Ah, les radicaux du PQ! Les purs et durs! Ils ont fait de la peine à René Lévesque. (Vrai.) Ils ont mené la vie dure à Lucien Bouchard. (Absolument.) Ils ont montré la porte à Bernard Landry. (C’est moins sûr.) Ils ont eu la peau d’André Boisclair (non, il a fait ça lui-même). Ils enquiquinent Pauline Marois (à peine!) Que n’a-t-on pas dit sur leur compte…
Comme conseiller de Jacques Parizeau et surtout de Lucien Bouchard, je fus assez souvent dans leur ligne de mire. J’ai plusieurs fois débattu publiquement – et assez vigoureusement – avec un de leurs porte-étendards, Robert Laplante. J’ai donc un grand nombre de désaccords avec eux. Je pourrais dire beaucoup de mal de ces radicaux. L’intolérance de certains et quelques relents d’anglophobie m’insupportent. Pourtant, je prendrai leur défense.
On perd de vue une donnée essentielle: l’objectif du Parti québécois est radical. La création d’un nouveau pays à partir d’une fédération existante est un projet exaltant, mais qui tient de la rupture. Il faut être rebelle pour vouloir changer fondamentalement son statut politique. S’il n’y avait pas de radicaux au sein d’un parti qui veut faire une révolution institutionnelle, on devrait douter de sa santé.
Les impératifs démocratiques requièrent du Parti québécois qu’il réunisse plus de 50% des électeurs derrière son projet, qu’il convainque donc un grand nombre de modérés de la justesse de sa cause… radicale. Le chef, le parti, l’équipe parlementaire ont la tâche de rendre le projet réaliste, opérationnel, de voir venir lucidement les obstacles et d’imaginer les façons de les aplanir ou de les contourner. De conclure des alliances, parfois, avec des partenaires et des partis qui ont une autre approche.
Mais qu’on arrête de vouloir que les radicaux soient modérés. Pendant toute l’histoire du PQ, ils ont eu un pouvoir d’influence, jamais de décision. Régulièrement, leurs propositions sont rejetées par les conseils nationaux et les congrès. Voudrait-on, en plus, qu’ils se taisent? Ou alors – c’était l’espoir de René Lévesque – qu’ils créent un parti à eux, qui divise l’électorat souverainiste au moment du vote?
Sur la souveraineté et sur la langue, il leur arrive d’apporter de mauvaises réponses. Mais rarement de poser de mauvaises questions. Voyez les cégeps anglophones, fréquentés de façon accrue par les allophones et les francophones. Est-il vraiment souhaitable que les cégeps anglophones deviennent le lieu de passage d’une portion croissante des élites québécoises? Souverain ou pas, le Québec doit résoudre cette question.
La loi 101 a créé, au primaire et au secondaire, une ségrégation nécessaire entre les anglophones et les autres, pour des impératifs de survie linguistique du français. Mais la ségrégation n’est pas, en soi, une vertu. Il serait bon que, au moment de terminer leurs études ou de se préparer à l’université, tous les cégépiens québécois se retrouvent dans un même réseau collégial intégrateur.
Dans la région de Montréal, ce réseau unique de cégeps devrait offrir à l’ensemble de ses étudiants une formation en français pendant trois trimestres sur quatre, puis, pour ceux qui le désirent, en anglais pendant le quatrième.
De cette façon, tous les finissants seraient effectivement bilingues. Faisons en sorte que, pendant ces deux ou trois années passées au collégial, se forment enfin des réseaux – amicaux et professionnels – entre francophones, anglophones et allophones. Qu’ils s’inscrivent dans les mêmes filières d’emploi, se fréquentent, se mélangent.
Sur la souveraineté, les radicaux sont pressés, ils voudraient prendre des raccourcis. Nombre de leurs propositions sont contre-productives. Elles sont écartées. Mais comment leur en vouloir de se méfier des pièges de l’attentisme et de l’immobilisme? Le risque n’est-il pas réel que le PQ se transforme en simple parti de pouvoir? La présence des radicaux est en quelque sorte l’antidote à ce virus frappant tous les partis qui tardent à réaliser leur objectif premier.