Déshonorés

Le juge avait tenu de longues audiences. Les faits allégués étaient scandaleux. Il s’agissait d’excès commis par Ottawa dans sa lutte contre les séparatistes. Le premier ministre libéral allait-il être blâmé?

C’était en 1981. L’Albertain David MacDonald enquêtait sur la GRC. À force de noyautage et de faux communiqués, la GRC avait tenu en vie, au début des années 70, le Front de libération du Québec, un utile épouvantail. Elle avait volé la liste de membres d’un parti légal, le PQ, recruté des espions au sein du PQ et du PLQ. Le juge avait identifié une  » direction politique « .  » Il ne serait pas déraisonnable de conclure, écrivait-il, que M. Trudeau et M. Turner (ministre de la Justice) ont tacitement consenti à la continuation de ces activités illégales.  »

Ces lignes n’ont pas franchi l’étape de l’impression. Nous les connaissons grâce au travail de l’auteur Pierre Godin qui a obtenu copie de ce premier jet. Dans la version censurée de son rapport, le juge se permettait tout de même de révéler qu’on lui avait « rappelé avec insistance que notre mandat ne nous autorisait pas à faire enquête sur la conduite de personnes n’appartenant pas à la GRC « , comme Trudeau.

Plus près de nous, le commissaire John Gomery qui a enquêté en 2005 sur le scandale des commandites, a pu écrire que la responsabilité remontait jusqu’au sommet. Et il a mis en cause le Parti libéral du Canada, dont les cadres impliqués « se sont déshonorés et ont déshonoré le parti ». D’autant qu’en 1996, le Conseil des ministres (Paul Martin et Stéphane Dion inclus) approuva une stratégie visant « un renforcement substantiel de l’organisation du Parti libéral au Québec ».

Déshonoré, certes. Mais le PLC ne l’était-il pas déjà? Et si oui, quand est-ce arrivé? On a l’embarras du choix. Est-ce en octobre 1970, où contre l’avis de la GRC qui considérait cette action inutile, Trudeau a approuvé l’arrestation de 500 citoyens pour délit d’opinion? L’incarcération pour des motifs politiques n’est-elle pas plus grave qu’un détournement de fonds?

Où est-ce en 1981, lorsque Trudeau a tendu un  » piège « , selon le mot qu’il emploie dans ses mémoires, à René Lévesque en suggérant qu’un référendum soit tenu sur la nouvelle constitution? Acquiesçant, le démocrate Lévesque fut isolé (les autres premiers ministres étant allergiques à l’idée de consulter une population sur un sujet aussi anodin) et le Québec s’en trouva dépouillé. Le stratagème n’est-il pas plus condamnable que le paiement de photocopies de rapports frivoles?

Est-ce encore entre 1989 et 1992, lorsque Trudeau et Jean Chrétien ont convaincu les Canadiens de ne pas reconnaître le caractère distinct du Québec, affirmant comme l’écrivait Trudeau que les Québécois sont  » un dégueulasse peuple de maîtres chanteurs « ? N’est-ce pas plus consternant que le copinage?

L’année la plus faste pour le déshonneur fut 1995. Lorsque informés que les dépenses de la manifestation de l’amour contrevenaient à la loi du Québec, les libéraux fédéraux ont promis de… récidiver. Ce mépris des lois d’un peuple dans une opération visant à lui témoigner respect et affection n’est-il pas plus méprisable que de tapisser le Québec de feuilles d’érables?

Confrontée aux révélations montrant que l’émission de certificats de citoyenneté avait augmenté de 440 % dans le mois précédent le référendum au mépris des règles normales, quel remords fut exprimé par la ministre Lucienne Robillard? Aucun. (Le FBI offre cinq millions pour trouver un présumé terroriste devenu citoyen canadien en octobre 1995.) Utiliser la citoyenneté à des fins politiques n’est-il pas pire que de produire des balles de golf signées Jean Chrétien?

Que dire du discours préréférendaire du premier ministre Chrétien, lorsqu’il a affirmé qu’un OUI mènerait à la création  » irréversible  » du pays du Québec, alors qu’il avait résolu d’affirmer le contraire si le OUI l’emportait. Ce mensonge de dimension historique n’est-il pas plus odieux que les pots-de-vin de l’organisateur Jacques Corriveau?

Ou n’était-ce pas en 2000, lorsque Jean Chrétien et Stéphane Dion ont donné aux élus du reste du Canada un veto sur le droit du Québec à décider de son destin?

Non, les exactions révélées par la commission Gomery ne font pas le poids. Le déshonneur était enraciné au Parti libéral du Canada bien avant que l’ordonnateur des commandites, Chuck Guité, en devienne la dernière incarnation.