans sa propre publication s’il s’était agi d’une réponse à un de ses chroniqueurs.

Donc voici, en exclusivité mondiale, ma réponse à Alain Dubuc. Je vous reviens ensuite pour quelques commentaires supplémentaires.

Le « néo-jovialiste » contre-attaque

Par Jean-François Lisée

dubucJ’ai beaucoup appris en lisant la chronique que mon collègue Alain Dubuc a consacrée à mon dernier ouvrage (Comment mettre la droite K.-O. en 15 arguments, Stanké) ce vendredi (Les méfaits du ‘néo-jovialisme’). D’abord, j’ai appris que M. Dubuc n’était pas de droite. Enfin, il le dit. Disons qu’il cache bien son jeu.

J’apprends ensuite avec une joie manifeste que Dubuc pense qu’il « y a toute une réflexion à faire sur les liens entre la richesse, le niveau de vie, la qualité de vie et la répartition des revenus. Un exercice d’une grande complexité qui exige un sens de la nuance. »

Je crois avoir fait avec l’estimé économiste Pierre Fortin une contribution importante et nuancée à cette réflexion en comparant la richesse, le niveau et la répartition des revenus des  Québécois et des Américains pour conclure que l’immense majorité des Québécois ont, à temps de travail égal, un niveau de vie supérieur à celui des Américains.

Mais le goût nouveau de Dubuc pour la nuance signifie-t-il qu’il va arrêter d’écrire que les Québécois sont plus pauvres que les Louisianais – une absurdité qu’il a plusieurs fois commise, ajoutant que les Québec est à plusieurs égards « médiocre », a « quelque chose de tiers-mondiste » et que les Québecois sont  des « cocus contents ».

Mon autre découverte est moins agréable. Auparavant, je lisais Dubuc en tenant pour acquis que ses faits étaient exacts, même si ses opinions pouvaient être contestables. Mais il réussit à empiler deux faussetés à mon sujet dans une seule phrase :

« Peut-on sérieusement, sur la foi des données d’une seule année, de surcroît 2009, celle de la récession, proclamer que le Québec est un «champion» de la productivité? »  J’ai écrit au contraire que l’augmentation de la productivité québécoise avait été trop faible depuis dix ans et noté pour m’en réjouir que si, en 2009 les Québécois ont été les « champions de l’augmentation de la productivité », ce qui est indéniable, il était essentiel de garder ce rythme. J’ai ensuite réitéré davantage de propositions pour augmenter la productivité que ce que j’ai trouvé, en cherchant bien, dans les bouquins de Dubuc.

Car pendant que Dubuc faisait courageusement le tour des Chambres de commerce pour y faire « L’éloge de la richesse » [le titre de son livre de 2006], je faisais le tour des assemblées et congrès syndicaux  pour les appeler à changer de culture, à se transformer en agents actifs de l’augmentation continue de l’efficacité et de la qualité des services publics. J’étais ravi d’être invité, ce printemps, au congrès de la Fédération des infirmières qui a pris ce virage en s’inspirant, m’ont-elles dit,  de mes écrits.

Dubuc aura beau me traiter de « néo-jovialiste », je n’arrêterai pas de proposer des réformes importantes en éducation, en économie, en énergie, qui enrichissent le Québec sans appauvrir les Québécois.

J’oubliais ! Dubuc me reproche d’avoir mis K.-O. d’innocents arbres pour publier mon ouvrage. Je suis heureux de l’informer  que le livre fut imprimé sur papier 100% recyclé.

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Bon. Comme je déteste la malhonnêteté intellectuelle et que j’ai du respect pour André Pratte, je suis retourné lire le livre de Dubuc de 2006 pour voir si j’avais vraiment déformé ses propos.

Au sujet de la Louisiane, c’est net. Il admet que cette société est coupée en deux entre riches et pauvres, mais il ajoute que « pourtant, sur papier, la Louisiane a un niveau de vie plus élevé que celui du Québec » (p21). Il le redit ensuite, affirmant que  (p.26) que « la véritable surprise, en fait, c’est que nous soyons vraiment au fond du panier et que nous soyons devancés par des régions perdues et démunies ».

Au sujet des « cocus contents » – le titre d’un chapitre — il est vrai qu’il ne désigne pas la totalité des Québécois. Il ne s’inclut pas, par exemple, dans ce nombre. Mais il pointe du doigt ceux qui se montrent satisfaits de la situation économique québécoise et ne la croient pas en péril. Ce qui, selon un sondage récent, englobe 72% de la population, selon laquelle le Québec est dans une situation comparable ou plus enviable que les autres pays industrialisés. (Transparence totale: il me désigne nommément, enfin je le crois, car il ne sait pas orthographier mon nom de famille.)

Pour ce qui est du tiers-mondisme, il nous frappe en plein visage dans la première phrase du livre:

« Chaque fois que je reviens au Québec, après un voyage en Europe ou tout simplement un petit tour aux États-Unis, j’ai le même choc, le sentiment de revenir dans un pays qui a quelque chose de tiers-mondiste ».

Nous sommes d’ailleurs, et c’est le titre du chapitre 2, « les nouveaux nègres blancs d’Amérique », dans le peloton de queue avec « le Mississipi », ajoute-t-il en exergue.

Au sujet finalement du caractère médiocre de notre économie, on ne peut pas se tromper, c’est l’exergue du chapitre 3:

« Le Québec ne brille pas parmi les meilleurs. Il se classe en fait parmi les moins riches des pays riches. Un niveau de vie qui n’est ni horrible, ni scandaleux. Seulement médiocre. »

Alors, vraiment, je crois avoir très exactement rendu la pensée d’Alain Dubuc. En fait, lorsqu’on la lit en contexte, c’est pire.

D’autant qu’il feint d’être mesuré. Voyez la mise en parallèle de quelques phrases:

ICI: Peut-on parler du Québec sans parler d’effondrement imminent, sans crier au loup […] ?

LÀ: Des menaces très sérieuses pèsent sur nos acquis. Le Québec se dirige tout droit vers un déclin, vers une baisse de son niveau de vie relatif.

ICI:  C’est le pari de ce livre, éviter la caricature, essayer de mesurer l’état de nos forces et de nos faiblesses le plus exactement et avec le plus de nuances possibles, sans sombrter dans l’excèes du discours militant.

LÀ: Il existe au Québec un formidable degré d’immobilisme qui paralyse et compromet toute réforme.

ET LÀ: L’impasse n’est pas circonstancielle. Elle est le résultat de décennies de mauvais choix et de mauvaise gestion, de valeurs et de comportements incrustés […].

J’avais en 2007 écrit une recension en bonne et due forme de l’ouvrage.