Devenez millionnaires : combattez la corruption !

Le marché est gigantesque. Les perspectives de profits, phénoménaux. Selon la Banque mondiale : il y a mille milliards de dollars à prendre. Surtout, ce marché est vierge. Personne ne s’y attaque. Lequel ? Le marché de la corruption. Vous ne pensiez pas qu’il y avait, là une occasion d’affaires ? C’est que vous n’avez pas un sens entrepreneurial aussi développé que celui de Shaffi Mather, le capitaliste immobilier indien devenu activiste social.

Après avoir doté l’Inde d’un système communautaire d’ambulances auto-financées, il a compris le potentiel économique de la corruption. «Personne ne se lève le matin en se disant : je vais payer un pot de vin aujourd’hui », a-t-il expliqué lors d’une conférence en décembre dernier dans le cadre de TedTalks Inde. En général, la corruption est imposée au citoyen. «Mais il n’existe pas de ligne 1-800 contre la corruption.» Et, plutôt que de se battre et face à la crainte de représailles, le citoyen paie le backshish demandé et passe à autre chose.

Mather, qui fut invité par le président Obama pour un sommet sur l’entrepreneurship en avril dernier, a eu l’idée de lancer un service anti-corruption : bribebusters. Les victimes l’appellent, lui et, contre rémunération, il tente de faire retirer la demande d’argent ou de faveur – généralement illégale.

Il en est au projet pilote mais raconte que dans chacun des 42 cas tests, en Inde, il a réussi. Le fait qu’une tierce personne s’interpose entre le corrupteur et la victime est, en soi, intimidant pour le corrupteur, dont le crime suppose la confidentialité. Les techniques sont diverses. L’enregistrement vidéo ou audio de la demande de corruption fait souvent l’affaire. Une demande d’accès à l’information pour le dossier bloqué (cette loi existe en Inde) suffit parfois à la faire débloquer. Des appels aux collègues ou supérieurs du corrupteur peuvent aussi fonctionner.

Le service anti-corruption suscite trois réponses, explique Mather. Dans les meilleurs cas, la demande de corruption est immédiatement levée. Il arrive que le corrupteur veuille user de son autorité et fasse obstacle. Un deuxième outil est alors utilisé (appel, mise-en-demeure, etc.), puis un troisième. Dans 100% des cas, selon Mather, le corrupteur ne résiste pas au troisième assaut.

Cela n’est évidemment pas sans danger. Son combat contre une compagnie indienne corrompue mais influente lui a valu, dit-il, trois accusations policières pour intimidation, intrusion et usurpation d’identité.

Ces techniques sont utiles pour la corruption ordinaire, mais ne s’appliquent guêre aux Karlheinz Schreiber et autres grands corrupteurs, actifs lors de la négociation de méga-contrats d’armes, d’aviation ou d’ingénierie entre transnationales et politiciens cupides.

Mais des agences anti-corruption ordinaire peuvent-elles être rentables ? Cela dépend entièrement de l’appétit des corrupteurs. S’ils vous demandent un pot-de-vin de 10$, ce n’est pas la peine. Mais Mather donne l’exemple typique, pour l’Inde, d’une demande de 3000 roupies (70$) d’un fonctionnaire pour l’émission d’un passeport. Envoyer la demande d’accès à l’information qui a débloqué le dossier a coûté huit fois moins cher. Il y a donc beaucoup de marge pour faire un bon profit, tout en demandant au client beaucoup moins que ce que demandait le fonctionnaire.

Avec mille milliards de dollars de marché disponible, les entrepreneurs anti-corruption pourront inventer toutes sortes de méthodes. Demander un pourcentage, 15% ou 30% de la somme demandée. Ou alors offrir un tarif fixe. On pourrait voir, dans les dépliants, une liste de prix : tant pour éviter le bakchich pour le permis de construction, tant pour l’éviter dans l’asphaltage, tant pour refuser de financer le PLQ et obtenir quand même une garderie. Les applications sont illimitées. Les profits peuvent être appréciables. Mais il faut compter les faux frais : les gardes du corps.

Comme dans toute entreprise humaine, viendra un moment où les corrupteurs – qui ne sont pas les moins astucieux d’entre nous – trouveront le moyen d’en profiter aussi. Car si l’anti-corrupteur est payé au pourcentage, n’a-t-il pas intérêt à ce que le corrupteur soit plus gourmand ? Quitte à lui refiler une partie du paiement reçu du client ?

Et ce business de la propreté économique générera, à terme, un gigantesque problème. De succès en succès, il éliminera la source même de ses profits, la condition même de son existence : la corruption et les corrupteurs. Les entrepreneurs anti-corruption auront intérêt, au final, à protéger leur gagne pain.

Et encore…

Les secteurs de la construction, des travaux publics et de l’immobilier sont considérés comme les plus corrompus de toute l’activité économique, partout sur la planète, selon le dernier rapport de Transparency International. Viennent peu après l’industrie pétrolière et gazière. Parmi les plus propres : les banques, les pêcheries et la haute-technologie.

Le Canada est jugé par Transparency International comme parmi les pays où on trouve le moins de corruption, avec la Belgique, les Pays-Bas et la Suisse. On en trouve davantage, d’abord en Russie, puis au Mexique, en Chine et en l’Inde. C’est donc là que se trouve le marché émergent de l’anti-corruption.

Ce contenu a été publié dans Corruption/Intégrité, Inde par Jean-François Lisée, et étiqueté avec . Mettez-le en favori avec son permalien.

À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !