Élections fédérales: le palmarès des perdants !

Il y a toujours quelqu’un qui gagne, lors d’une élection. Quelqu’un qui gouverne. Il y a parfois plusieurs joueurs qui progressent, voire qui ressuscitent, et qui ainsi gagnent du terrain. Mais il y a victoire et victoire. Comme il y a défaite et défaite. C’est une question de degrés.

Et même chez les gagnants de l’élection fédérale de 2019, la dose de défaite est considérable. Ce qui fait de cette élection un cas particulier, où personne n’est aussi heureux qu’il ne le souhaitait. Où le déséquilibre s’impose comme la valeur dominante du résultat du vote.


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J’entends des commentateurs affirmer que tel ou tel parti aurait du mieux anticiper, ajuster le tir, n’avait pas su, n’avait pas pu. Je n’en crois rien. J’estime qu’à peu de choses près, chaque leader a joué sa partition au mieux — et chaque joueur a eu sa juste dose de pépins. Et chaque joueur a eu, de la part de l’électorat, non pas la note qu’il méritait, mais la note que ce pays fragmenté a décidé de lui donner.

1 – Désignons d’abord les plus grands perdants. Maxime Bernier, bien sûr. Il y avait, dans le corps politique canadien, une place à prendre pour un parti plus conservateur que celui d’Andrew Scheer. Peut-être 10 ou 15 % du vote. On peut, comme moi, être en désaccord avec presque tout ce qu’il avance, reste que ses thèmes, sur l’État qu’il faut rendre minuscule, sur les finances publiques qu’il faut immédiatement équilibrer, sur l’immigration qu’il faut réduire significativement, sur l’aide étrangère qu’il faut abolir, son opposition à ce qu’il appelle le « multiculturalisme extrême » aurait du lui valoir, au moins, davantage de circonscriptions que les verts. Maxime Bernier est deux fois victime. D’abord, au Québec, son discours était trop audacieux pour ses propres électeurs de Beauce, qui sont des conservateurs pantouflards, pas des conservateurs révolutionnaires. Ailleurs, dans l’Ouest, où il aurait pu faire des gains, il a été victime de ce qu’il faut bien appelé la trudeauphobie ambiante. Les milieux ultra-conservateurs convoités par Bernier étaient davantage motivés par leur volonté de se débarrasser de Justin que par leur appui aux thèses du beauceron. Et contre Trudeau, ces électeurs préfairaient faire corps avec Andrew Scheer, même s’ils le trouvaient trop mou. Malgré sa piètre performance au débat en anglais, où il était inaudible, Bernier a fait le maximum dans cette campagne. Mais le maximum ne suffisait pas.

2 – Elizabeth May est la seconde plus grande perdante. En début de campagne, elle était destinée à supplanter le NPD. La question climatique s’est imposée à la campagne de 2019 plus que jamais, notamment avec l’énorme manifestation de Montréal et la tournée de la jeune Greta. Ce climat sur l’enjeu du aurait dû être porteur pour sa formation. May a bien performé à chacun des débats où elle s’est présentée. Elle fut victime de l’embouteillage des partis se prétendant verts. Ses principaux gains ne pouvaient se faire qu’en allant chercher des électeurs NPD et des électeurs libéraux. Malheureusement pour elle, Jagmeet Singh a fait une campagne nettement plus forte et attractive que prévu, a martelé le thème environnemental, et il a ramené chez lui ses électeurs qui auraient pu faire défection chez les verts. En fin de campagne, Justin Trudeau a pris des airs de plus en plus écolo, et insisté sur l’importance de faire barrage au climato-régressif Scheer, ce qui lui a permis de colmater la brèche sur son flanc vert. Bref, May a fait le maximum dans cette campagne. Mais le maximum ne suffisait pas.

3 – Jagmeet Singh est quatrième sur la liste des perdants. Certes, il n’a pas tout perdu. Son leadership était en jeu en début de campagne, son excellente performance l’a mis bien en selle pour faire au moins un autre tour électoral. Il a fait sortir son parti de l’anti-chambre de l’insignifiance, mais n’a pas réussi à récolter tous les fruits de sa romance avec une partie de l’électorat libéral. Pourquoi ? Comme d’habitude, en fin de course, la crainte de l’élection des conservateurs pousse une partie de l’électorat néo-démocrate à se replier sur les libéraux, vus comme un moindre mal. Le cauchemar pour Singh aurait été un gouvernement libéral majoritaire, qui l’aurait rendu complètement superflu. Avec ce gouvernement minoritaire, il aura droit à quelques égards du premier ministre pour s’assurer de son vote. Mais si peu. Les finances du NPD étant exsangues, il n’a pas les moyens de menacer Trudeau de le faire tomber et de retourner en élections. Cela donne au premier ministre une plus grande marge de manoeuvre. Bref, Singh a fait le maximum dans cette campagne. Mais le maximum ne suffisait pas.

4 – Doug Ford, Jason Kenney, l’Alberta et la Saskatchewan arrivent quatrième sur cette liste. Leur sort était complètement lié à une victoire conservatrice. Doug Ford, immensément impopulaire en Ontario, a fait ce qu’il fallait pour aider Scheer: il s’est transformé en coup de vent. Kenney, immensément populaire dans l’électorat conservateur, a fait ce qu’il fallait: il a fait campagne activement. Les Albertains ont envoyé tous les signaux voulus au reste du pays: les politiques fédérales actuelles nous sont insupportables, nous voulons un changement de cap sinon, attention à la péréquation et au sentiment séparatiste albertain. Un sondage montrait ce mois-ci que 23 % des Albertains voulaient quitter le Canada. Une base qui semble avoir une bonne capacité de croissance, car 70% des sondés ont dit comprennent la volonté indépendantiste de certains de leurs concitoyens. En expulsant les derniers députés libéraux de l’Alberta et de la Saskatchewan à l’élection, l’Alberta et la Saskatchewan ont ont fait le maximum. Mais le maximum ne suffisait pas.

Alberta sécession

5 – François Legault est aussi un perdant dans cette élection. Son scénario de rêve était un gouvernement conservateur, majoritaire ou minoritaire, avec un certain nombre de bloquistes pour l’aiguillonner sur ses promesses faites au Québec. Comment on le sait ? Toutes les sorties de Legault faisaient mal à Justin Trudeau et à lui seul. Le refus de la CAQ d’appuyer une motion péquiste s’opposant au corridor énergétique d’Andrew pendant la campagne atteste du refus de Legault d’indisposer son allié conservateur. Le plan de Legault s’est effondré lorsque les Québécois ont découvert Andrew Scheer aux débats en français et ont jugé qu’il n’était pas à leur goût. Il lui ont préféré le chef bloquiste. C’eut été un bon second choix si le Bloc avait, seul, la balance du pouvoir. Mais le NPD a suffisamment de voix pour appuyer Trudeau sur bien des enjeux.

Alors, François Legault est la Perrette de l’élection: Adieu appui du fédéral au 3e lien, au rapport d’impôt unique, à l’application de la loi 101 aux entreprises fédérales, à des pouvoirs réels en immigration, à une non intervention fédérale contre la loi 21. Les trudeauistes ont été patients avec Legault avant l’élection. Ils ont noté que la CAQ s’est absentée de certaines annonces fédérales, ils ne doivent rien au gouvernement du Québec. Et rien, c’est à peu près ce qu’ils vont livrer. D’ailleurs, avec davantage de sièges au Québec que le Bloc, Justin Trudeau ne s’empêchera pas de dire : « Le Québec c’est moi ! » Comme son père Pierre-Elliott aimait dire « je suis l’autre premier ministre du Québec. »

Legault a fait le maximum. Mais le maximum n’était pas suffisant.

6. Yves-François Blanchet a le mérite d’avoir à la fois gagné et perdu. Gagné parce qu’il a parfaitement incarné l’humeur nationaliste du Québec, occupé le terrain que Legault aurait voulu offrir à Scheer, redonné vie et honneur au Bloc Québécois. Perdu parce que les Québécois n’ont, en fin de parcours, pas voulu lui donner la victoire éclatante qu’aurait représenté une pluralité de sièges au Québec. Justin Trudeau a davantage de sièges (35 contre 32) et davantage de votes (34,2% contre 32,5%). Le dernier sondage Léger, qui donnait 40% du vote francophone au Bloc, annonçait un autre résultat. Il est certes remarquable que le Bloc puisse former la deuxième opposition à Ottawa, devant le NPD. C’est pourtant le NPD qui sera l’interlocuteur principal du gouvernement minoritaire, pas le Bloc. Yves-François Blanchet, c’est clair, a fait le maximum. Mais le maximum n’est pas suffisant.

7. Andrew Scheer aussi a fait le maximum. Et plus encore. J’ai dénoncé sur cette balado les mensonges éhontés, à la Donald Trump, utilisé par les conservateurs pour faire peur aux électeurs. J’estime que le pire ennemi de Scheer était, non son programme ou sa campagne, mais sa personnalité même. Si on avait mis à sa place un Jason Kenney ou un Stephen Harper, voire un Brian Mulroney ou un Jean Charest aux personnalités plus vives, la victoire aurait été possible. Les Canadiens, qui le connaissaient peu, ont appris à le connaître et à trouver chez lui une personnalité fade. Ils espéraient mieux. Les Québécois, je me répète, ont tout de suite décidé, sans le détester, ne pas vouloir l’avoir dans leur salon comme premier ministre pendant quatre ans. Scheer a eu la pluralité des voix des électeurs, mais pas la pluralité des sièges. Signe qu’il y a quelque chose de brisé dans le système électoral. Cela le met en bonne compagnie, avec Al Gore, Hillary Clinton, John Diefenbaker et Jean Lesage. Notez qu’aucun ne fut présent à l’élection suivante pour un combat revanche. Scheer a fait un discours de défaite en forme de défi au nouveau gouvernement, et de défi à ceux qui voudraient le pousser vers la porte. C’était sans doute son meilleur discours de la campagne. Ça ne suffira probablement pas. Oui, il a fait le maximum. Mais le maximum ne le sauvera pas.

Des balados en rafale !

8. Justin Trudeau est premier ministre. C’est en soi un exploit, après l’année horrible qu’il vient de vivre. Mais cela en dit davantage sur le Canada que sur l’homme. En 2015, il avait étonné et avait représenté l’espoir. En 2019, il a rassemblé les voix du désespoir. C’est parce qu’il pouvait barrer la route aux conservateurs que Trudeau a gardé par devers lui suffisamment d’électeurs désabusés qui, sans la menace conservatrice, auraient préféré les néo-démocrates ou les verts. Mais la marque de commerce Trudeau et la marque de commerce  libérale sortent de l’exercice avec plus de cicatrices que de muscles. La capacité de rassemblement du premier ministre est faible. Son gouvernement n’est certes pas menacé d’être renversé dans l’avenir prévisible mais il n’y aura pas de lune de miel ni de chance au coureur. Il n’y aura que des difficultés, de la rancoeur, de la division. Dans les circonstances, oui, Justin Trudeau a fait le maximum. C’est suffisant pour gouverner, pas pour gouverner confortablement. En 2015, Trudeau s’avançait sous les « sunny ways ». Cette fois, il s’engage dans une vallée de larmes.

9. Le grand perdant, finalement, est le Canada. Clairement, son point d’équilibre est au centre-centre gauche. Libéraux, néo-démocrates, verts et bloquistes partagent une sensibilité sociale et écologique qui, dans un pays normal, devrait s’imposer. Mais le Canada est le pays du grand écart. Il s’approche ainsi de la triste réalité des États-Unis, mais avec une complication supplémentaire.

Un pays peut-il être à la fois environnementaliste et pétrolier ? C’est la synthèse impossible que le gouvernement Trudeau I a tenté de réussir. L’élection vient de lui dire qu’il a échoué. Sans l’enjeu pétrolier, et la ferme détermination des provinces de l’Ouest de,non seulement maintenir, mais d’augmenter leur production, la politique canadienne ferait du Parti conservateur une opposition quasi-permanente. Aujourd’hui, la tension entre ces deux pôles, pétrolier et soucieux de la planète, fracture ce pays pour l’avenir prévisible.

Un pays peut-il être à la fois multiculturaliste et accepter en son sein une nation qui insiste pour devenir encore plus laïque et plus francophone ? L’élection québécoise a vu re-surgir sur la scène fédérale la question nationale. Au delà de la loi 21, ce qui est en cause est le droit de la nation québécoise d’être différente du reste du pays.

Il était fascinant d’entendre, le soir de l’élection, tous les leaders utiliser le mot « nation » pour définir le Québec, y compris Justin Trudeau qui y était opposé il y a quinze ans à peine et que son père vomissait. Le résultat est que les leaders canadiens normalisent l’idée que les Québécois forment un groupe à part. Si, ou lorsque la Cour suprême déclarera invalide la loi 21, au nom d’une constitution que les Québécois n’ont jamais accepté, cette ligne de fracture entre le pays canadien et la nation québécoise apparaîtra encore plus fortement.

Ces forces sont plus puissantes que n’importe quel des leaders qui se sont présentés cette année devant les électeurs. Elles annoncent un sale temps pour le Canada. Nous entrons, tous, dans une zone de turbulence.


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2 avis sur « Élections fédérales: le palmarès des perdants ! »

  1. Bonjour. Je ne suis pas du tout d’accord avec vous sur Yves-François Blanchet. Il me semblait que vous ne regardiez pas les sondages quand c’est vous qui étiez en élections ! Moi je suis très contente et heureuse pour le chef du Bloc Québécois et satisfaite du nombre de députés(es) à la Chambre des Communes. De plus, M. Blanchet a su rallier ses troupes et consolider le caucus. Le B.Q. est arrivé deuxième dans plusieurs circonscriptions , comme dans la mienne, Charlesbourg-Haute-Saint-Charles. Dans un sondage, on n’y va pas comté par comté, alors c’est bien comme ça. Bravo à Yves-F. Blanchet !

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