Corruption: le rouage manquant de la démocratie québécois

24-gomeryIl y a des règles non écrites en démocratie. On ne constate leur existence que lorsqu’un gouvernement décide de les ignorer.

C’est ce que vit le Québec, aujourd’hui, avec le refus du gouvernement Charest d’ouvrir une commission d’enquête sur la corruption dans l’industrie de la construction, malgré la volonté générale de l’opinion, des villes,  et des organisations de la société civile (policiers, ingénieurs, associations de constructeurs, CSD et CSQ,  etc).

Nous sommes donc devant l’obligation d’inventer une procédure pour éviter, à l’avenir, que la démocratie soit ainsi confisquée par la volonté du parti majoritaire. Quel pourrait être ce mécanisme ?

D’abord, un peu de recul sur cette règle non écrite. Aucun gouvernement n’a lancé de gaité de cœur des enquêtes qui pouvaient l’éclabousser. Mais Robert Bourassa (pas mon politicien favori) l’a pourtant fait en mettant sur pied la Commission Cliche puis la CECO. Le gouvernement Lévesque a accepté de se soumettre à un enquête parlementaire qui a entraîné le départ du chef de cabinet du premier ministre.  Le gouvernement Bouchard a mis sur pied la Commission Moisan sur le secret fiscal au ministère du Revenu. Tous, en maugréant, avaient accepté de faire enquêter sur eux-mêmes car ils jugeaient que l’intérêt public l’exigeait. Mais le gouvernement Charest a décidé que le précédent de la Commission Gomery, dont les travaux ont conduit le parti libéral du Canada au tombeau, est LE précédent à ne pas suivre. En étant suprêmement efficace, Gomery aurait mis un terme à l’industrie de l’enquête publique.

Ce faisant, le gouvernement Charest rompt avec une tradition. Et nous oblige à imaginer un mécanisme nouveau pour empêcher que cela se reproduise. Pas question, évidemment, de donner à l’opposition le pouvoir de faire déclencher des enquêtes, sinon il y en aurait une par semaine, sur tous les sujets. Mais il faut que la demande de l’enquête soit ancrée à l’Assemblée nationale. Que cela soit une condition nécessaire, mais non suffisante. Par exemple, on pourrait prévoir que si un tiers des députés et/ou deux des partis d’opposition en font la demande, le processus soit enclenché. Ensuite, quoi ? Le mieux est de référer la requête à un comité de sages. Or il se trouve, dans nos pratiques démocratiques, des personnes qui sont nommées par les deux tiers de l’Assemblée nationale, donc de façon bipartisane, à des fonctions importantes: le vérificateur général, le directeur général des élections et l’ombudsman. Ces trois personnes ont des tâches qui leur demandent à la fois une bonne connaissance des rouages de l’administration publique québécoise et du système électoral ainsi qu’une pratique concrète de l’enquête.

On pourrait imaginer qu’un comité de six sages soit formé d’office par les six dernières personnes à avoir occupé ces fonctions, à l’exception des titulaires actuels.  Ce comité aurait la tâche, exceptionnelle, de recevoir la requête des députés, d’ouvrir une brève période de consultation pour entendre les avis de la société civile, d’entendre le point de vue du gouvernement. Puis, si ce dégage au sein du comité une majorité (nécessairement au moins 4 sur 6) alors, exerçant le mandat confié par par l’Assemblée nationale, les sages auraient le pouvoir d’ordonner la tenue d’une enquête,  d’en fixer les paramètres et d’en choisir les membres.

L’existence même de ce mécanisme pousserait, évidemment, les gouvernements à déclencher eux-mêmes les enquêtes, de peur de se faire désavouer par les sages. Ces derniers agiraient ainsi comme une force de dissuasion. Comme quoi, si accorde à certaines règles qu’elles vont sans dire, ou écrire, elles vont souvent mieux en le disant, et en l’écrivant.

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Addendum: le sondage Léger Marketing publié ce matin par Quebecor

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M. Charest paie le prix politique du refus… pour l’instant. (Source: Canoe infos)

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À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !