Décodage: la face noire de Trudeau et la république québécoise du bon sens

Justin Trudeau, Redface, BlackfaceUne tuile politique qui s’abat sur un chef pendant une campagne électorale est comme un oignon. Au centre du légume, on trouve le problème réel. Puis viennent s’ajouter plusieurs couches de pelure qui, comme des parasites, donnent beaucoup plus de volume à l’oignon qu’il ne devrait en avoir.


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Je voudrais surtout examiner les pelures. C’est à dire les déclarations politiquement motivées, qui s’éloignent et trahissent la vérité à des fins purement électorales. L’affaire Trudeau est un beau cas.

Quel est le problème réel ? Le jeune Justin, fantasque, fanfaron, débouleur d’escaliers et amuseur public, s’est peint en noir pour une soirée des Mille et une nuits. Jeune ? Il avait 29 ans, mais Justin a longtemps prolongé son adolescence. Bon, on apprend qu’il était la seule personne costumée à cette soirée, où les dames étaient en robe longue, les hommes en smoking.

Lorsque la photo est diffusée par les médias, Justin se présente au micro pour s’excuser d’avoir mis du « maquillage ». Le premier soir, il ne parle pas de « blackface ».

Pourquoi ? Parce qu’à ce point du récit, Trudeau dit ce qu’il pense et il ne pense pas que c’est du « blackface ». Pourquoi ? Parce qu’au sens propre, quelqu’un fait du « blackface » lorsqu’il se grime en noir pour donner volontairement une image stéréotypée et méprisante des noirs. C’est ainsi une manifestation ignoble et raciste de supériorité de blancs envers les noirs.

Ce n’est pas ce que faisait Justin en se noircissant la peau pour faire un Aladin un peu-plus-noir que nature.

Trois des noirs les plus connus et influents au Québec, Dany Laferrière, Boucar Diouf et Maka Kotto, ont immédiatement vu qu’il ne s’agissait pas de « blackface ». Pourquoi ? Parce qu’ils vivent dans la République du bon sens. Le Québec. J’y reviendrai.

Sur le continent anglo-américain, par contre, la notion de « blackface » a été étendue à toute personne non-noire portant du maquillage noir, quel que soit le contexte ou l’intention. C’est un interdit généralisé qui, dépassant les bornes du bon sens, est devenu un diktat de la rectitude politique contre lequel il est risqué de s’opposer.

Une fausse-bourde qui vaut 90 millions

Songez que chez nos voisins du sud, une animatrice de droite, Megan Kelly, a été virée pour avoir dit qu’elle trouvait acceptable qu’un enfant blanc qui personnifie une personnalité noire à l’Halloween porte du maquillage noir. Elle a émis dans la journée des excuses (auxquelles elle ne croyait nullement). Mais la chaîne NBC lui a montré la porte. Comme son contrat n’était pas terminé, la chaîne a du lui verser 90 millions de dollars canadiens !

Voyez, donc, comme je prends un énorme risque réputationel en affirmant ici que tout maquillage noir n’est pas nécessairement du blackface.

Mais revenons à Justin. Il aurait pu prendre la décision de plaider non-coupable. Mais dès le premier soir, en réponse à une question, il a cédé, affirmant que son grimage était « raciste ».

Pourquoi ? Parce qu’il savait déjà que, en anglo-canada et chez un certain nombre de ses militants et électeurs de couleur, il ne pourrait pas gagner ce débat. Les lignes de l’acceptable et de l’inacceptable politique canadien ne permettent pas la nuance ou le débat sur cette question.

Après la sortie de Trudeau, le leader du NPD Jagmeet Singh a saisi l’occasion, non pour dénoncer Trudeau, mais pour s’adresser à tous ceux qui sont victimes de discrimination pour leur dire combien ces images étaient blessantes et que, malgré l’énorme déception qu’ils devaient ressentir, ils ne devraient pas renoncer au Canada. Le sous-texte était parfait: sans appeler à voter pour lui et pour son parti, Singh incarnait celui vers lequel les victimes du Trudeau-Aladin devaient maintenant reporter leurs espoirs, donc leurs votes.

Bref, s’il y avait un canadien de couleur qui pensait que ce grimage ne devait pas être vu comme une insulte, l’intervention de Singh avait pour impact de les détromper sur ce point. Il leur disait: c’est grave, prenez-le personnel ! Singh y croit-il ? Je ne sais pas.

Revenons aux pelures. Le premier soir, le conservateur Andrew Scheer a choisi ses mots, affirmant que Trudeau avait bien posé un acte de « blackface ». Scheer y croit-il ? J’en doute. Mais ça lui permet de dire que le blackface est est « raciste », donc une façon de placer le mot « raciste » dans la conversation, sans affirmer que Trudeau l’est, en ce moment.

Technique identique de la part d’Elizabeth May, du Parti Vert: « Je suis profondément choqué par le racisme que l’on voit sur la photographie de Justin Trudeau », a quant à elle gazouillé.

Dès le jour deux, Trudeau n’avait donc pas le choix de faire un pas de plus et d’affirmer que son maquillage d’Aladin était du « blackface » et qu’il avait donc commis un affront à toutes les victimes de discrimination. À mon avis, il n’en croit pas un mot. Mais il fait le bon calcul politique canadien que cette contrition maximale est la seule façon de se sortir de son faux pas.



En termes de contrition, le modèle a été établi par le président Bill Clinton après qu’on eu appris qu’il avait batifolé avec une stagiaire dans le bureau ovale. Clinton avait fait en 1998 une tournée d’excuses tellement intense qu’après une semaine les gens le priaient d’arrêter de s’excuser. C’est ce qu’il voulait. C’est ce que Trudeau fait.

Évidemment, le cas de Trudeau est compliqué par la sortie, au jour deux, d’une vidéo où on le voit, en 1992-1993, encore une fois grimé en noir, faisant des gestes simiesque et ayant même rembourré son entre-jambe. Si, là, il ne se moquait pas des noirs, je mange mon chapeau.

Au jour trois, Justin ayant récupéré le message de Jagmeet sur le tort causé par ces images à toutes les victimes de discrimination au Canada, Jagmeet devait innover pour rester sur la crête de la tempête de la rectitude. Aux journalistes qui lui ont demandé s’il estimait que Trudeau était raciste, le leader du NPD a répondu: « je ne sais pas ».

Évidemment qu’il le sait. Trudeau n’est pas raciste, le jeune Trudeau était un sans-génie, tout simplement. Mais Singh avait deux raisons de ne pas admettre que Trudeau n’était pas raciste. D’abord, le NPD a en son sein des militants anti-racistes virulents, qui pensent que Trudeau l’est. Si Singh avait déclaré Trudeau « non raciste » il aurait provoqué un débat interne au NPD et aurait mécontenté sa frange la plus dure.

Ensuite, Singh avait intérêt à maintenir la surenchère pour maximiser le nombre d’électeurs meurtris — ou maintenant convaincus qu’ils étaient meurtris — vers son parti.

Quel impact électoral réel ?

Ces derniers jours les sondeurs canadiens nous ont éclairés sur l’impact réel de cette affaire sur les intentions de vote.

Examinons d’abord la réaction des minorités visibles, qui forment près du quart de l’électorat.

D’abord pour noter qu’ils sont beaucoup moins choqués que les chefs politiques canadiens.

Selon Abacus, 35% des membres des minorités visibles affirment que les photos ne « les ont pas dérangés ». Un autre 45% affirment qu’ils n’ont pas aimé les photos, mais acceptent les excuses du premier ministre. Donc il en reste 20% qui ont été « vraiment offensés » et ont désormais une plus mauvaise opinion de Trudeau. Un membre des minorités visibles sur cinq l’a donc pris personnel, comme le voulait Jagmeet Singh.

Deux choses à retenir: D’abord, l’immense majorité des membres des minorités visibles, soit 80%, n’en font pas tout un plat.

Ensuite, si un sur cinq se sent offensé, c’est moins que chez les blancs. Oui oui. Un non-blanc sur cinq est offensé, mais un blanc sur quatre l’est ! Ça ne s’invente pas ! Les canadiens blancs sont plus anti-racistes que les canadiens racisés.

Reste que l’effet politique est réel. Près de 20% des membres des minorités visibles affirment qu’ils ne sont plus certains de vouloir voter libéral. Certains ont déjà franchi le pas.

Avant la controverse, selon Angus Reid, 12% des membres des minorités visibles comptaient voter NPD. Après, la controverse, ils sont désormais 20%. Un bond de huit points. Pour le NPD, une aubaine ! Au global, cela ne les fait monter que de deux points. Mais il y a au Canada 41 circonscriptions à majorité multiculturelle, surtout à Toronto et à Vancouver. C’est là que le déplacement de votes du au Blackface va se jouer. Pour un parti qui joue sa survie, c’est bon à prendre.

Angus Reid, Blackface, Visible minorities

L’épicentre du bon sens: le Québec

Au jour 1 de la controverse, le chef du Bloc, Yves-François Blanchet, a donné le ton.

«Justin Trudeau a tous les défauts du monde, a déclaré M. Blanchet. Ce n’est certainement pas un grand premier ministre. Il ne se qualifie peut-être même pas pour le terme compétent, mais Justin Trudeau n’est pas un raciste.»

Le lendemain, le Premier ministre Fançois Legault, le chef du PQ Pascal Bérubé et plusieurs députés ont pris une position modérée, acceptant les excuses et déclarant que le premier ministre n’était pas raciste.

Des libéraux membres de minorités visibles, dont la candidate potentielle Marwah Rizqy, ont passé l’éponge.

Québec Solidaire, chez qui on retrouve beaucoup de militants très véhéments sur la question, a mis la pédale beaucoup plus douce que le NPD:

« Le blackface, le brownface, est considéré comme un geste raciste, a indiqué la députée solidaire Ruba Ghazal. M. Trudeau, lui, n’est pas raciste. »

« Moi, personnellement je trouve que c’est blessant, oui, se peinturer le visage en brun ou en noir, mais ce que je veux dire, c’est que le premier ministre Trudeau s’est excusé, il a reconnu [son erreur] et donc c’est aux citoyens, ceux qui ont été blessés, d’en juger. »

Y a-t-il, là, calcul politique ? Que décoder dans ces pelures ?

Rien n’aurait davantage plu aux leaders souverainistes que de taper aussi fort que possible sur leur adversaire, Justin Trudeau. D’autant que Trudeau a déclaré « impensable » la loi québécoise sur la laïcité et qu’on le sent prêt à bondir pour l’invalider, dès qu’il serait réélu.

Mais ils ont d’instinct compris que s’ils affirmaient, eux, le contraire de ce qu’ils pensaient, en déclarant Trudeau « raciste », ils ne seraient pas suivi par leur propre base, par l’électorat.

Pourquoi ? D’abord que la culture politique québécoise est beaucoup moins contaminée que la canadienne sur l’exagération dogmatique entourant le Blackface

Le réalisme politique canadien poussait Singh, Sheer et même Trudeau à en rajouter. Le réalisme politique québécois poussait Blanchet, Legault et même QS à rester crédible.

Ces déclarations ont été faites avant que Laferrière, Diouf, Kotto et la Ligue des noirs du Québec n’interviennent dans le débat pour relativiser l’affront de Trudeau et verser une dose de bon sens dans le débat.

Je ne me retiendrai pas de déclarer combien je suis heureux que les Québécois soient globalement plus sereins sur cette question importante. On peut être contre le racisme sans tomber dans les excès de l’anti-racisme. On peut être pour la liberté de conscience, sans donner davantage de droits aux religieux qu’aux autres citoyens. On peut s’opposer à un adversaire politique, sans reprendre à son compte toutes les accusations qui traînent.

Nous sommes, ici, dans la République du bon sens.


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