Dans trois ans: une place (ou un carré) Pierre Bourgault!

rue-mordecai-richler-150x150Faut-il renommer un coin du Mile-End du nom d’un de ses habitants les plus éblouissants: Mordecai Richler?

Les dix ans de sa mort sont soulignés par une biographie, la sortie d’une adaptation cinématographique de son dernier, et exquis, roman La version de Barney, et d’un documentaire de Francine Pelletier, The last of the wild jews.

Lorsque des conseillers municipaux ont évoqué la possibilité de laisser une trace de Richler dans le paysage toponymique de Montréal, des journalistes anglophones m’ont appelé pour enregistrer ce qu’ils présumaient être ma féroce opposition. Normal, je fus un des principaux contradicteurs de Richler, notamment en 1992 au moment de ses sorties anti-québécoises les plus abjectes. Alors, et encore aujourd’hui dans le documentaire de Mme Pelletier, on peut m’entendre affirmer que Richler a causé un tort considérable à la réputation du Québec, aux États-Unis et au Royaume-Uni en particulier, à cause de sa paranoïa.

Richler, paranoïaque et raciste ?

Oui, paranoïa: c’est la seule façon de caractériser quelqu’un qui pense, et écrit dans un grand magazine, que le Parti québécois a choisi, en 1976, pour hymne électoral un chant nazi. C’est la seule façon de caractériser quelqu’un qui croit, et reprend dans un livre, une statistique affirmant que 70% des francophones du Québec moderne sont « hautement anti-sémites ». Ce qui serait supérieur au niveau allemand du début des années 30.

Pourtant, j’ai affirmé qu’il devrait y avoir quelque part dans le Mile-End une trace du passage de Richler. Car il est un des plus grands écrivains que le Québec ait produit. Un grand écrivain québécois — qu’il le veuille ou non! Car c’est le Québec qui l’a produit, c’est le Montréal de sa jeunesse et de son âge mur. Et c’est du Québec qu’il parle dans la plupart de ses ouvrages, qui sont autant de feux d’artifices où tout le monde en prend plein la gueule: les francophones, oui, les protestants, les juifs, tous!

Richler, Trudeau, Bourassa

Je vais vous faire un aveu: je suis davantage favorable à une place ou une bibliothèque Mordecai Richler qu’à une trace de Pierre Trudeau ou de Robert Bourassa dans la grille urbaine. Pourquoi ? Le premier est un grand écrivain, les deux autres ont été élus à plusieurs reprises par les électeurs québécois.

On reproche au premier d’avoir écrit des âneries sur le Québec, âneries qui fleurent le racisme (s’il avait écrit sur les Noirs ce qu’il a écrit sur nous, personne n’hésiterait à le traiter de raciste). Mais il a usé de sa liberté d’expression, et nous avons usé de la nôtre pour le dénoncer. Il n’a emprisonné personne, il n’a commis aucun abus de pouvoir.

Ma formation de journaliste y est peut-être pour quelque chose: je défendrai toujours la liberté des uns et des autres de s’exprimer comme ils l’entendent, ce qui, évidemment, inclut le droit d’exprimer les pires stupidités, de traiter celui-ci de voyou, celui-là de parrain, l’autre d’anti-sémite, voire de Nazi, de tenir même des propos négationnistes.

Je ne tire qu’un trait: l’appel à la violence (comme, sans doute, dans le cas, courant, d’un site anglo-montréalais appelant à pendre Mme Marois.) Tout le reste, à mon avis, est de l’ordre de la liberté d’expression et du débat. (Pour une explication de ma position, voir Quelle histoire!)

Trudeau, Bourassa ? Ils ont enfermé, en octobre 1970, 500 Québécois pour simple délit d’opinion, parmi lesquels cinq poètes. Voilà qui a du poids dans la balance. Une action condamnable, pas une opinion condamnable. Le premier a réduit les pouvoirs de l’Assemblée nationale en imposant une nouvelle constitution. Le second a menti à son peuple à un moment crucial de son histoire. Voilà les abus de pouvoir qui valent qu’on hésite, avant de poser leurs noms sur une rue ou un aéroport. (Pour Bourassa, mon compromis est le suivant: oui à une rue, mais à la condition qu’on y mette une « place des poète emprisonnés ». Pour Trudeau: il faut évidemment débaptiser l’aéroport dont il a voulu la mort, Dorval.)

Et Pierre Bourgault ?

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Mes amis de la SSJB ont exprimé leur désaccord au sujet de la désignation d’un lieu pour Mordecai Richler. Je salue leur droit d’exprimer ce point de vue, parfaitement défendable.

Mais puis-je suggérer qu’on s’active plutôt à proposer d’inscrire dans la toponymie montréalaise le nom de grands Québécois qui nous ont quittés depuis 10 ans. Cette borne temporelle a été franchie par Gérald Godin en 2004 (on a nommé un Cégep de l’Ouest de l’île en son honneur), par Gaston Miron en 2006, par Pauline Julien en 2008, par Gilles Carle en 2009. Elle sera franchie par Pierre Bourgault en 2013.

Tous ces gens ont gravité autour du Carré Saint-Louis. Oui, Saint-Louis, roi de France de 1226 à 1270. Son rapport avec le Québec? Disons: ténu!  Laissons Mordecai se faire désigner une bibliothèque non loin du lieu de son enfance qui a nourri son œuvre  et réfléchissons à un aménagement toponymique d’un futur ex-Carré Saint-Louis qui ferait une place aux grands Québécois qui nous ont quittés depuis une décennie.

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Voici ce qu’on trouve sur le site de la ville comme explication historique pour le Carré, ex-square, Saint-Louis:

 

Données historiques

Le 2 septembre 1848, la Corporation de Montréal acquiert un terrain d’Alexandre Maurice Delisle du coteau Barron (ou Baron), où elle aménage un réservoir d’eau. L’inauguration prévue pour le 24 juin 1851, mais reportée deux jours plus tard, est l’occasion de dénommer le réservoir Jean-Baptiste, toponyme cependant fort peu utilisé. L’origine du toponyme actuel du square demeure obscure. D’une part, il pourrait trouver son origine du quartier où il est situé, lequel tire son nom du faubourg, le faubourg le tenant lui, du Coteau Saint-Louis (citadelle) dans la vieille ville.

 

D’autre part, il pourrait rappeler une famille d’entrepreneurs du nom de Saint-Louis, qui possède également plusieurs propriétés dans le secteur et habite en bordure du square. Il est intéressant de signaler que cette même dénomination de Saint-Louis identifie la paroisse, fondée dans le secteur en 1888 et consacrée au saint roi Louis de France.

 

L’acte de vente d’Alexandre Delisle prévoit déjà la largeur à conserver aux rues situées de chaque côté du réservoir et stipule la nature des matériaux à utiliser pour les maisons futures, tout en prohibant la construction de bâtiments industriels. Ainsi lorsque le réservoir Jean-Baptiste devient désuet, après la construction du réservoir McTavish en 1879, le lieu devient un parc public, au centre d’un ensemble résidentiel de choix.

 

En 1880, on entreprend l’aménagement du square, on nivelle le remblai qui retient l’eau, on refait le fond et les côtés du bassin, on érige une fontaine et trace des sentiers. La succession Delisle cède le terrain nécessaire à l’ouverture des rues Ernest (côté nord) et Albina (côté sud), qui disparaissent plus tard dans la dénomination du square.

Extrait de l’ouvrage «Les rues de Montréal — Répertoire historique» 1995 — Éditions du Méridien

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À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !