Du bon usage des tentatives d’assassinat

Ce n’est pas une chose pour laquelle on s’entraîne. Et lorsque ça vous arrive, votre réaction immédiate est nécessairement viscérale, donc révélatrice de la force, ou de la faiblesse, de votre caractère. La réaction de Donald Trump lors de la première tentative d’assassinat était en tout point remarquable. Atteint à l’oreille, il s’est d’abord accroupi pour se protéger contre d’autres projectiles potentiels. Puis, lorsqu’il a reçu de ses gardes du corps le signal qu’il pouvait bouger, il ne s’est pas fait petit pour se camoufler derrière les agents, comme eux-mêmes l’auraient préféré. Non, il s’est dressé le plus droit possible, dominant la scène. Le sang visible sur sa joue, il a haussé le poing, en signe de défi, et crié : « Fight, fight, fight ! » C’était parfait. Il a créé pour l’histoire un moment de force, de défiance, de détermination à ressortir plus grand des obstacles placés sur son chemin. Et quelles photos !

Il n’est pas impossible que cette performance de Trump ait été l’élément qui a fini de convaincre Joe Biden de passer le flambeau. Comment le vieil homme qu’il était pouvait-il sérieusement faire campagne contre le survivant de l’attentat, ragaillardi par le destin ?

Évidemment, il est plus facile de jouer les matamores lorsque le projectile ne vous a soustrait qu’un bout d’oreille. En 1981, Ronald Reagan a reçu une balle dans l’aisselle gauche, elle lui a cassé une côte, perforé un poumon et provoqué une hémorragie interne qui aurait pu lui coûter la vie. Il fut engouffré dans la limousine. La photo n’était pas politiquement utilisable.

En fait, de toutes les tentatives d’assassinat de présidents américains, seules deux autres ont permis à la victime d’en tirer, comme pour Trump, un avantage politique.

Andrew Jackson sortait en 1835 de l’édifice du Congrès lorsqu’un peintre en bâtiment sans emploi pointa ses deux pistolets dans sa direction. Pour une raison inconnue, les deux pistolets s’enrayèrent. Jackson, qui marchait avec une canne, se mit à taper sur son assaillant, qui fut prestement arrêté. Jackson fut applaudi pour son sang-froid et sa réaction virile.

Personne ne fut plus admirable que Theodore Roosevelt. Il fait campagne pour sa réélection en 1912 et sort d’un hôtel de Milwaukee lorsque la balle de son assassin entre dans sa poitrine. L’assaillant est agrippé par des agents et la foule assemblée crie : « Tuez-le ! » Roosevelt, une force de la nature, se relève et demande à voir l’homme au pistolet. Il l’interroge sur son motif, mais n’en tire rien. « Agents, arrêtez-le et voyez à ce qu’il ne soit pas violenté. » Il lui sauve ainsi la vie.

Conscient que la balle s’est logée quelque part (dans le muscle) mais qu’il ne crache pas de sang, Roosevelt refuse de se rendre à l’hôpital, car des milliers de personnes l’attendent pour son discours. Il ne veut pas les décevoir. « Je ne sais pas si vous êtes au courant, leur dit-il d’abord. Mais on vient de me tirer dessus. Il en faut davantage pour tuer un orignal mâle. » L’expression anglaise « Bull Moose » deviendra un de ses sobriquets — avec « Teddy Bear », déjà courant.

Avant de pénétrer dans son corps, la balle a traversé le texte de son discours, plié dans sa poche intérieure. « Heureusement, dit-il à la foule, j’avais mon texte. Donc vous voyez que j’allais faire un long discours. Et il y a une balle — c’est là où la balle est passée — et cela m’a probablement sauvé en l’empêchant d’entrer dans mon coeur. La balle est en moi maintenant, de sorte que je ne peux pas faire un très long discours, mais je ferai de mon mieux. »

Les feuilles qu’il tient en main sur le podium sont donc tachées de sang. Il avait précédemment pris l’habitude de jeter les feuilles de ses discours dans la foule à mesure qu’il les délivrait. Des souvenirs précieux pour ses fans. Cette fois, les feuilles portent son sang, et n’en sont que plus précieuses. Son allocution, opportunément intitulée « Une cause progressiste plus grande que tout individu », est livrée en entier, pendant 50 minutes, alors même que les spectateurs observent, sous sa veste, l’ampleur grandissante que prend sur sa chemise blanche la tache de sang.

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Il est peu probable qu’un autre discours ait, dans l’histoire, suscité une émotion semblable parmi les auditeurs. Une fois les ovations terminées, Roosevelt est transporté à l’hôpital, où les médecins décident qu’il est préférable pour leur patient de maintenir la balle là où elle est. La retirer provoquerait des dommages encore plus grands. Il la garda dans sa poitrine encore sept ans, sa mort ne semblant pas liée à sa présence. Il ne gagna pas cette campagne, pour un troisième mandat et comme candidat d’un tiers parti, mais toute sa vie, savamment racontée par Edmund Morris dans une trilogie passionnante et malheureusement jamais traduite en français, est faite de morceaux de bravoure.

Avoir une excellente réaction à une tentative d’assassinat n’est donc pas un gage de succès aux urnes. Ce ne fut pas le cas pour Jackson, qui ne fut pas candidat à l’élection suivante, ni pour Roosevelt, arrivé deuxième. Les sondages indiquent que Donald Trump ne semble pas non plus avoir bénéficié de son admirable réaction. Pour l’instant. Il reste cinq semaines.

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)

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À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !

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