Depuis deux mois, je joue sur le gros nerf de toute une tribu en publiant, sèchement, les chiffres comparés du chômage Québec – Ontario – Canada – USA. Évidemment, depuis deux mois, le Québec performe mieux, à cet indice, que ses voisins.
La publication de ce court billet provoque des montées de lait chez certains internautes, qui bombardent le blogue de statistiques sur la dette, le taux d’emploi, le taux de croissance du PIB et autres démontrant toutes, disent-ils, que le Québec et les Québécois sont des cancres et ne devraient pas l’oublier.
J’y prends un malin plaisir car, depuis que je sais lire les chiffres, la droite ne s’est jamais gênée pour taper sur le Québec à coup de statistiques sur le chômage. Quand il était, au Québec, le double d’aux États-Unis, le chiffre semblait signifiant. Maintenant qu’il est moindre, il ne faudrait plus en tenir compte…
En 2008 et 2009, les chiffres nous indiquent que le Québec est un des rares endroits occidentaux — avec l’Allemagne — qui a le mieux résisté à la crise économique. Donc, un des endroits au monde où le niveau de misère humaine induite par la crise fut la moindre. Quels que soient les ratés de notre modèle — et ils sont nombreux — ne faudrait-il pas faire une brève pause pour admettre que nous sommes peut-être moins nuls, au total, que ce qu’on nous en a dit, et ce qu’on nous en dit encore.
Mes lecteurs fidèles savent que je ne suis pas un admirateur béat du modèle québécois. Heureux des travaux herculéens accomplis par les Québécois depuis 1960, résolument de gauche mais absolument pragmatique, j’ai proposé ces dernières années des réformes majeures de notre fiscalité, de notre tarification, et un plan ambitieux de promotion de la productivité dans les entreprises. Cela fait de moi la cible épisodique de deux Dubuc, Alain et Pierre. Celui de La Presse et celui du SPQ libre. C’est une situation qui me plaît, car elle confirme le caractère iconoclaste de mes positions — mais pas leur justesse, évidemment.
Cela dit, aux quelques internautes très très fâchés et aux curieux qui ont l’esprit ouvert sur ces questions j’offre — en guise de Courrier des internautes pour cette semaine — ces paragraphes et données extraites de Pour une gauche efficace, où je réponds, d’avance, aux questions qu’ils me posent avec fougue depuis deux mois:
Il y a deux approches lorsqu’on pose un diagnostic sur la situation du Québec. La droite exhibe à tous vents des palmarès économiques où le Québec fait figure de médiocre, de Tiers-Monde de l’Amérique du nord, de trainards paresseux dépendants d’un État obèse. Obnubilés par les chiffres du produit intérieur brut, elle fait toujours l’impasse sur la réalité sociale.
Que le Québec soit la nation nord-américaine avec le niveau le plus faible d’inégalité sociale, que son taux de pauvreté et d’intensité de la pauvreté soit le plus faible sur le continent, que ses villes soient les plus sécuritaires du continent, avec des taux de criminalité parmi les plus bas, tout cela n’a pas d’importance à leurs yeux, alors qu’il s’agit de réalisations considérables.
Au plan économique, le Québec offre un paradoxe. Comme on l’a montré au chapitre précédent, la différence est forte entre la production de richesse par habitant aux États-Unis et au Québec (21% de plus chez nos voisins). Cependant ce chiffre ne nous dit rien sur le niveau de vie réel des Américains et des Québécois moyens. Lorsqu’on compare la capacité de chacun d’eux à s’acheter des biens et des services, on constate que le niveau de vie réel d’un Québécois et d’un Américain de classe moyenne est à peu de choses près équivalent.
Le paradoxe est le même lorsqu’on compare avec les reste du Canada. Mais ne me croyez pas sur parole. Fions-nous plutôt aux calculs de Mme Norma Kozhaya, économiste de l’Institut Économique de Montréal, think tank néo-conservateur bien connu. Dans La Presse du 9 mai 2006, elle écrivait ce qui suit : « Un autre indicateur du niveau de vie est le revenu personnel disponible per capita (revenus totaux des individus moins les impôts personnels directs). En 2004, le revenu disponible per capita était de 21 631 $ au Québec, soit 7% inférieur à la moyenne canadienne, et 12% en dessous de l’Ontario. Si l’on ajuste selon le coût de la vie dans les grandes villes, on se retrouve de nouveau avec un portrait relativement plus favorable pour le Québec, puisque l’écart avec l’Ontario semble disparaître complètement. »
En bref, puisque le coût de la vie est plus faible au Québec, on peut s’acheter, avec un revenu plus faible, autant de biens et de services qu’en Ontario, où un salaire plus élevé est dépensé sur un panier de biens et services identique, mais plus couteux. (Cette différence a aussi une forte incidence sur le taux réel de pauvreté, plus faible que ce que disent les chiffres non corrigés.)
En fait, si on compare le pouvoir d’achat de la famille québécoise à celui de la famille ontarienne depuis 30 ans, on se rend compte que, depuis un creux en 1998, le pouvoir d’achat (après impôts, bien sûr) de la famille québécoise a égalé, en 2005, puis dépassé, en 2006, celui de la famille ontarienne. Un rattrapage historique. C’est l’économiste Pierre Fortin, le plus lucide, à mon avis, de tous les signataires du manifeste des lucides, qui offre ce calcul:
Cela est vrai aussi pour les États-Unis. Selon une étude de la firme réputée Runzheimer Canada réalisée pour la CSN, pour acheter le même panier de biens et services, et même en payant les impôts américains plus faibles, un Montréalais gagnant 50, 75 ou 100,000 $ et déménageant à Boston en 2003 aurait dû voir son salaire augmenter de plus de 50%. Il n’aurait fait aucun gain, sauf le plaisir de vivre à Boston. Avec deux enfants, il aurait fallu, à ces niveaux, une augmentation salariale de 60 à 100 % pour maintenir son niveau de vie. Et s’il gagnait moins de 30 000 $, l’augmentation aurait du être de 100 à 185%. La raison de ce gouffre : les coûts nettement plus importants à Boston qu’à Montréal; la perte du filet social Québécois dès qu’on traverse la frontière Sud. Je ne sais pourquoi la CSN a choisi Boston, une des villes les plus à gauche des États-Unis pour ce calcul. En choisissant Austin, Texas, l’hécatombe financière aurait été plus nette. Ces chiffres étaient valables pour 2003, alors que le dollar américain était à son zénith et offrait un avantage marqué au pouvoir d’achat américain. Avec un dollar canadien désormais au-dessus de 90 cents, un nouveau calcul nécessiterait des augmentations de revenus nettement plus importants aux Montréalais prenant la route du Sud.
En termes de pauvreté, le Québec fait bonne figure lorsqu’on le compare à ses voisins nord-américains. Alors que la moyenne canadienne était, en 2002, de 13,8 %, le Québec affichait, avec 9,3%, le taux de pauvreté infantile le plus faible de toutes les provinces.
La comparaison avec les États-Unis offre un portrait plus contrasté encore. Pour les familles ayant des enfants de moins de 18 ans, 19% des Américains sont considérés pauvres, contre 13% des Canadiens et 10,3% des Québécois. Mais il y a pauvre et pauvre. Lorsqu’on compare l’intensité de la pauvreté, c’est-à-dire ceux qui vivent avec seulement un tiers de ce qui est considéré comme un revenu faible, on trouve en bas de cette échelle 6% des Américains, 3% des Canadiens et 2% des Québécois.
Ces chiffres, en plus d’indiquer la réussite du Québec qui « brille parmi les meilleurs » en termes de lutte contre la pauvreté, permettent de combattre le pessimisme. Il est faux de penser que les efforts déployés contre la pauvreté ne portent pas fruit : l’exemple québécois est patent. Le travail ayant culminé avec l’adoption, en 2002 de la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale, puis prolongées par les mesures du budget Séguin sur la prime au travail donnent des résultats tangibles. Selon toutes les mesures utilisées, de 1996 à 2006, le recul de la pauvreté est net. Le Québec compte moins de chômeurs, moins d’assistés sociaux qu’il y a 10 ans, moins de jeunes assistés sociaux. Qu’on se le dise : en 2008, le taux de pauvreté québécois est au plus bas depuis que l’on tient des statistiques. La hausse de l’emploi et du taux d’emploi est évidemment un élément majeur dans cette dynamique. Mais cela signifie que les efforts d’insertion en ont valu la peine et que l’énergie qu’on peut encore déployer permettra d’aller plus loin encore.
Si on répartit, on se rend compte que : 1) les riches sont plus nombreux et plus riches au Canada anglais et aux États-Unis qu’au Québec; 2) les 20% de la population la plus pauvre est mieux nantie (a un meilleur niveau de vie) au Québec qu’ailleurs sur le continent; 3) la classe moyenne Québécoise a grosso modo le même niveau de vie que la classe moyenne anglo-canadienne et américaine.
Tout ce que j’ai à ajouter ici est que, depuis 2000, le PIB par habitant (unité de mesure utilisée par tous les organismes économiques internationaux mais boudée au Québec) a cru plus rapidement au Québec qu’en Ontario, aux États-Unis et dans la zone euro, que le Québec est un des survivants de la crise et que le nombre de ses chômeurs est plus bas.
Cela signifie-t-il qu’il ne faut rien changer ? Évidemment, non. On peut faire beaucoup, beaucoup mieux. Mais ce n’est pas en niant nos qualités et nos forces qu’on va se convaincre d’aller encore plus loin.