Je ne le sais pas, mais je vais réfléchir à voix haute avec vous.
Je ne crois pas un instant que c’est la brutalité des sondages publiés au lendemain de l’annonce de la commission bidon qui lui a fait voir la lumière. Comme le fait généralement le PLQ, les sondeurs internes avaient du « tester » l’idée de la commission eunuque et savoir que ça ne passait pas.
L’important, pour M. Charest, était de survivre à son congrès. Il n’est fort que de la force de sa base libérale, puis du caucus, puis du conseil des ministres. Si ces appuis s’effritent, sa chute peut-être très rapide. La consolidation de cette pyramide est donc, non sa priorité absolue, mais sa seule priorité.
Je ne crois pas, non plus, que la grogne du Barreau ait pu, à elle seule, pousser Charest à jeter du lest. Il est habitué à être contredit par la société civile.
Non, d’après moi, trois éléments seulement ont pu le pousser à une telle volte face. Trois éléments qui rendaient le changement de cap indispensable:
1) Il allait perdre des joueurs
Il a dû apprendre que, sur le plancher du congrès, un certain nombre de délégués et de présidents de comté allaient contester la nature de la Commission et peut-être même déposer une résolution d’urgence.
De toute évidence, la résolution aurait été battue par une forte majorité des délégués de ce parti où la loyauté est la carte maîtresse. Cependant, la simple tenue de ce débat et l’exposition d’une dissidence aurait « gaché » le congrès et lézardé la base politique du premier ministre.
La fronde aurait-elle même débordé le simple plancher ? Un député, un ex-ministre, ou plusieurs personnalités associées à la famille libérale menaçaient-ils de parler ?
2) Le décret était illégal
L’avocat Jean-François Bertrand en a soulevé la possibilité cette semaine: le caractère potentiellement illégal du décret adopté par le Conseil des ministres. Or comme les juges de la Cour supérieure sont mécontents d’avoir été instrumentalisés par Charest dans la recherche d’un commissaire, ces juges auraient été enclins à se prononcer sur cette illégalité.
Peut-être que n’était-ce qu’une technicalité (il fallait dire « décision » du conseil des ministres et non « décret », car un décret doit s’appuyer sur une loi). Mais cela aurait été dur à vivre.
Il ne fait aucun doute que, dès mercredi, le bureau du PM a demandé des avis sur cette illégalité potentielle. Un jugement négatif aurait été catastrophique. On aurait parlé de « Commission hors-la-loi ».
3) La Commissaire Charbonneau s’est rebiffée
Encore une fois, je ne fais que réfléchir tout haut aux éléments qui auraient nécessité une reculade du Premier ministre têtu qu’est Jean Charest.
Mais puisque la crédibilité de son annonce ne repose que sur la réputation de la juge Charbonneau, il est possible que celle-ci se soit rendu compte qu’elle avait commis une bévue (et son juge en chef avec elle) en acceptant la demande du Premier ministre.
Car au cours de la journée de vendredi, les choses se sont corsées pour la juge.
En matinée, Le Soleil rapportait les propos du juge en chef de la Cour supérieure, François Rolland, celui qui avait relayé la demande du Premier ministre à la juge Charbonneau:
La juge [Charbonneau]a accepté le mandat en toute connaissance de cause.
«Évidemment, c’est une demande qui vient du premier ministre et du juge en chef, a observé François Rolland. C’est dur de dire : « Bien, non, je préfère un mandat dans ces termes-là plutôt que ces termes. » Mme la juge Charbonneau a fait comme tous les autres juges : « Ça vient du juge en chef et je suis mieux d’avoir une bonne raison pour dire non. »»
Malheureusement pour les juges Rolland et Charbonneau, mon collègue, l’indispensable Yves Boisvert, publiait vendredi des extraits du Protocole qui doit régir la décision des juges d’accepter ou non de participer à de telles commissions. Voici l’extrait qui tue:
“le projet de décret en conseil doit aussi être examiné attentivement, surtout par le juge qui va présider l’enquête. Le juge – peut-être par l’intermédiaire du bureau du juge en chef – ne devrait pas hésiter à proposer des modifications appropriées au décret en conseil avant que celui-ci soit adopté. Il pourrait être utile de consulter d’autres juges en chef ou le groupe-ressource de membres de la magistrature qui a été mentionné plus tôt. Même devant une urgence apparente, il est important pour le gouvernement, la magistrature et le public de prendre le temps qu’il faut
pour structurer l’enquête convenablement.”À considérer, dit le protocole:
“Le mandat ne devrait pas non plus exclure
des questions auxquelles le public s’attend d’obtenir des réponses, afin que l’enquête soit complète, indépendante et objective.”Et: “Plus les restrictions énoncées dans la loi d’autorisation et/ou le décret en conseil sont grandes, plus il faut faire preuve de circonspection.”
La juge Charbonneau a donc dû passer une très très mauvaise journée et subir les pressions de ses collègues juristes, juges et, peut-être, de sa femme de ménage.
Peut-être a-t-elle fait savoir au Premier ministre qu’elle 1) prenait un temps de réflexion avant de reconfirmer sa décision; 2) n’accepterait de continuer que si le mandat de la Commission était modifié pour satisfaire aux critères d’une véritable commission d’enquête.
Mis à risque de perdre le seul élément crédible de sa commission, le Premier ministre n’avait plus, vendredi soir, d’autre choix que lancer une bouée de sauvetage.
Le bureau du Premier ministre a-t-il négocié avec Mme Charbonneau pour qu’elle commence ses travaux, puis, après quelques semaines (selon le scénario que votre blogueur favori avait suggéré ici) demande les pleins pouvoirs ?
Ou M. Charest a-t-il simplement lancé cette bouteille à la mer, pour tenter d’amadouer la juge ? Ou pour amortir le choc lorsque, au cours de la semaine prochaine, la juge fera connaître les conditions qu’elle pose à son accord final? On le saura peut-être un jour.
Des conditions perdantes
C’est probablement une combinaison de ces trois éléments qui a forcé la main du Premier ministre.
Les conditions perdantes étaient réunies.
Autre effet secondaire des événements des derniers jours: il n’y aura pas d’élections de sitôt !