Difficultés temporaires

Depuis un an déjà, notre premier ministre implore Ottawa de réduire de 50 % le nombre d’immigrants temporaires sur le territoire québécois. Il y a les demandeurs d’asile, dont il demande la relocalisation. Mais il y a aussi les travailleurs temporaires qui sont en trop grand nombre, surtout chez les bas salariés, nous dit-il.

Je suis plus prompt que la moyenne à appuyer, sur mon téléphone, sur le bouton « 1 800 LA-FAUTE-À-OTTAWA ». Certes, la bande à Trudeau a enfourché une harde de licornes pour faire gonfler la population de son pays postnational. Mais le respect des faits conduit à un constat troublant : le gouvernement Legault lui a mis le pied à l’étrier.

Suivons la chronologie.

Avant 2018. Le Québec gère le Programme des travailleurs étrangers temporaires, le PTET. Mais Ottawa a créé un nouveau volet plus flexible, le Programme de mobilité internationale, le PMI. C’est contraire à l’esprit de l’entente Canada-Québec sur l’immigration. Québec ne bronche pas.

Octobre 2018. La Coalition avenir Québec est élue en promettant de réduire le nombre d’immigrants permanents. La question des temporaires n’est pas abordée, même si le nombre d’entrées au Québec au moyen du PMI est passé en quatre ans de 38 000 à 58 000, donc davantage par an que le nombre de permanents.

Fin 2021-début 2022. Le nombre de travailleurs étrangers temporaires à bas salaire admis sous le PTET québécois a déjà doublé, passant à 4800 en 2021. Mais sous le PMI fédéral, on est à 74 000.

Mars 2022. Le ministre de l’Immigration, Jean Boulet, demande à l’économiste Pierre Fortin et au démographe Marc Termote de produire chacun un rapport sur la forte croissance de l’ensemble des immigrants temporaires au Québec.

1er avril 2022. Le ministre Boulet annonce avoir demandé — et obtenu — au gouvernement fédéral un élargissement important du nombre de métiers qui seront maintenant ouverts à l’embauche de travailleurs temporaires sous le PTET. Selon son communiqué, « ce sont 65 nouvelles professions qui s’ajouteront à la Liste des professions admissibles au traitement simplifié, laquelle n’a toujours compris que des professions spécialisées ». Il est aussi heureux d’annoncer que, grâce au PMI+, l’arrivée d’immigrants temporaires sera encore plus facile. La CAQ annonce donc un bar presque complètement ouvert pour les travailleurs étrangers temporaires à bas salaire.

Mai 2022. Le rapport de Marc Termote pointe le décollage important des entrées dues au PMI et note « les effets pervers de cet “emplâtre” temporaire, à savoir que cela contribue trop souvent à maintenir en vie des secteurs et des entreprises à faible productivité, condamnées à long terme à la disparition ». Le rapport de Pierre Fortin conclut à une « perte de contrôle » de la politique d’immigration du Québec, démontre que la pénurie de main-d’oeuvre ne peut être résorbée par l’immigration et, comme Termote, signale des dangers quant à l’anglicisation de Montréal.

Fin mai 2022. Malgré la réception de ces rapports, Québec maintient l’entrée en vigueur de l’élargissement du PTET et du PMI aux bas salariés.

Fin 2022. Le nombre de travailleurs à bas salaire entrés grâce au PTET modifié par la CAQ est multiplié par cinq, passant à 23 000 en 2022. Le nombre de ceux entrés grâce au PMI atteint 80 000. Québec a le pouvoir de resserrer les critères du PTET sans demander l’aval d’Ottawa ; il ne le fait pas.

21 novembre 2023. La ministre Christine Fréchette annonce la mise en ligne d’une plateforme numérique pour que « les démarches des employeurs qui souhaitent recruter des travailleurs étrangers pour répondre à la pénurie de main-d’oeuvre [soient] accélérées ». Il s’agit d’une « amélioration importante qui offrira une plus grande flexibilité et une efficacité accrue », dit-on.

Fin 2023. Le nombre de bas salariés du PTET est passé à 25 500. Le nombre de personnes arrivées grâce au PMI frise les 108 000 personnes.

21 mars 2024. Le ministre fédéral de l’Immigration annonce qu’il agira pour réduire le nombre de travailleurs temporaires au Canada afin de le faire passer de 6,2 % de la population actuelle à 5 % de la population dans trois ans. Puisque la population du Canada augmente d’au moins 2 % par an, cela pourrait signifier une augmentation du nombre de temporaires. Des mesures annoncées en août et en septembre ont un impact minime (et non chiffré) sur le nombre de permis actuels et à venir.

Juin 2024. François Legault demande au fédéral une baisse de 50 % de « l’immigration temporaire » contrôlée par Ottawa au Québec.

20 août 2024. Le gouvernement Legault annonce un moratoire de six mois sur les nouvelles demandes et les renouvellements de travailleurs temporaires à bas salaire du PTET sur l’île de Montréal.

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Voici ce qu’on peut reprocher au gouvernement Legault et à ses ministres successifs de l’Immigration :

  1. ne pas avoir compris dès leur arrivée, à la fin de 2018, l’impact majeur du PMI et ne pas avoir réclamé le rapatriement de ce programme ;
  2. avoir aggravé le problème au printemps 2022 en élargissant les critères québécois d’entrée des travailleurs étrangers temporaires et en élargissant même la portée et l’efficacité du programme fédéral ;
  3. n’avoir nullement modifié les critères québécois de sélection après avoir obtenu, en mai 2022, des rapports alarmants sur l’impact des temporaires, alors même que se déroulait devant eux une croissance majeure du nombre de travailleurs étrangers ;
  4. avoir attendu deux ans avant d’agir sur le programme dont ils avaient la gestion et avant de réclamer au fédéral d’agir sur le sien.

François Legault avait promis de mieux gérer l’immigration et d’y arriver dans le cadre fédéral. Force est de constater que, loin d’avoir réussi à « en prendre moins », son gouvernement a activement exacerbé la situation pendant plusieurs années, avant de réaliser, penaud, dans quel pétrin il avait contribué à plonger le Québec.

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)

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