Économie: Encore trois ou quatre crises, et ça ira !

rocard-150x133C’est Michel Rocard, l’ex-premier ministre français, qui le dit dans le dernier Nouvel Observateur. La grande crise financière de 2008 n’aura pas suffi à convaincre les décideurs, économiques et politiques, à changer de cap.

À quelques détails près, la réglementation financière est aujourd’hui identique à celle qui existait avant la crise, et qui en a posé les conditions. Rocard, le socialiste qui a toujours eu une lecture implacable de la réalité, livre son diagnostic, avec juste assez de recul pour que sa prévision ait malheureusement des airs de crédibilité.

N. O. – Les leçons de cette crise n’ont pas été tirées ?
M. Rocard. – Non. Cela impose de penser les choses autrement. Mais il y en a pour vingt ans. Les nouvelles explosions du détonateur financier vont aggraver le désarroi et le niveau de chômage. Et accentuer le déséquilibre social. D’où un coup de fouet à la réflexion intellectuelle. Au bout de trois ou quatre fois, les opinions auront compris.

 

N. O. – Il faut encore trois ou quatre crises comme ça pour changer de logiciel économique ?
M. Rocard. -Je ne le souhaite pas, mais je le crains. L’analyse de la crise n’est pas faite. Pour la partie bancaire et financière, on dit : c’est la faute à la perte de l’éthique, à la disparition de la moralité. C’est très reposant. S’il y a retour à la moralité, il n’y a pas besoin de changer les autres règles, tout se passera très bien.

 

Or c’est faux. Il faut revenir sur les causes du ralentissement de la croissance. Les friedmaniens avaient dit: déréglementation, baisse des impôts, facilités de crédit pour doper la croissance. On a vu où cela a conduit. La vraie analyse supposerait de condamner les thèses de M. Milton Friedman et des treize autres prix Nobel d’économie de la même école. Or dans tous les pays développés, la sélection des conseillers économiques dans les cabinets, des dirigeants de banque, des donneurs d’avis en matière économique s’est faite sur le politiquement correct par rapport à cette doctrine. Il arrive à ce monument nommé «sciences économiques» ce qui se passerait en médecine si l’on découvrait que Louis Pasteur a tout faux. Et cet effondrement intellectuel est un effondrement d’hommes de pouvoir et de réputation. Et ils sont toujours à la tête des hiérarchies. Pas commode.

 

[…] Pendant les années de la grande croissance régulée, le propos électoral de la droite c’était : votez capitaliste, vous aurez une chance honorable d’arriver à l’aisance par le travail. Le nouveau rêve des dernières décennies c’est : votez capitaliste, vous pourrez faire fortune rapidement grâce à la Bourse. Et là, le système ne tient pas. Parce qu’il ne le peut pas. Il engendre des bulles spéculatives qui éclatent. Mais ce n’est pas grave. On continue de baratiner le peuple : votez capitaliste, vous pourrez faire fortune en boursicotant. L’opinion publique européenne est ralliée à ce paradigme : on l’a vu aux dernières élections européennes. Cela va donc continuer. Et comme la sphère financière se reconstitue comme avant la crise – explosivité comprise -, c’est parti pour que ça se répète.

Rocard tient encore des propos intéressants sur la résilience des social-démocraties scandinaves dans la crise, fondée notamment selon lui sur leur capacité de réduire les inégalités, donc de susciter l’adhésion sociale. Et il conclut: «nous mettrons deux ou trois décennies pour sortir de cette crise. Et le théâtre des opérations, c’est d’abord le champ de bataille intellectuel.»