Corruption: le rouage manquant de la démocratie québécoise

24-gomeryIl y a des règles non écrites en démocratie. On ne constate leur existence que lorsqu’un gouvernement décide de les ignorer.

C’est ce que vit le Québec, aujourd’hui, avec le refus, réitéré ce mardi, du gouvernement Charest d’ouvrir une commission d’enquête sur la corruption dans l’industrie de la construction, malgré la volonté générale de l’opinion, des villes, et des organisations de la société civile (policiers, ingénieurs, associations de constructeurs, CSD et CSQ, CPQ, etc).

Nous sommes donc devant l’obligation d’inventer une procédure pour éviter, à l’avenir, que la démocratie soit ainsi confisquée par la volonté du parti majoritaire. Quel pourrait être ce mécanisme ?

D’abord, un peu de recul sur cette règle non écrite. Aucun gouvernement n’a lancé de gaité de cœur des enquêtes qui pouvaient l’éclabousser.

* Robert Bourassa (pas mon politicien favori) l’a pourtant fait en mettant sur pied la Commission Cliche puis la CECO.

* René Lévesque a accepté de se soumettre à une enquête parlementaire qui a entraîné le départ de son chef de cabinet et ami, Jean-Roch Boivin.

* Lucien Bouchard a mis sur pied la Commission Moisan sur le secret fiscal au ministère du Revenu pour enquêter sur une fuite provenant de son cabinet.

Tous, en maugréant, avaient accepté de déclencher une enquête sur eux-mêmes car…  ils jugeaient que l’intérêt public l’exigeait.

Pas Jean Charest

Pas Jean Charest. Il a décidé que le précédent de la Commission Gomery, dont les travaux ont conduit le Parti libéral du Canada au tombeau, est LE précédent à ne pas suivre. Car voilà, en étant suprêmement efficace, Gomery aurait mis un terme à l’industrie de l’enquête publique.

(Mais pas au gouvernement fédéral, où Stephen Harper a accepté d’ouvrir une enquête sur son prédécesseur conservateur, Brian Mulroney.)

Ce faisant, le gouvernement Charest rompt avec une tradition. Et il nous oblige à imaginer un mécanisme nouveau pour empêcher que cela ne se reproduise.

Pas question, évidemment, de donner à l’opposition le pouvoir de faire déclencher des enquêtes, sinon il y en aurait une par semaine, sur tous les sujets.

Mais il faut que la demande de l’enquête soit ancrée à l’Assemblée nationale. Il faut que cela soit une condition nécessaire, mais non suffisante.

On pourrait par exemple prévoir que si un tiers des députés et/ou deux des partis reconnus en font la demande, le processus soit enclenché.

On pourrait prévoir aussi, dans la foulée de propositions récentes, qu’un mécanisme citoyen — pétition ou autre — force une Commission parlementaire à examiner une telle demande.

Puis, si elle est relayée par deux des partis ou un tiers des députés, le processus s’enclencherait.

Un comité de sages

Ensuite, quoi ? Le mieux est de référer la requête à un comité de sages. Or il se trouve, dans nos pratiques démocratiques, des personnes qui sont nommées par un vote des deux tiers de l’Assemblée nationale, donc de façon bipartisane, à des fonctions importantes: le vérificateur général, le directeur général des élections et l’ombudsman.

Ces trois personnes ont des tâches qui leur demandent à la fois une bonne connaissance des rouages de l’administration publique québécoise et du système électoral ainsi qu’une pratique concrète de l’enquête.

On pourrait imaginer qu’un comité de six sages soit formé d’office par les six dernières personnes à avoir occupé ces fonctions, à l’exception des titulaires actuels. Ce comité aurait la tâche, exceptionnelle, de recevoir la requête des députés, d’ouvrir une brève période de consultation pour entendre les avis de ces partis, de la société civile et, bien sûr, du gouvernement.

Puis, si ce dégage au sein du comité une majorité (nécessairement au moins 4 sur 6) alors, exerçant le mandat confié par par l’Assemblée nationale, les sages auraient le pouvoir d’ordonner la tenue d’une enquête, d’en fixer les paramètres et d’en choisir les commissaires. On pourrait aussi décider qu’en cas d’enquêtes voulues par le gouvernement, les sages aient le pouvoir de valider ou de modifier le mandat et les nominations du gouvernement.

L’existence même de ce mécanisme pousserait, évidemment, les gouvernements à déclencher eux-mêmes les enquêtes, à en définir le mandat et à en choisir les membres de façon la plus objective possible, de peur de se faire désavouer par les sages. Ces derniers agiraient ainsi comme une force de dissuasion. Comme quoi, si accorde à certaines règles qu’elles vont sans dire, ou écrire, elles vont souvent mieux en le disant, et en l’écrivant.

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J’ai repris ici, en le modifiant un peu, un billet écrit en décembre 2009. Et puisque les propositions de nouvelles façons de faire de la politique sont à la mode, cela fait partie de ma modeste contribution.

Ce contenu a été publié dans Démocratie, Parti libéral du Québec par Jean-François Lisée. Mettez-le en favori avec son permalien.

À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !