Désaméricanisation

Autre version de MAGA… au Groenland.

« Alors, vous avez voté pour construire un mur », commence le texte vu par des millions d’internautes depuis un mois. « Eh bien, chers Américains, même si vous ne comprenez pas grand-chose à la géographie, puisque l’Amérique pour vous, c’est votre pays, pas un continent, il est important que vous découvriez, avant la pose de la première brique, qu’il y a, au-delà de ce mur : sept milliards de […] consommateurs prêts à remplacer leurs iPhone par des appareils Samsung ou Huawei en moins de 48 heures. Ils peuvent aussi remplacer Levi’s par Zara ou Massimo Dutti. En moins de six mois, nous pouvons facilement arrêter d’acheter des voitures Ford ou Chevrolet et les remplacer par des Toyota, KIA, Mazda, Honda, Hyundai, Volvo, Subaru, Renault ou BMW, qui sont techniquement meilleures que les voitures que vous produisez. »

Faussement attribué à la présidente mexicaine, Claudia Sheinbaum, qui en a rejeté la paternité, le texte fut d’abord produit en 2017, par un auteur inconnu, lors du début de la construction du mur à la frontière mexicaine par Trump 1. Il connaît une nouvelle carrière depuis que Trump 2 a lancé son offensive commerciale visant à ériger une barrière tarifaire autour du marché américain et ainsi faire payer le reste du monde.

Il tient lieu de manifeste, celui de la désaméricanisation du monde. « Nous ne voulons pas, mais nous pouvons arrêter de regarder des films hollywoodiens et commencer à regarder plus de productions latino-américaines ou européennes qui ont une meilleure qualité, des messages, des techniques cinématographiques et du contenu. Bien que cela puisse paraître incroyable, nous pouvons sauter Disneyland et aller à Xcaret Resort, à Cancún, au Mexique, au Canada ou en Europe : il y a d’autres excellentes destinations en Amérique du Sud et en Europe. Et même si vous n’y croyez pas, même au Mexique, il y a de meilleurs hamburgers que le McDonald’s et un meilleur contenu nutritionnel. Quelqu’un a vu des pyramides aux États-Unis ? En Égypte, au Mexique, au Pérou, au Guatemala, au Soudan et dans d’autres pays, il y a des pyramides avec des cultures incroyables. »

Paroles en l’air ? Parlez-en à Elon Musk, de loin le plus touché. Les ventes de Tesla en Europe ont chuté de moitié depuis le début de l’année, de 70 % en Allemagne, de 75 % en Espagne. En Australie ? De 66 %. Il est trop tôt pour en être certains, mais on signale une chute des affaires dans les McDo du Moyen-Orient depuis le retour de Trump, des désabonnements européens des plateformes Amazon et Netflix. Des mouvements de boycottage essaiment sur les réseaux sociaux, comme « @LatinoFreeze » en Amérique du Sud, « #NoCompreGringo » au Mexique et « BoycottUSA : Achetez français ! » dans l’Hexagone.

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Le remplacement de l’approvisionnement américain par d’autres sources s’installe progressivement, dans la grande chaîne Coop en Suède ou Carrefour en France. Dans certains cas, le Coca-Cola et le Pepsi ont été tout simplement remplacés par des versions locales, en France et en Suisse. Mais pour l’instant, personne ne retire, comme au Canada, le vin et les spiritueux américains des tablettes.

Il y a des francs-tireurs. En Norvège, les dirigeants de l’entreprise Haltbakk Bunkers, principal fournisseur de carburant dans les ports, n’ont pas digéré le traitement réservé à Zelensky à la Maison-Blanche. Ils refusent depuis de ravitailler les navires de la marine américaine.

Le refroidissement touche aussi le milieu culturel. Le célèbre violoniste allemand Christian Tetzlaff, citant l’horreur que provoque chez lui l’autoritarisme de Trump, a annulé une tournée prévue pour cet été. Un collectif de réalisateurs français a décliné une invitation au Festival du film de Sundance, pourtant à la fois prestigieux et progressiste. Les organisateurs du Festival international du film de Göteborg, en Suède, envisagent de réduire la présence de productions américaines. Pour l’instant, aucun signal antiaméricain n’a été émis par le Festival de Cannes, qui aura lieu à la mi-mai.

On pourra prendre la température du sentiment antiaméricain dès le 23 mai, lorsque sortira sur les écrans le dernier épisode de la série cinématographique Mission impossible. Près de 50 millions de non-États-Uniens ont vu le précédent (dont votre humble serviteur). Pourront-ils résister ? (Je me tâte. Mais c’est le dernier, voyez-vous ?)

On le sait, les mouvements de boycottage sont souvent voués à l’échec, car ils ne sont suivis que par des minorités agissantes. Le PIB américain est de 30 000 milliards de dollars. Son exposition au commerce international est de 20 %. Ce qui est beaucoup. Mais moins que pour la plupart de ses partenaires commerciaux (au Québec, c’est presque 50 %).

Mais si Trump, que l’émission À la semaine prochaine (qui nous quitte malheureusement sous peu) a vilainement surnommé « le Connard à l’orange », continue d’emmerder le monde entier pendant quatre ans, on sera probablement témoins du mouvement de boycottage le plus vaste et le plus efficace de l’histoire.

Déjà, il applique des morsures que le mastodonte ne peut ignorer. Le Portugal, la Norvège, d’autres pays européens et le Canada ont soit déjà annulé, soit envisagent d’annuler, leurs commandes d’avions américains F-35. Pour l’avionneur Lockheed-Martin, la perte pourrait atteindre les 30 milliards de dollars américains. Ce n’est pas tout. La Pologne remet en cause ses achats de véhicules blindés américains ; l’Australie aussi. L’Allemagne pourrait abandonner le système de défense antimissile Patriot. Le Japon hésite à commander des hélicoptères Apache. Même la Turquie et l’Arabie saoudite mettent des contrats sur pause.

Les ventes militaires américaines dans le monde sont d’environ 230 milliards de dollars par an. Les annulations et les hésitations jusqu’ici recensées pourraient provoquer une chute potentielle de 20 %. Et Trump n’est là que depuis deux mois.

Que pourrait-il arriver de pire à l’économie américaine (mis à part la récession auto-infligée) ? Le tourisme, mesdames, messieurs, le tourisme. Selon Tourism Economics, le nombre de visiteurs aux États-Unis devait augmenter de 9 % cette année. Mais depuis janvier, le nombre d’annulations est tel qu’on envisage pour l’instant une baisse de 12 %, donc une perte de 22 milliards de dollars américains. Si le tourisme international aux États-Unis devait s’arrêter net, le pays de Trump perdrait 200 milliards de dollars par an et gagnerait jusqu’à trois millions de chômeurs.

Cela donne une idée plus précise de ce que voulait dire l’auteur du manifeste précité. Que se passerait-il si sept milliards de consommateurs tournaient le dos au pays et aux produits du dollar ? demande-t-il. « Leur économie s’effondrera (dans le mur raciste) à tel point qu’ils nous supplieront de briser ce mur moche. Nous ne voulions pas, mais… Tu veux un mur, tu as un mur. »

(Ce texte fut d’abord publié dans Le Devoir.)

Ce contenu a été publié dans États-Unis par Jean-François Lisée, et étiqueté avec , , . Mettez-le en favori avec son permalien.

À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !

4 avis sur « Désaméricanisation »

  1. Les dommages permanents d’une campagne de boycottage peuvent aussi être très important par les changements d’habitudes de consommation.

  2. Il a menacé d’augmenter encore ses tarrifs si nous contretarrifons. Alors allons-y plutôt par la résistance silencieuse. Pas de voyage au sud. Pas de produits US sauf en cas de nécessité absolue. Pression sur nos élus de tous les niveaux pour réserver le marché aux entrepreneurs de chez nous.
    Bravo aux ports norvégiens qui n’approvisionnent plus la marine états-unienne. Le mur, quoi!

  3. Je pense que notre pouvoir politique est assez limité. Je vote depuis 40 ans, j’écris occasionnellement à mes députés et je n’ai jamais eu l’impression d’avoir influencé quelque chose.
    Cependant, à chaque jour je peux exercé mon pouvoir de consommateur et ceux-ci a un impact immédiat. Je trouve désolant cependant que notre pouvoir est utilisé avec si peu de discernement. C’est notre consommation qui permet à la Chine d’étendre son emprise sur le monde. C’est notre consommation qui permet la naissance des oligarques de la Silicon Valley. Et c’est notre consommation, si nous sommes solidaires globalement, le remettra le clown à cheveux orange à sa place.

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