Confusions nationales

Avertissement : ceci est un communiqué fictif.
Québec (Québec), le 7 mai 2034 — L’Assemblée nationale du Québec tient à rappeler à l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador que l’histoire de l’occupation du territoire sur le cadran nord-est du continent ne peut faire abstraction de l’arrivée des colons français et de leur impact considérable sur le développement du Québec.

L’annonce par l’Assemblée des Premières Nations de l’ouverture d’un musée de l’histoire des Premières Nations uniquement destiné, a déclaré son président, « à retracer l’histoire des 11 nations actuellement présentes sur le territoire » est de nature à invisibiliser la présence et la contribution des millions de Québécois qui, depuis la Nouvelle-France jusqu’à aujourd’hui, ont eu un impact majeur.

Les propos de l’historien autochtone chargé du projet de musée, Ghislain Sioui-Saganash, selon lequel « la présence de colons étrangers n’est qu’une péripétie d’un récit beaucoup plus riche » contribuent à l’effacement systématique de notre passé commun, a déclaré Catherine Dorion, ministre de la Culture du gouvernement d’Éric Duhaime. « Les propos tenus sont inacceptables, a-t-elle dit. Nous sommes indissociables de l’histoire de cette terre. Nous sommes présents ici depuis un demi-millénaire. Suggérer que nous sommes une péripétie revient à nous reléguer à un rôle secondaire, alors que notre contribution à la formation du Québec moderne est fondamentale. Ce nationalisme autochtone étroit ne représente pas l’histoire du Québec. »

« Afin d’éviter de commettre de nouveaux impairs envers les Québécois et d’assurer qu’ils occupent la place qui leur revient dans l’histoire du territoire, il est impératif pour les responsables du projet de musée d’impliquer activement des historiens québécois reconnus, » a conclu Mme Dorion.
Fin de la fiction.

Vous venez de lire un décalque fidèle du communiqué émis la semaine dernière par l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (APNQL), au sujet du futur Musée national de l’histoire du Québec. La prise de position de Ghislain Picard est caractéristique d’une confusion qui n’en finit pas de polluer la discussion entre Autochtones et Québécois.

Je suis de ceux qui croient que les nations autochtones du Québec devraient disposer d’exactement autant d’autonomie qu’elles le désirent. C’est pourquoi je suis heureux de leur victoire — et de la défaite du gouvernement du Québec, qui menait un combat douteux — dans la détermination de leur autonomie en matière de protection de la jeunesse. Au-delà de la dette que nous avons envers ces nations — provenant essentiellement de la spoliation de leur territoire par l’industrialisation depuis le début du XXe siècle —, notre voisinage sur notre territoire commun ne peut s’apaiser d’abord, fleurir ensuite, que dans la reconnaissance que nous formons des nations distinctes, autonomes les unes des autres, qui se doivent respect et, si possible, reconnaissance.

L’APNQL a refusé que l’Assemblée nationale du Québec légifère en matière de soutien aux langues autochtones, affirmant que c’est leur affaire. Parfait. De même, elle a refusé la désignation d’un commissaire autochtone, qui aurait été associé au commissaire national, au bien-être et aux droits des enfants. C’est son droit. Mais pourquoi certains souhaitent-ils que le Québec adopte comme langues officielles les langues autochtones ? Ce serait comme demander aux Mohawks d’adopter l’inuktitut ou le cri, sans compter le français, comme l’une de leurs langues officielles. Chacun sa nation, chacun sa langue officielle. Que les Autochtones vivant hors réserve votent aux élections québécoises, c’est normal. Mais pourquoi ceux qui vivent au sein de leur propre nation, qui ont leur propre gouvernance, votent-ils également dans la nôtre ? Il faut un aggiornamento de notre coexistence.

Le débat entourant le Musée national de l’histoire du Québec est le parfait moment pour commencer à clarifier ces choses. Avant l’arrivée de Champlain, il n’y avait pas d’histoire « du Québec ». Ce mot algonquin signifie « passage étroit », et il ne serait venu à aucun groupe autochtone l’idée saugrenue de nommer une ville ou un territoire par ce terme. L’histoire nationale que le musée veut raconter concerne la nation québécoise. Or, puisque les nations autochtones affirment haut et fort qu’elles ne font pas partie de la nation québécoise — ce qui est parfaitement exact —, le récit qui doit s’y tenir doit être celui, bref, des Québécois.

On suppose que le premier arrêt de la visite portera sur l’environnement dans lequel Champlain arrive, un environnement dominé par les nations autochtones. Toute la première partie de cette histoire, la Nouvelle-France, est celle de l’interaction entre colons et autochtones, entre alliances et rivalités, jusqu’à la Grande Paix, événement exceptionnel de conciliation qui, s’il avait lieu aujourd’hui, vaudrait à tous ses signataires le prix Nobel. La seconde partie, je suppose, portera principalement sur la conquête anglaise et ses suites, alors que les Autochtones sont en effet invisibilisés par le nouveau régime.

Je serais extrêmement heureux de visiter un jour un Musée de l’histoire des nations autochtones. Ce serait fascinant. Il faudrait assurément passer par un grand nombre d’étapes avant d’aborder le moment où les premiers bateaux européens apparaissent dans le Saint-Laurent. L’histoire de l’interaction, de l’oppression, puis du réveil moderne des nations autochtones serait narrée de leur point de vue. Je suppose que les débats seront épiques, entre historiens autochtones, sur la meilleure façon de parler des rivalités entre leurs nations.

Il se trouvera, j’en suis certain et c’est normal, des historiens québécois pour critiquer la façon dont Champlain et les autres sont traités dans ce musée. Comme il est normal que les historiens autochtones soient attentifs et critiques de la description que fera de leurs nations le musée québécois.

Mais, pour utiliser une expression à la mode, que chacun gère à sa façon sa fougère historique. Le jardin n’en sera que plus vert.

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)

Ce contenu a été publié dans Devoir de mémoire, Premières nations par Jean-François Lisée. Mettez-le en favori avec son permalien.

À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !

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