Chers contribuables, chers clients, à l’approche de votre fête du mouton, dont on nous informe que vous l’appelez désormais « fête nationale », nous, de l’Association canadienne des producteurs pétroliers, souhaitons vous transmettre nos meilleurs voeux et, surtout, nos plus sincères remerciements.
Nous estimons que les Québécois — et les Canadiens — ne sont pas suffisamment conscients de l’importance de l’investissement massif et constant que les habitants de la Belle Province déversent dans notre industrie. D’abord, nous sommes extrêmement satisfaits de constater que, chaque année, votre consommation de pétrole augmente. Ce qui signifie que vos achats de pétrole de l’Ouest ont explosé depuis 10 ans, atteignant en 2022 plus de 7,1 milliards de dollars. On note encore une augmentation depuis.
Donnée amusante : en achetant notre pétrole, vous nous envoyez davantage d’argent par an que la totalité de ce que dépense chez vous votre ministère de l’Environnement. C’est fou, non ?
Ce n’est pas tout. Comme contribuables canadiens, c’est dans votre poche qu’on soutire environ 20 % des subventions, crédits, allègements et autres cadeaux que nous prodigue le gouvernement fédéral. Il est vrai que nos amis d’Ottawa multiplient les prouesses pour rendre illisibles les montants ainsi engloutis, répartis dans une vingtaine de programmes enchevêtrés.
Nous nous amusons de lire chaque année le déchiffrage partiel que tentent d’en faire les experts du groupe Environmental Defence. Pour 2023, ils en ont repéré 17 milliards. L’année précédente, 21 milliards. En 2020, 18 milliards. Bon an mal an, donc, chers Québécois, vous nous envoyez en cadeaux fiscaux entre 4 et 5 milliards de dollars. Cela fait de vous des champions mondiaux du financement de l’industrie fossile. Parmi les 20 pays les plus industrialisés, seule la Chine soutire à ses citoyens davantage de sous pour financer son industrie fossile que le Canada ne vous en subtilise. Comme les Chinois, chers Québécois, on ne vous entend pas chigner contre ces prélèvements. Nous saluons votre silencieuse docilité.
Attendez-vous à débourser davantage, car nos lobbyistes ont convaincu le gouvernement fédéral d’investir des sommes folles dans une supercherie de premier plan : la capture du carbone. Il faut dire qu’on ne ménage pas nos efforts. Juste en 2022, nos influenceurs ont recensé 2110 contacts avec le gouvernement canadien, soit 8 par jour de travail ! Suivant le principe du pollueur payé, l’État canadien nous subventionne pour produire du pétrole parmi les plus polluants au monde, puis nous subventionne pour réduire cette pollution. L’idée qu’on pourrait retenir le carbone émis puis le réintroduire sous terre est, selon l’Agence internationale de l’énergie, une « illusion » qui ne peut avoir qu’un impact marginal.
Heureusement, nous sommes d’excellents illusionnistes et nous avons réussi à faire introduire dans le budget fédéral de cette année, avec la bénédiction d’un ex-écologiste québécois, un certain Steven Guilbeault, une concoction de six crédits d’impôt valant 83 milliards sur 10 ans, en plus du maintien de plusieurs des subventions actuelles. À ce niveau de charité pétrolière, on ne sait même plus à combien fixer l’ampleur de votre contribution, chers tondus — euh, pardon — chers Québécois.
Mais, à la louche, en incluant vos achats directs, cela pourrait donner, disons, 12 milliards par an passés de vos poches aux nôtres. (Oui, oui, c’est davantage que ce que vous recevez en péréquation nette. Mais ne le dites à personne.) Puisqu’il y a sept millions de contribuables au Québec, cela signifie qu’en moyenne, chacun d’entre vous débourse 1700 $ par an à notre entier bénéfice. Environ la moitié en pétrole et la moitié en subvention au pétrole.
Avons-nous besoin de cet argent ? Évidemment, car nos profits n’ont augmenté que de 1011 % entre 2019 et 2022, atteignant 38 milliards sur trois ans. Et puisque 70 % de nos actionnaires sont étrangers, l’immense majorité de ces beaux bidous quittent non seulement le Québec, mais aussi le Canada. En Europe, plusieurs pays nous ont imposé des impôts sur ces surprofits pour offrir des ristournes aux consommateurs. Heureusement, ni le gouvernement du Québec ni celui du Canada n’ont adopté ces idées saugrenues.
Nous notons qu’à la marge de votre folklorique vie politique, on trouve des séparatistes affirmant que, si vous quittiez le Dominion, vous n’auriez plus à financer nos goussets — du moins autrement que par vos achats à la pompe. C’est vrai, mais nous ne sommes nullement inquiétés.
Nous notons plutôt, dans un récent sondage, votre engouement nouveau pour notre politicien favori : Pierre Poilievre. Vous croyez qu’on ne peut trouver davantage pro-pétrole que le gouvernement libéral actuel ? Détrompez-vous. Les conservateurs de Pierre Poilievre nous feront monter du 7e ciel au 13e, au moins ! D’abord en démantelant la taxe carbone (qui vous laissera, vous Québécois, Gros-Jean comme devant avec votre marché du carbone, car vous paierez davantage que les autres Canadiens pour l’énergie, rendant vos produits moins compétitifs sur les marchés). Le chef conservateur s’est aussi engagé à démanteler les ennuyeux processus environnementaux qui freinent la construction de nos beaux pipelines. On sait qu’il rêve, comme nous, de ressuciter le projet gazier GNL au nord du Québec et, qui sait, si avec lui on ne puisse aussi faire sortir de son coma le grand chantier d’Énergie Est, traversant l’Ontario et le Sud de votre belle province.
Son parti pris pour la voiture est clair : il s’est engagé à ne pas accorder une cent au projet de tramway électrique de Québec, mais il est disposé à financer un troisième lien seulement si on y laisse entrer les voitures. De la cohérence, enfin.
Alors voilà, chers contributeurs, ce que nous souhaitions vous exprimer comme reconnaissance. Alors même que vous contribuez de manière fantastique à notre richesse et à notre pollution, vous nous faites le plaisir de croire que vous vivez aux crochets du pétrole canadien. Mais c’est nous qui nous accrochons à vous et, tant que vous resterez accrochés au Canada, libéral ou conservateur, vous pourrez vous enorgueillir de fournir plus que votre part pour réchauffer nos coeurs, nos profits et la planète.
(Une version légèrement plus courte de ce texte fut publiée dans Le Devoir.)
St tabarnak ! On est des champions ! Quelle tristesse…