Échanges épistolaires au sujet du boycott d’Israël

À la suite de mon article Les chaussures d’Amir Khadir, de décembre, Richard Marceau et David Ouellette ont publié une lettre ouverte répliquant à mon analyse.  Richard est conseiller politique principal au Comité Canada-Israël et David est Directeur de la recherche au Comité Québec-Israël, cependant ils ont écrit cette lettre à titre personnel et l’ont publiée sur le blogue de David. Il me fait plaisir de la reproduire ici et d’y faire apparaître mes commentaires, entrelardés.

Cher Jean-François,

Dire que votre endossement d’un boycottage ciblé de l’État d’Israël nous a beaucoup déçus serait un euphémisme. Vous nous avez habitués dans vos analyses de la politique québécoise à davantage de rigueur.

Nous sommes conscients de la longueur de notre réplique, et encore, elle n’est pas exhaustive, mais vous comprendrez que redresser les faits est toujours plus long que les déformer.

La vraie nature du mouvement BDS

Tout d’abord, vous ne semblez pas remarquer la contradiction inhérente à votre profession de soutien entier à l’existence, à la permanence et à la sécurité d’Israël et à votre caution pour le caractère « raisonnable » de l’accusation d’apartheid contre Israël.

Peut-être votre confusion est-elle attribuable à votre ignorance de la nature discriminatoire, liberticide et haineuse du mouvement de boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) contre Israël et de ses objectifs. La campagne BDS et l’accusation d’apartheid sont les héritiers idéologiques de l’infâme résolution onusienne initiée par l’Union soviétique (et abrogée dans la foulée de son effondrement) assimilant le mouvement de libération nationale du peuple juif, le sionisme, à une forme de racisme. La campagne BDS ne cherche pas à faire pression sur Israël pour mettre fin à l’occupation, mais à délégitimer le principe même d’un État-nation juif qu’il convient de démanteler à l’instar de l’ancien régime sud-africain pour faire place à un État palestinien unitaire de la Mer méditerranée au Jourdain.

Chers Richard et David,

Je reviens dans un instant sur ce « boycottage ciblé » et sur l’accusation d’apartheid.

D’abord j’aimerais indiquer qu’à mon avis, s’il y a un peuple au monde qui a acquis un droit imprescriptible à la paranoïa, c’est le peuple juif.  Et je le dis sans ironie aucune.

Ensuite, j’ajouterais qu’il ne fait aucun doute que se glissent dans les mouvements de critiques et de boycott en cours d’Israël des groupes et des personnalités qui espèrent l’abolition de l’État d’Israël — qui donc sont anti-sionistes — et des personnes et des groupes qui sont racistes envers les juifs — qui donc sont anti-sémites.

Ces vérités étant dites, je réitère que la décision d’individus ou de groupes de boycotter les produits israéliens pour tenter d’influencer l’État juif dans la conduite, critiquable, de sa politique envers les Palestiniens n’en est pas moins légitime — même si j’ai indiqué pour ma part que je l’estime inutile et inefficace.

Cela me rappelle un peu Richard Nixon qui voyait la main de Moscou derrière les manifestations pacifistes américaines pendant la guerre du Vietnam. Il avait raison. Les soviétiques infiltraient et influençaient le mouvement. Mais les centaines de milliers de citoyens qui y participaient étaient sincères dans leur action et méritent le respect.

J’ajouterai pour revenir chez nous et ajouter un peu d’eau à votre moulin que j’ai été choqué de trouver, sur le site de Palestiniens et Juifs unis, qui organisent le boycott sur la rue Saint-Denis, des prises de position en faveur de l’existence d’un État palestinien — ce qui est bien — et pour l’existence des « populations » israéliennes et juives, mais en aucun cas pour l’existence de l’État israélien. Remarquez, ils ont le droit.

Mais je crois qu’on peut, comme l’immense majorité des Québécois être en faveur de la solution des deux États et croire en même temps au boycott.

En outre, le mouvement BDS n’appelle pas seulement au boycottage commercial d’Israël, mais au boycott universitaire et culturel des Israéliens. L’an dernier, un dirigeant syndical ontarien a appelé au boycott des universitaires israéliens sur les campus de la province. Nous osons présumer, Jean-François, qu’à titre de directeur du CÉRIUM, vous vous opposeriez résolument à pareille tentative de stigmatisation et de discrimination d’universitaires en vertu de leur seule nationalité sur le campus de l’Université de Montréal. Et nous espérons qu’à l’instar de l’ex- principal conseiller politique de Barak Obama et ancien recteur de l’Université Harvard, Lawrence Summers, vous jugeriez que cette campagne est  « anti-Semitic in effect, if not intent», qu’elle porte, selon les mots de la Première secrétaire du Parti socialiste français Martine Aubry,  l’intolérance et la haine ou, qu’à tout le moins, vous vous rallieriez aux 38 lauréats du Prix Nobel qui cet automne ont condamné les tentatives d’imposer un boycott universitaire anti-israélien comme une attaque contre les principes de liberté scientifique. Aussi n’est-ce pas un hasard si les organisateurs d’un récent congrès BDS de trois jours à Montréal ont invité comme conférencier d’honneur un syndicaliste sud-africain condamné pour incitation à la haine des Juifs en Afrique du Sud.

JFL: Le principe même d’un boycott est de nuire à la bonne marche des affaires dans le pays boycotté, dans l’espoir qu’il modifie son comportement. Je réitère que, dans le cas d’Israël, la technique est vouée à l’échec.

Cependant je dois souligner, en m’exprimant à titre purement personnel, que si j’étais convaincu que le boycott des produits israéliens ou des échanges universitaires avec Israël était de nature à stopper l’expansion des colonies juives en Cisjordanie, posant ainsi une condition essentielle à un accord de paix, j’y souscrirais sans réserve.

Je ne vois pas exactement pourquoi il faudrait être davantage attristé ou scandalisé de l’empêchement fait à un universitaire israélien d’avoir des relations avec ses collègues étrangers — ce qui ne lui enlève ni son emploi, ni son revenu — que du boycott de produits manufacturiers ou agricoles, qui peut pousser des paysans ou ouvriers israéliens au chômage.

La véritable portée de l’accusation d’apartheid

Il est affligeant de vous voir réduit à exécuter des pirouettes sémantiques pour légitimer l’indéfendable. Car pour accepter que l’occupation israélienne de la Cisjordanie constitue un “ “régime institutionnalisé d’oppression systématique et de domination d’un groupe racial sur un autre”, il faut balayer sous le tapis le fait que les Israéliens sont  juifs, chrétiens, musulmans, bédouins, africains, arabes, druzes et circassiens et ne sauraient former un groupe racial.

JFL: Certes, mais les blancs Sud-Africains n’étaient pas ethniquement homogènes non plus. Aucun groupe majoritaire ne l’est

Mais surtout, dans quel intérêt un État qui ne s’identifie guère en termes raciaux et dont tous les citoyens sont égaux devant la loi peu importe leur origine ethnique ou confession religieuse, appliquerait-il un régime de ségrégation raciale en Cisjordanie ? Qu’on sache, le conflit israélo-palestinien est un conflit entre nationalismes et non pas entre races. Il en découle, en toute logique, que les dispositions sécuritaires ne font de distinctions entre les populations en Cisjordanie que sur la base de la nationalité et non pas de la race. Que vous appeliez en renfort Desmond Tutu est ironique lorsqu’on sait qu’il se livre aux mêmes acrobaties sémantiques pour assimiler le Canada à un régime d’apartheid et que les principaux promoteurs de la campagne BDS considèrent que le Canada, y compris le Québec, sont des États coloniaux qui ont servi d’inspiration aux architectes du régime d’apartheid sud-africain.

JFL: Comme vous le savez, le gouvernement canadien a du s’excuser de ses politiques assimilationnistes et inhumaines envers des populations inuits et autochtones au Canada. Tutu parlait du présent et ses propos étaient exagérés. Mais pour le passé, il n’était pas loin de la cible.

Notons en passant que cette accusation d’apartheid portée contre l’État d’Israël a de plus été rejetée par des critiques sévères de l’État juif comme Irshad Manji, Tarek Fatah dans son dernier livre et même l’intellectuel palestinien Edward Saïd, qui a affirmé qu’Israël n’était pas l’Afrique du Sud.

Quant à la condition des Arabes israéliens, s’ils sont confrontés à des problèmes de discrimination comme toute minorité dans toute démocratie, il n’en demeure pas moins qu’ils participent activement à la vie politique du pays, sont représentés au parlement et le co-président, occupent des postes ministériels, siègent à la Cour suprême israélienne, occupent des fonctions diplomatiques, y compris des postes d’ambassadeur, fréquentent les mêmes établissements publics et privés que leurs concitoyens israéliens, sont soignés dans les mêmes hôpitaux et fréquentent les mêmes universités. Qui plus est, depuis 2004 une loi de discrimination positive a été adoptée pour assurer que les sociétés d’État comptent au moins un Arabe israélien à leur conseil d’administration.

JFL: Merci pour ces informations, mais je n’ai nullement parlé des Arabes citoyens d’Israël, mais seulement de la Cisjordanie occupée et ceinturée d’un mur/barrière et de Gaza, victime d’un blocus.

En ce qui concerne les arabes citoyens d’Israël, pour les lecteurs intéressés, voir cette entrevue que j’ai réalisée pour Planète Terre avec une experte du sujet, Laurence Louër.

Pis, cette accusation d’apartheid est en soi antisémite. Ce n’est pas nous qui l’affirmons, mais l’Union européenne. En effet, selon la définition officielle de l’Union européenne, accuser Israël d’apartheid est en soi une accusation antisémite. L’Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes, institution de l’Union européenne qui a été remplacée en 2007 par l’Agence des droits fondamentaux, a publié en 2004 une définition de travail de l’antisémitisme et a donné des exemples d’attitudes antisémites.

Leur définition de travail est la suivante: « L’antisémitisme est une certaine perception des juifs, pouvant s’exprimer par de la haine à leur égard. Les manifestations rhétoriques et physiques de l’antisémitisme sont dirigées contre des individus juifs ou non-juifs et/ou leurs biens, contre les institutions de la communauté juive et contre les institutions religieuses juives. »

Plus loin, l’Observatoire affirme que « l’État d’Israël, perçu comme une collectivité juive, peut aussi être la cible de ces attaques » et donne des « exemples non exhaustifs de réflexions antisémites en rapport avec l’État d’Israël:

  • Nier au peuple juif le droit à l’autodétermination, en prétendant par exemple que l’existence de l’État d’Israël est une entreprise raciste.
  • Faire preuve d’une double morale en exigeant d’Israël un comportement qui n’est attendu ni requis d’aucun autre pays démocratique.
  • Utiliser des symboles et images associés à l’antisémitisme classique (par ex: l’affirmation que les Juifs ont tué Jésus ou les meurtres rituels) pour caractériser Israël et les Israéliens.
  • Faire des comparaisons entre la politique actuelle israélienne et celle des nazis.
  • Tenir les juifs de manière collective pour responsables des actions de l’État d’Israël.

 

Toutefois, les critiques à l’égard d’Israël comparables à celles exprimées à l’encontre d’autres pays ne peuvent être qualifiées d’antisémites. »

À la lumière de cette définition européenne de l’antisémitisme, il est facile de démontrer qu’accuser Israël d’être un État d’apartheid (i.e. prétendre que l’existence de l’État d’Israël est une entreprise raciste) est faire preuve d’antisémitisme.

Le but de la campagne Israël=apartheid est très simple : diaboliser Israël, délégitimer l’État juif. Si Israël est un État d’apartheid, la solution n’est pas de l’encourager à négocier avec les Palestiniens, mais bien de démanteler cet État. L’apartheid étant défini comme un crime contre l’humanité, il doit être éradiqué.

La genèse de cette stratégie provient de la réalisation qu’Israël ne peut être défait sur le champ de bataille. Ainsi, ses ennemis ont choisi d’appeler à son  démantèlement à l’instar du régime d’apartheid sud-africain par des attaques soutenues contre la légitimité même d’un État-nation juif. Nous vous laissons le soin de réconcilier votre profession de soutien à la légitimité d’Israël avec votre caution pour l’assimilation d’Israël à un régime criminel condamné au démantèlement.

JFL:  Journaliste de profession, je suis extrêmement réticent à toutes les tentatives de circonscrire la liberté d’expression et de critique, que ces critiques soient dirigés envers les indépendantistes québécois, les américains, les chinois ou les israéliens, les canadiens-français ou les juifs.

J’ai dénoncé ici la tentative d’États de réglementer la liberté d’expression, y compris de criminaliser les propos négationnistes — absurdes et condamnables, mais couverts à mon avis par la liberté d’expression.

Je comprends le contexte historique dans laquelle l’accusation d’apartheid a été d’abord soulevée. Mais, juriste de formation, je suis retourné au texte de ce que constitue, aujourd’hui pour la Cour pénale international, le crime d’apartheid et j’ai tenté de juger si, oui ou non, des comportements de l’État juif répondent à ces critères.

J’y trouve des similitudes, mais pas suffisamment pour me prononcer. Simplement suffisamment pour estimer que des personnes raisonnables peuvent arriver à cette conclusion, sans nécessairement être anti-sionistes ou anti-sémites, ou agents du KGB.

Je vous comprend de ne pas partager mon approche. Vous êtes en position de vigilance et de défense de l’État juif, face à des ennemis réels et efficaces. Je suis un citoyen, journaliste et universitaire soucieux de l’étude des faits et de la défense de la liberté d’expression. Je comprends la volonté des défenseurs de l’État juif et de la communauté juive de vouloir traquer, partout, l’antisémitisme. Je constate aussi qu’il est trop facile d’accuser d’anti-sémitisme tous ceux qui critiquent l’État juif ou tel ou tel geste d’organisations de la communauté juive.

Le réjectionnisme palestinien: la vraie raison de l’absence d’un État palestinien

Nous affirmons d’emblée que nous ne sommes d’aucune façon des partisans de l’entreprise de construction d’implantations juives en Cisjordanie.

JFL: Chers Richard et David, je suis très heureux de lire cette affirmation, portant vos signatures. C’est courageux de votre part, compte-tenu des fonctions que vous occupez dans les organisations de défense d’Israël.

Je notais dans mon billet que l’Autorité palestinienne elle-même n’applique pas de boycott aux produits israéliens, mais aux seuls produits venant des colonies juives en Cisjordanie. (En fait, l’Autorité embauche des entreprises israéliennes pour des travaux de construction en Cisjordanie, à condition que ces entreprises n’achètent rien qui soit produit dans les colonies! Comme quoi la réalité sur le terrain est fascinante !)

J’estimais que si on souhaitait opérer un boycott marginalement efficace (mais j’ai des doutes) ou en tout cas politiquement très solide dans sa cible, il faudrait boycotter spécifiquement les produits de ces colonies. Je comprends que vous n’adhérez pas à cette idée, mais j’ai des raisons de penser que vous ne ferez pas exprès pour acheter des produits des colonies.

Ceci étant dit, il est indéniable qu’à chaque fois qu’Israël a eu le choix entre la paix et les implantations, Israël a choisi la paix. La preuve: le démantèlement des implantations dans le Sinaï après la conclusion du traité de paix avec l’Égypte et la destruction de toutes les implantations à Gaza après le désengagement en 2005.

La véritable raison pour laquelle un État palestinien n’apparaît toujours pas sur les cartes du monde en est une que vous avez entièrement occultée dans votre texte: le réjectionnisme palestinien. Votre chronique manque singulièrement de perspective historique, ce qui explique une méconnaissance inouïe de la situation.

Bien sûr, nous pourrions écrire longuement sur le rejet répété des Arabes de toute tentative d’établir deux États (un juif, un arabe) au cours de l’histoire récente: du rejet du Plan Peel de 1937 au plan de partition de l’ONU de 1947 en passant par les trois « non’ » (non à la reconnaissance d’Israël, non aux négociations avec Israël, non à la paix avec Israël) de 1967 jusqu’au rejet des offres d’Éhoud Barak à Camp David en 2000 ou du rejet par Abbas degénéreuses offres d’Éhoud Olmert.

Les Palestiniens n’ont toujours pas tourné la page de ce réjectionnisme.

Non seulement les Palestiniens ont-ils refusé de négocier pendant le gel de la construction dans les implantations de 10 mois décrété par Netanyahou en novembre 2009, mais l’Autorité palestinienne a multiplié les conditions préalables à toute reprise de pourparlers.

En outre, sondage après sondage révèle que la majorité écrasante de la population palestinienne assimile la paix à la disparition de l’État d’Israël. Par exemple, un sondage réalisé par le mouvement pro-paix One Voice et publié le 22 avril 2009 indique que 71% des Palestiniens pensent qu’il est essentiel que le territoire de leur État recouvre les territoires occupés et… tout le territoire israélien actuel. Si on ajoute à ce nombre le pourcentage de Palestiniens croyant que cette solution est « désirable », le pourcentage passe  à 82%.

Le 9 novembre 2010, le Arab World for Research and Development, un institut de recherche basé à Ramallah,  dévoilait les résultats d’un sondage effectué auprès des Palestiniens de la Cisjordanie et Gaza indiquant notamment que a) si les négociateurs palestiniens proposaient un État palestinien mais devaient faire des compromis sur les enjeux-clés que sont le « droit au retour », Jérusalem, les frontières et les implantations, 84% des Palestiniens s’opposeraient à une telle entente et 12,7% l’appuieraient et b) 65% des Palestiniens estiment qu’il est « essentiel » que tout accord de paix inclut le « Palestine historique » du Jourdain à la Méditerranée tandis que 18.3% pensent que cela est « désirable ». En d’autres mots, plus de 80% des Palestiniens estiment qu’il est « essentiel » ou « désirable » que l’État d’Israël disparaisse pour arriver à la paix!

Ces attitudes palestiniennes devraient vous inciter à vous poser la question : le conflit israélo-palestinien porte-t-il sur la taille d’Israël ou sur son existence ? Comme vous semblez apprécier la lecture des « nouveaux historiens » israéliens, nous vous suggérons de lire un récent essai de leur chef de file, Benny Morris, dont nous citons un bref passage :

« Les dirigeants palestiniens laïcs expriment la volonté de trouver une solution à deux Etats mais conçoivent un tel résultat comme intermédiaire et temporaire. Ils parlent de deux États, un arabe palestinien en Cisjordanie, à Gaza et à Jérusalem-Est et un autre État dont la population serait juive et arabe et qui, selon eux, finirait par devenir à majorité arabe dans une ou deux générations par voie de procréation arabe (le taux de natalité arabe palestinien est à peu près le double de celui des Juifs israéliens) et par le «retour» des Palestiniens avec le statut de réfugié. C’est pourquoi les dirigeants du Fatah, dirigés par l’Autorité nationale palestinienne, Mahmoud Abbas, rejettent catégoriquement la formule clintonienne de «deux Etats pour deux peuples » et refusent de reconnaître «l’autre» État, Israël, comme un «Etat juif». Ils espèrent que cet «autre» État sera «arabisé» avec le temps, ouvrant ainsi la voie à la fusion éventuelle des deux Etats temporaires en un Etat à majorité arabe palestinienne entre le fleuve et la mer ».

Du point de vue israélien, un accord de paix aboutissant sur l’établissement d’un État palestinien en Cisjordanie et àGaza doit mettre fin au conflit israélo-palestinien dans sa totalité – une fin globale de la violence et des revendications réciproques. Toutefois, pour l’heure, l’Autorité palestinienne aborde les négociations dans le but limité de “mettre fin à l’occupation qui a commencé en 1967” sans résoudre une fois pour toutes le conflit avec Israël. Cette approche laisse présager que même après la conclusion d’un accord avec Israël sur un État palestinien, cet État continuerait de chercher à confronter Israël et à formuler des revendications contre ses frontières pré-1967 et explique pourquoi l’Autorité palestinienne a récemment redoublé les efforts diplomatiques pour déclarer unilatéralement l’indépendance de son État sans conclure d’accord avec Israël. Cela est inacceptable pour Israël, lequel cherche un accord de paix définitif qui mette fin au conflit dans sa totalité et inaugure une nouvelle ère de relations pacifiques non seulement entre Israël et les Palestiniens, mais aussi entre l’ensemble des États arabes et Israël.

JFL: Ces considérations dépassent de loin la teneur de mon billet d’origine. Comme vous le savez, plusieurs des affirmations que vous faites ici et le choix des exemples que vous utilisez sont sujets à débat entre gens de bonne foi, informés et désireux de paix.

Mais il n’y a aucun doute que la tâche de conclure une paix durable est une entreprise d’une grande complexité et semée d’embûches, de part et d’autre.

Le droit international ou l’importance de bien lire les textes

Vous affirmez bâtir une partie de votre argument sur le droit international. Or, votre interprétation de celui-ci est fausse, notamment en ce qui a trait au tracé des frontières. En droit, il est essentiel de se référer aux textes. Vous devriez savoir et auriez dû faire mention que les lignes de 1949 ne sont juridiquement pas des frontières et que la résolution 242 du Conseil de sécurité de l’ONU n’indique aucunement que tous les territoires conquis par Israël en 1967 devaient être évacuées par Israël. Au contraire, le libellé avait été minutieusement formulé pour éviter qu’elle soit comprise de cette façon.

JFL: Je n’en disconviens pas. Mais au-delà de la limitation stricte des frontières, il ne fait aucun doute qu’Israël occupe un territoire qui n’est pas le sien (acquis en riposte à des agressions et dont l’occupation serait compréhensible dans l’optique d’une occupation transitoire en attente d’un accord de paix) et qu’il y installe routes et colonies qui ne devraient pas y être, légalement et moralement.

Crimes de guerre

L’accusation de crimes de guerre que vous portez dans votre texte est très grave et mérite une longue réponse.

La principale source de cette accusation est le Rapport Goldstone. Bien que ce rapport conclue aussi que les groupes armés palestiniens ont commis des crimes de guerre et possiblement des crimes contre l’humanité en bombardant le sud d’Israël, il est évident, à la lecture du rapport, que cette tentative d’équilibre n’est que de la poudre aux yeux. Le rapport se concentre beaucoup plus sur Israël. Il ignore pratiquement les crimes du Hamas qui ont déclenché l’opération militaire israélienne. Ce n’est pas peu dire: pas une fois le mot « Hamas » n’apparaît dans le rapport de plus de 500 pages, dévoilant clairement son biais.

De plus, le commanditaire du rapport, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, est connu comme étant biaisé contre Israël. En fait, le Conseil des droits de l’homme a condamné l’État d’Israël plus que tous les autres pays membres de l’ONU réunis ! Nous ne saurions trop vous recommander la lecture d’un article de Joseph Facal sur la démesure des condamnations onusiennes d’Israël, publié dans la foulée de la publication du rapport Goldstone.

Avant même que le comité de Goldstone ne commence sa pseudo-enquête, le Conseil des droits de l’homme avait déjà déclaré qu’Israël était coupable de « violations massives des droits humains. »  En effet, le mandat du Comité Goldstone lui-même commençait en :

« (…) condamnant fortement l’opération militaire israélienne qui a résulté en des violations massives des droits de la personne du peuple palestinien et en destruction massive des infrastructures palestiniennes ».

C’est dire que la culpabilité d’Israël était préjugée dès le départ.

Le mandat du comité Goldstone était tellement biaisé que : a) il ignorait toutes les preuves bien connues de non-respect des droits de la personne par le Hamas et b) plusieurs candidats de prestige ont refusé de présider ce comité, incluant l’ex-présidente de l’Irlande, Mary Robinson (pourtant peu suspecte de complaisance envers Israël) qui a déclaré que cette enquête était « guidée non pas par les droits de la personne, mais par la politique. »

Parmi les membres du Comité Goldstone se trouvait la professeure Christine Chinkin. Celle-ci a notamment signé pendant le conflit à Gaza (donc avant sa participation à la pseudo-enquête) une lettre ouverte intitulée « Le bombardement de Gaza par Israël n’est pas de l’auto-défense, mais un crime de guerre ». Ceci s’inscrit nettement en faux avec l’adage légal voulant que non seulement justice doit-elle être rendue, il doit y avoir aussi apparence de justice. Ceci indique que Chinkin avait préjugé des conclusions. Ceci a aussi amené plus de 50 juristes britanniques et canadiens à lui demander de se retirer du Comité Goldstone. En entrevue sur ce sujet précis en août 2009, Goldstone a affirmé : « Si cela avait été une enquête judiciaire, cette lettre aurait mené à une disqualification. » Pourtant, en affirmant juger Israël selon le droit international, le Comité Goldstone s’est comporté exactement comme un tribunal.

Les autres membres du Comité, dont Goldstone lui-même, ont signé une lettre en mars 2009 se disant « profondément choqués » par les événements de Gaza. Si leur idée était déjà faite, comment peuvent-ils aujourd’hui prétendre juger impartialement ?

Le prétendu expert militaire du Comité Goldstone, le colonel irlandais Desmond Travers, a plus tard affiché sa partialité en affirmant que le Hamas n’avait tiré que deux missiles sur Israël avant le conflit à Gaza, ce qui est évidemment faux, les partisans du Hamas eux-mêmes glorifiant les milliers de missiles lancés.

De plus, les membres démocratiques du Conseil des droits de l’homme de l’ONU – incluant tous les pays de l’Union européenne y siégeant (France, Allemagne, Italie, Royaume-Uni), le Japon, le Canada et la Suisse – ont tous refusé d’endosser le mandat de la mission Goldstone parce qu’il était biaisé.

Comme le dit si bien l’intellectuel français Pierre-André Taguieff :

L’objectif des ennemis de l’État juif est de conférer une légitimité internationale aux accusations criminalisantes visant Israël et, ainsi, de lui interdire dans l’avenir de riposter aux attaques de groupes islamistes. Ce qui revient à condamner à mort Israël (…) Pour ceux qui soutiennent le rapport Goldstone, il s’agit donc à la fois de délégitimer l’État juif en l’accusant de crimes de guerre, voire de crimes contre l’humanité, et d’enrayer sa capacité de riposte militaire .

Quant au nombre de victimes du conflit à Gaza, le 1er novembre 2010, le Hamas a admis que 700 combattants furent tués pendant le conflit de Gaza , sur un nombre total de 1166 Palestiniens tués. Si un nombre prouve bien le soin que porte Israël à éviter des victimes civiles, c’est bien celui-là.

En effet, pour remettre le tout en contexte, il est important de savoir que, selon un rapport du Comité international de la Croix-Rouge datant de 2001, les civils font les frais de la guerre moderne, avec 10 morts civiles pour chaque soldat tué dans les guerres depuis le milieu du 20e siècle. Ceci est à comparer avec 9 soldats tués pour chaque mort civile pendant la Première Guerre mondiale. Avec un ratio moderne de 10 :1 (morts civiles/soldats), on est loin du compte avec les conflits impliquant Israël.

JFL: C’est à dessein que je n’ai pas cité le rapport Goldstone dans mon billet. Le fait que ce rapport soit entaché de biais ne suffit cependant pas à écarter la valeur de toutes les allégations.

J’ai parlé « d’accusations crédibles de crimes de guerre ». Je considère que la seule utilisation de bombes au phosphore pendant l’opération israélienne à Gaza suffit à donner du poids à ces accusations.

Encore une fois, vous assimilez la critique envers la méthode employée par Israël (une démocratie) pour riposter aux tirs de missiles meurtriers du Hamas contre des civils (un groupe islamiste fondamentaliste qui ne veut plus tenir d’élection et qui souhaite la destruction d’Israël) à une volonté de « condamner à mort l’État juif ».

Permettez moi bien amicalement de vous souligner que cette technique de brandir devant chaque propos critique l’accusation de vouloir la mort d’Israël n’est pas de nature à élargir le champ de ceux qui, comme moi, souhaitent le succès de l’État juif, comme de l’autorité palestinienne et de son futur État, mais souhaitent garder leur capacité de critiquer, durement lorsque c’est approprié, les actions des gouvernements de l’un et de l’autre.

Sur ce, nous vous prions d’accepter nos vœux pour un Joyeux Noël et une Bonne Année 2011.

Richard Marceau et David Ouellette

Permettez-moi aussi de vous souhaiter une bonne année et, surtout, une année de paix.

Jean-François

Réponse de Richard et David

Voici la réponse de gentlemen que m’ont fait Richard et David sur le blogue de ce dernier ce dimanche:

Cher Jean-François,

Nous avons lu ta réplique à notre lettre et sommes heureux de constater que, malgré des différences d’approche et d’opinion importantes, nous partageons le souhait de voir la paix s’installer au Proche-Orient par l’établissement d’un État palestinien indépendant viable, démocratique et pacifique à côté de l’État juif d’Israël dont la sécurité serait garantie.

À court terme, nous souhaitons voir le président palestinien Mahmoud Abbas – que nous avons nous-mêmes rencontré – retourner négocier au lieu d’éviter les négociations comme il le fait depuis des mois.

Pour la prochaine année, notre souhait est que le principal obstacle à cette vision, soit le réjectionnisme palestinien, soit levé rapidement et définitivement.

Au plaisir,

David Ouellette et Richard Marceau