Pierre Karl Péladeau est en verve. Il nous écrit ce jeudi pour jeter, à nouveau et avec plus de détails, son éclairage sur l’état du conflit qui l’oppose à la CSN.
Ce n’est pas exactement ce que j’avais souhaité, mais on n’a pas toujours ce qu’on veut dans la vie. À l’origine, dans ma Lettre à PKP: Étonnez-nous ! Je demandais au président de l’empire Quebecor de prendre de la hauteur. Il a décidé à la place de nous conduire dans les sous-sols de la négociation entre lui, les journalistes du Journal de Montréal et la CSN. Ce n’est pas inintéressant, au contraire. Nous pensons, à Lactualite.com, faire œuvre utile en ouvrant nos pages virtuelles à ces échanges d’arguments et d’informations.
M. Péladeau révélait dans sa réponse l’existence d’une entente paraphée avec le syndicat du Journal en décembre 2008. La présidente de la CSN, Claudette Carbonneau, nous a appris dans sa propre missive qu’elle n’avait été mise au courant de cette entente que plusieurs mois après le début du lockout.
Mme Carbonneau avait sa propre citation à mettre dans la besace de notre information : une copie d’une lettre envoyée par M. Péladeau à plusieurs personnalités au début de 2009, où il affirmait « complètement inexact » qu’il veuille abolir 75 postes de journalistes. Au contraire, écrivait-il, « nous avons indiqué que nous voulions augmenter le nombre de journalistes, d’infographistes et de professionnels de l’information au Journal ».
Dans la lettre qu’il nous adresse aujourd’hui, M. Péladeau donne son compte du nombre de postes qui seront abolis, en vertu de la dernière offre patronale. Il conteste les chiffres avancés par la CSN. Mais lisez, et faites vous-même vos calculs :
Cher Jean-François,
J’ignore si je vous étonnerai cette fois-ci, mais avouons que l’existence même de ce canal d’échange plutôt inédit est en soi étonnante. Il est rafraîchissant de pouvoir exposer les faits et nos positions sans filtre médiatique. Je suis heureux par ailleurs de voir que Madame Claudette Carbonneau ait à son tour choisi d’intervenir pour contribuer à cette discussion. Je me dois tout de même, par souci de vérité, de rectifier certains des faits allégués par Mme Carbonneau.
Je trouve pour le moins déroutant que celle-ci voit comme une « maladresse effectuée par un syndicat local confronté à un premier conflit de travail en 40 ans d’histoire » l’entente du 29 décembre 2008 (dont je vous informais de l’existence dans ma première lettre), conclue entre des membres élus du syndicat local et l’employeur. Je trouve évidemment étrange qu’elle n’en ait pas été informée plus tôt, considérant que la CSN était bel et bien partie prenante aux discussions et qu’il est somme toute faux de prétendre que l’entente n’avait pas été « portée à la connaissance de la CSN ». En effet, le conseiller syndical de la CSN André Forté était présent lors de la première séance de négociation du 6 janvier 2009, où l’entente a été déposée.
L’entente a même à cette occasion fait l’objet d’une discussion afin d’entamer la poursuite de la négociation selon le cadre qu’elle établissait. On peut donc raisonnablement supposer que les membres du syndicat local légitimement élus pour négocier se trouvaient satisfaits d’un cadre de négociation établi de bonne foi entre les deux parties, soit l’employeur et ses employés, et ce, au vu et au su du conseiller de la CSN.
J’ai bien du mal à concevoir que Mme Carbonneau n’ait été informée de l’existence de cette entente que « plusieurs mois plus tard ». Bien sûr, elle est présidente d’une centrale qui a à gérer plusieurs conflits concomitants chaque jour de chaque semaine et, entendons-nous, je ne lui demande pas de les connaître tous par le menu détail. Je m’attendrais par contre à ce qu’elle s’informe correctement avant d’en commenter un sur la place publique, et elle a certainement commenté profusément le conflit qui nous occupe dans la foulée immédiate de son déclenchement. Si ses prises de position d’alors ne tenaient véritablement pas compte d’un document aussi fondamental, on est en droit de la soupçonner d’avoir induit en erreur le public et les syndiqués concernés, bien involontairement sans doute, par ignorance, mais le mal est fait.
Elle avance aussi avoir dégagé les mandats nécessaires au respect de cette entente, plusieurs mois plus tard par ailleurs, lors de l’assemblée du 7 octobre 2009. Or, personnellement, je juge sur pièces et son allégation à cet égard ne résiste pas aux faits. Le 11 novembre 2009, plus d’un mois après cette fameuse assemblée, le syndicat mettait plutôt de l’avant la position suivante :
1. Sur les abolitions de postes, le syndicat continuait à exiger qu’elles soient exclusivement volontaires, avec interdiction au recours à la sous-traitance et impossibilité de fermer quelque service que ce soit;
2. Sur les heures de travail, le syndicat refusait encore la notion, pourtant déjà acceptée antérieurement, des 37,5 h travaillées;
3. Sur la récupération monétaire, il refusait de reconnaître son caractère nécessaire, ce qui était irrecevable à sa face même.
Quant aux prétentions de Mme Carbonneau au sujet de la recommandation du comité de négociation à l’assemblée du 12 octobre 2010, nous avions de notre côté décidé d’accepter la notion de plancher d’emploi, alors même que nous y étions opposés, et ce, dans le seul but d’obtenir enfin le règlement du conflit. C’était là un compromis, et un compromis de taille. Nous avions également à cette occasion bonifié les indemnités de départ à 20M $, somme plus que substantielle qui devait alors être distribuée par le syndicat, à sa discrétion, sans même exclure de la liste des bénéficiaires potentiels les employés congédiés à la suite de leur condamnation par la Cour Supérieure du Québec pour outrage au tribunal. De plus, il est utile de répéter que l’employeur s’était montré prêt à consentir des augmentations de salaire aux employés demeurant à l’emploi du Journal, déjà parmi les mieux rémunérés de l’industrie.
Dans la lettre qu’elle vous adressait le 6 décembre, peut-être toujours mal informée par ses camarades, Mme Carbonneau parlait au départ du maintien de 42 postes avant de corriger le tir et d’avancer un nouveau nombre erroné, soit 49 postes. Ce sont plutôt 52 postes dont il s’agit; pas bien grave, me direz-vous, mais quand ça devient chronique, on peut s’inquiéter. Ce « 42 » sans fondement a fait un millage impressionnant ces dernières semaines avant que l’erreur soit relevée et corrigée tout récemment. Sans crier d’emblée à la mauvaise foi, on peut se questionner.
Remarquez que nous n’en sommes plus à un épisode près au chapitre des nombres quasi-mythiques élevés arbitrairement au rang d’icône. J’en veux pour preuve cette fixation malsaine sur le fameux 253, constamment brandi par le syndicat. Il inclut en fait les surnuméraires, les retraités et les invalides permanents tout comme les ex-employés ayant quitté pour d’autres motifs. Au final on est très loin du compte en termes de postes permanents toujours occupés.
Il semble bien qu’on ait choisi à la CSN de faire l’épargne d’un recensement rigoureux. Pour l’anecdote, précisons que, ces chimériques 253 employés, désormais aussi symboliques que les héroïques 300 de Léonidas aux Thermopyles, et qu’on nous accuse d’affamer cruellement, incluent, pour diverses raisons, Franco Nuovo, qu’on n’associe plus guère au Journal de Montréal actuel, Fabrice de Pierrebourg, passé depuis à La Presse sans pour autant avoir rompu son lien d’emploi avec le Journal, et Jean-Maurice Duddin, désormais attaché de presse au cabinet du maire de Laval. Et ce ne sont là que les plus connus.
Le nombre de syndiqués permanents touchés par l’entente est donc beaucoup plus bas : moins de 180 dans les faits (179 au dernier décompte), pas 253. Encore une fois, de ces 179, 52 demeuraient à l’emploi du Journal. Donc, la réalité toute nue, c’est que nous sommes en présence de 45 surnuméraires, de 29 personnes ayant pris leur retraite ou quitté leur emploi pour diverses raisons, de 52 personnes conservant leur poste et de 127 personnes dont le poste serait aboli, mais, de ces 127 personnes, 31 sont admissibles à leur pleine retraite sans pénalité.
Sans vouloir en ajouter, il semble aussi qu’on ait omis du côté syndical d’informer Mme Carbonneau que c’est son comité de négociation lui-même qui avait négocié les termes de la clause de non-concurrence lors des séances de négociation devant le médiateur. Ce n’est que lorsque la négociation fut terminée qu’on a logé du côté de la CSN un appel afin de rouvrir les négociations sur ce front. Or, selon nous, si on veut rouvrir les discussions après qu’elles soient clairement terminées, la partie se joue alors à deux, et c’est donnant-donnant.
De plus, il est faux de prétendre que nous n’avons toujours pas répondu au syndicat cinq semaines après le dépôt de la contre-offre syndicale du 27 octobre. Dès le lendemain, soit le 28, le Journal a fait connaître sa position par voie de communiqué, y indiquant clairement que nous la considérions comme une négation de tous les efforts consentis jusque-là par l’employeur. Nous avions depuis, je le rappelle, abandonné la clause de non-concurrence et agréé au maintien de Rue Frontenac sous certaines conditions, répondant ainsi directement aux attentes des syndiqués qui disaient voir dans ces deux conditions la cause réelle du rejet de l’offre. Ces irritants disparus, on aurait certes pu espérer un règlement éclair plutôt qu’une surenchère syndicale complètement irréaliste.
Pour illustrer le caractère déraisonnable de cette contre-offre syndicale pour le moins gourmande, mentionnons les exigences suivantes, qui défient le bon sens chacune à leur façon :
● Maintien d’un effectif trois fois supérieur à celui réellement requis, y compris la conservation (presque au sens muséal) de plusieurs postes qui n’existent déjà plus aujourd’hui dans les faits;
● Versement d’indemnités de départ d’au minimum dix-huit (18) mois de rémunération et pouvant totaliser jusqu’à trois (3) ans de rémunération y compris aux salariés pourtant admissibles à une pleine retraite sans pénalité actuarielle;
● Sécurité d’emploi et impossibilité de faire des mises à pied durant la durée de la convention collective;
● Bonification du régime de retraite pour un montant estimé à entre 7 et 8 millions de dollars;
● Maintien d’un carcan opérationnel obsolète empêchant la flexibilité nécessaire à la saine gestion de l’entreprise;
● Maintien de toutes les fonctions du service local de comptabilité alors que le Journal, à l’instar de tous les autres journaux de Corporation Sun Media, s’est presque complètement retiré de ce secteur d’activités depuis fort longtemps afin de centraliser ces opérations au sein de centres administratifs et financiers qui permettent des gains d’efficacité essentiels;
● Remboursement des frais de scolarité encourus depuis le début du conflit de travail jusqu’à concurrence de 10 000$.
Voilà, Jean-François, les racines de cette triste réalité dans laquelle l’intransigeance du leadership de la CSN fait stagner les employés du Journal de Montréal, utilisés ni plus ni moins comme chair à canon pour faire avancer l’agenda sociopolitique syndical. C’est d’ailleurs cet agenda que le projet de loi du député péquiste Leclair a propulsé à l’avant-scène, projet qu’il a déposé devant l’Assemblée nationale du Québec la semaine dernière. Le geste de Monsieur Leclair est d’autant plus étonnant que lui-même avait été informé par le soussigné autant de l’existence de l’accord du 29 décembre 2008 que de l’évolution tortueuse de la négociation.
J’ose croire que les employés syndiqués du Journal et d’ailleurs, désormais mieux informés de certaines tractations de coulisse, comprendront mieux que l’entêtement de leur centrale à placer ses propres intérêts au-dessus des leurs sert mal les syndicats locaux, ces derniers étant habituellement plus pragmatiques et bien moins idéologiques (comme en témoigne l’entente du 29 décembre 2008). Sans la malheureuse volte-face « stratégique » de la CSN de janvier 2009, ce conflit aurait pu être évité et les intérêts réels des membres du STIJM auraient prévalu.
Je suis quant à moi toujours aussi heureux d’avoir la chance de me trouver à la tête d’une entreprise d’ici, dont les succès profitent aux gens d’ici, et c’est toujours dans le sens de l’enrichissement collectif du Québec que j’agis. C’est d’un pays non plus de quêteux accros aux acquis de jadis dont je rêve, mais plutôt d’une nation fière, forgée dans l’effort et l’innovation, pétrie de dignité et confiante en l’avenir. Soyez assuré que nous œuvrons chaque jour à faire de ce rêve une réalité, avec l’aide de toutes les équipes énergiques et dévouées de Quebecor, syndiquées ou non.
Bien cordialement,
Pierre Karl Péladeau