Crise : intransigeance x 2

Imaginez la scène, ce jeudi à 17 h 40. Jean Charest et Michelle Courchesne se présentent au micro :

« Mesdames, messieurs, nous sommes heureux d’annoncer qu’après trois jours de discussions difficiles mais fructueuses avec les quatre associations étudiantes, nous sommes arrivés à une entente satisfaisante, il nous semble, pour tous.

Je laisserai les leaders étudiants expliquer, tout à l’heure, l’intérêt qu’ils y voient. Mais sachez que c’est sur la base de leur proposition que nous avons travaillé et que nous nous sommes entendus.

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Annonçant l’entente : «Nous sommes heureux d’avoir surmonté notre peur du mot “gel“ ! » (scène imaginaire)

Pour le gouvernement, il était essentiel de préserver l’augmentation prévue des budgets de nos universités pour assurer une éducation supérieure de qualité – l’entente le garantit ;

Pour le gouvernement, il était important que les étudiants contribuent à hauteur de 17 % au financement de leurs études, c’est leur juste part – l’entente le prévoit ;

Il semblait au gouvernement qu’il était important que l’essentiel de cette contribution se fasse sur la base des droits de scolarité, donc de la hausse que nous avions décidée – l’entente le permet, pour cinq années sur sept, à moins que nous en convenions autrement dans l’intervalle ;

Ces paramètres étant respectés, nous avons accepté la proposition étudiante qui fait que l’augmentation des droits de scolarité prévue pour les deux premières années soit assumée, non par paiement des droits, mais par une réduction équivalente du crédit d’impôt destiné aux étudiants.

Bref, pour nos objectifs de financement et de contribution étudiante, le résultat est le même. Les étudiants tenaient à faire ce réaménagement du mode de leur contribution. Nous l’acceptons évidemment de bonne grâce.

Finalement, nous faisons ensemble le pari qu’une nouvelle discussion, très large, sur le rôle des universités, leur financement et leur gestion ait lieu d’ici deux ans. Il se peut qu’une autre formule de financement soit issue de ce grand débat, mais nous ne pouvons en être certains. Nous aborderons ces discussions avec un esprit ouvert.

Trois des quatre associations se sont engagées à recommander formellement cette entente à leurs membres et la quatrième association, qui n’a pas le mandat de faire une telle recommandation, s’estime satisfaite.

Pour notre part, nous nous engageons à proposer à l’Assemblée nationale de procéder à la levée de la loi 78 dès que les quatre associations nous auront signifié l’acceptation de l’entente.

Je vous remercie. »

Maintenant, ouvrez les yeux. Qu’aurait-il fallu pour avoir cette présentation, plutôt que l’annonce de « l’impasse » ? Il aurait simplement fallu que le gouvernement accepte la dernière offre des étudiants. Ni plus, ni moins.

Dans toutes ses autres négociations, le gouvernement rêve d’avoir en face de lui une organisation syndicale qui lui dise : « Savez-vous ? Nous allons respecter votre cadre financier, mais réduisez nos vacances pour augmenter notre prime de nuit, et on signe, mais seulement à condition qu’on tienne un grand forum de discussion dans deux ans ! » Le gouvernement signerait. À toute vitesse. Avant que le syndicat ne change d’avis.

Ici, on nage en pleine intransigeance gouvernementale. Pourquoi le gouvernement Charest n’a-t-il pas sauté sur cette occasion de mettre fin à la crise ? Le récit que fait la CLASSE de la négociation nous en donne une idée :

La FECQ rappelle au gouvernement que, fiscalement, l’offre étudiante ne coûte rien à l’État, nous sommes plus rationnels, ce à quoi le gouvernement nous explique que la population et son gouvernement ne comprendront pas ce cheminement logique-là. […]

Il devient alors plus évident que jamais que l’objectif du gouvernement est seulement de faire payer les étudiantes et les étudiants, puisqu’il leur a été démontré que le gel sur au moins deux ans était possible. Les gens s’enflamment, Michelle se fâche tellement qu’elle en perd son soulier ! Elle nous dit que ça prendrait tout pour le gel pour une année, politiquement elle ne peut pas, elle nous dit que notre raisonnement est logique et qu’il se tient. […] ils ne pourraient mettre la hausse à 0 $. Cela aurait été l’objet de discussions très corsées au gouvernement. […]

Vers 12 h 30, nous sommes de retour à la table de négociation. Le gouvernement veut rompre les négociations ! Michelle Courchesne nous avise que les discussions nous ont permis un certain rapprochement, entre autres en utilisant la fiscalité comme moyen d’échange, même si sur la question des droits de scolarité, le gel, on reste éloigné. Cela reste impossible pour le gouvernement de reculer, c’est un point qui ne peut être franchi. Ils sont contents que jusqu’à ce moment on se soit parlé des principes avant de parler de chiffres. Le gouvernement reconnaît que,  de son côté, la hausse est un principe immuable, alors que nous avons mis clair sur table qu’en bas d’un gel assuré sur deux ans nous ne présenterions même pas cette offre aux associations. Ainsi, malheureusement, le gouvernement considère qu’on est dans une impasse.

Jeudi soir sur les ondes de Désautels, l’ancien ministre libéral Jean Cournoyer semblait bien informé de ce blocage gouvernemental :

on dirait que le gouvernement a fait un nid et dit il faut absolument que les étudiants sortent une cenne de leur poche, même si je leur redonne par ailleurs

Une cenne, l’année un et l’année deux. Pour les membres du gouvernement, avoir raison sur ce point symbolique vaut davantage que le retour de la paix sociale, davantage que la quiétude pour le Grand Prix, les Francofolies, l’économie de Montréal.

Intransigeance 2 : les étudiants

Pour leur part, et la relation qu’en fait la CLASSE est nette, les étudiants refusent de considérer que l’amélioration du régime de bourses est un élément important dans le débat.

On s’obstine un peu sur l’idée que l’aide financière ne sera pas une compensation à la hausse et donc, sans une discussion sur la hausse, nous ne pourrons pas avancer. Nous rappelons que l’accessibilité n’est qu’une part de l’enjeu, que nous luttons contre la tarification.

Cela rejoint la déclaration faite par la ministre Courchesne au point de presse de jeudi, selon laquelle les fédérations refusent de considérer comme un progrès la couverture de la totalité des droits de scolarité au moyen des bourses, pour une partie significative des enfants de ménages à faible revenus et de la classe moyenne.

J’en ai discuté ici (Ne pas se tromper d’enjeu, lettre ouverte) : l’obtention de la « gratuité effective » pour une grande portion des étudiants est un progrès social réel. Les sommes dégagées du crédit d’impôt pourraient être utilisées pour augmenter encore la part des étudiants de classe moyenne ainsi exemptés, en laissant un plus grand fardeau sur les familles qui en ont les moyens.

J’ai croisé la nouvelle présidente de la FECQ, Éliane Laberge, ce vendredi et lui ai parlé de cette intransigeance. Elle m’a répondu que les fédérations avaient des propositions à faire à ce sujet, mais que les négociations ont été rompues avant qu’on y vienne.

Mais il est clair que cette voie n’est pas privilégiée par les fédérations.

Qui est l’adulte dans la pièce ?

Il est patent, pour moi en tout cas, que le refus gouvernemental de sauter sur la proposition, à coût nul, des étudiants est d’une incommensurable irresponsabilité. La sortie de crise était là, à portée de main. Elle a été refusée pour la seule raison que des ministres, des députés, des électeurs ne comprendraient pas « cette logique-là ». Pour la seule crainte que ce faux gel — les étudiants paieraient, mais autrement — serait perçu comme un vrai gel, donc un recul du gouvernement.

C’est pathétique.

Peut-être les étudiants doivent-ils maintenant faire preuve d’encore plus de responsabilité et moduler leur proposition.

Ils pourraient réclamer une année de « faux gel » plutôt que deux, mais demander que le gouvernement bascule sur les bourses les sommes rendues disponibles par la baisse du crédit d’impôt, augmentant ainsi la proportion d’étudiants bénéficiant de la « gratuité effective ». Dans cette hypothèse — difficilement acceptable pour la CLASSE, car cela répond à une logique de tarification qu’elle abhorre –, le gouvernement devrait ajouter une somme supplémentaire — 10, 20, 30 millions ? — pour pousser la gratuité effective afin d’inclure encore davantage d’enfants de la classe moyenne.

L’entente ne serait pas à coût nul. Mais respecterait pour moitié la logique gouvernementale — le financement des bourses — et pour moitié la logique étudiante — un faux gel d’un an.

Et si les étudiants proposent ça et que le gouvernement refuse, c’est casserolles-non-stop jusqu’au jour de l’élection, 18 mois s’il le faut.