Nous interrompons comme chaque vendredi le lancinant commentaire anti-modèle québécois des plumes économiques locales pour vous transmettre ce bref message d’intérêt public.
Notre collègue économiste Pierre Fortin, quoique signataire du manifeste des lucides, met en rogne plusieurs économistes québécois de droite en s’entêtant à calculer la progression de la richesse réelle du Québec. Sa dernière mise à jour, pour 2009, démontre que le rattrapage est presque complété, à 3,5% près:
Si (et puisque) la tendance se maintient…
Vous l’avez compris: en bleu, la progression québécoise sur 100, 100 étant le niveau ontarien. En orange, l’écart qui reste à combler.
Comme le font l’OCDE, le FMI, la Banque Mondiale lorsqu’ils comparent des pays, Pierre Fortin applique le critère de la Parité de pouvoir d’achat (PPA) à sa comparaison de richesse Québec/Ontario. En bref, comme 10 000 $ vous achète beaucoup plus de choses à Madrid qu’à Londres, c’est vrai aussi entre Montréal et Toronto. La richesse est votre capacité d’acheter des biens et des services. Les comparaisons non corrigées pour le PPA sont virtuelles – elle sont en orbite statistique par rapport au réel. (Voir plus bas les explications plus techniques de Pierre Fortin.)
Mais les chiffres de Pierre Fortin comparent la richesse moyenne. Or on sait que la société ontarienne est économiquement plus polarisée que la québécoise. On y compte une plus grande proportion de pauvres, et surtout une plus forte concentration de richesse chez les plus riches.
Lorsqu’on compare la richesse médiane, le meilleur reflet de la réalité du niveau de vie économique de la classe moyenne, on constate que le rattrapage québécois est déjà complété, depuis 2005:
Pierre: on attend la mise à jour 2006-2009 !
Ayant participé à la récente série de conférences sur les cinquante ans de la Révolution tranquille, Pierre Fortin en a profité pour pulvériser les arguments des nostalgiques de droite qui croient que tout était tellement mieux sous Duplessis, avant la longue dérive sociale-démocrate qui cause tant de chagrins.
Il montre le taux d’emploi:
Le taux d’emploi québécois est, fin 2010, à 98% de l’ontarien
Puis, le niveau de vie:
Hummm…
Ce qui confirme l’adage: Il faut savoir exactement d’où on vient, car on ne veut surtout pas y retourner !
Mais pourquoi, me demande-t-on souvent, cette propension à nous comparer à l’Ontario? Pierre Fortin répond:
Le choix de l’Ontario plutôt que d’une autre région comme base de comparaison avec le Québec se justifie de deux manières. Tout d’abord, ce choix est naturel parce que l’Ontario est la province voisine du Québec et le cœur de l’économie canadienne par la taille, la profondeur et la diversité.
Mais également, la comparaison avec l’Ontario permet d’esquiver la distorsion majeure causée par les énormes fluctuations qu’ont subies les prix des hydrocarbures depuis 35 ans. Ces fluctuations ont fait varier les termes d’échange des provinces qui produisent du pétrole et du gaz naturel (Alberta, Saskatchewan et Terre-Neuve) en direction complètement inverse de ceux des sept autres provinces, qui n’en produisent pas, puisque les premières sont des vendeuses nettes d’hydrocarbures et les secondes, des acheteuses nettes. Or, les variations des termes d’échange peuvent influer considérablement sur les comparaisons de niveaux de vie.
Et, pour les pointilleux, voici l’explication de Pierre Fortin sur ses calculs de comparaison de niveau de vie:
Une méthode répandue pour comparer sans se fatiguer les niveaux de vie de deux provinces comme le Québec et l’Ontario consiste à calculer le rapport entre le PIB par habitant de la première et celui de la seconde. En 2009, par exemple, le PIB par habitant était de 38 801 dollars au Québec et de 44 255 dollars en Ontario (Statistique Canada 2010, tableaux 384-0001 et 051-0001). Le rapport entre le niveau de vie du Québec et celui de l’Ontario, selon cette méthode, était donc de 87,7 % (= 38 801/44 255).
Mais dans la mesure où le niveau de vie désigne le pouvoir d’achat réel des citoyens, ce calcul soulève un problème. Il n’est pas acquis, en effet, qu’un dollar au Québec ait le même pouvoir d’achat qu’un dollar en Ontario. Par exemple, si 1 dollar au Québec achète la même chose que 1,05 dollar en Ontario, les 38 801 dollars du PIB par habitant du Québec se trouvent en fait à acheter la même chose que les 40 741 dollars du PIB par habitant de l’Ontario. Le rapport entre les pouvoirs d’achat véritables des deux provinces est donc de 92,1 % (= 40 741/44 255), et non pas de 87,7 % tel que calculé précédemment.
Concrètement, pour comparer les pouvoirs d’achat de deux provinces, il faut considérer ce que leurs citoyens respectifs achètent et le prix moyen qu’ils déboursent pour ces achats. L’ensemble des achats (disons, A), que les statisticiens appellent « demande intérieure finale », regroupe les dépenses de consommation privée (C), les dépenses d’investissement privé (I) et les dépenses publiques en biens et en services (G). On a ainsi A = C + I + G. Pour la consommation privée (C), Statistique Canada compare, au mois d’octobre de chaque année, le niveau moyen des prix dans onze villes canadiennes. En 2009, pour un niveau absolu des prix égal à 100 dans l’ensemble du Canada, l’indice est estimé à 95 à Montréal et à 107 à Toronto (Statistique Canada, tableau 326-0015). Ce qui coûtait 1 dollar à Montréal au consommateur lui coûtait donc 1,126 dollar (= 107/95) à Toronto. Pour les dépenses publiques en biens et en services (G), il faut distinguer les dépenses courantes et les investissements. Les dépenses publiques courantes sont composées à 60 % de la masse salariale de la fonction publique et à 40 % d’achats de biens et de services à l’extérieur des gouvernements. Le rapport entre le salaire moyen des fonctionnaires ontariens et québécois était de 1,14 en 2009. On suppose ensuite que le rapport entre les prix des achats extérieurs des deux secteurs d’administration publique des deux provinces est à peu près le même que le rapport de leurs prix à la consommation hors logement, soit de 1,071 en 2009.
Les dépenses d’investissement public et privé comprennent les dépenses de construction et les achats de machines et de matériel. Dans la construction, le rapport Ontario-Québec en 2009 est estimé à 0,917 pour les rémunérations (Statistique Canada 2010, tableau 383-0011) et à nouveau à 1,071 pour les autres dépenses, ce qui donne un rapport pondéré de 1,002. Enfin, pour les achats de machines et de matériel, on retient l’hypothèse concurrentielle d’un rapport Québec-Ontario égal à 1,0. Au total, en pondérant chaque rapport de prix par son importance dans la demande intérieure finale, on obtient comme résultat que ce qui coûtait 1 dollar à acheter au Québec en 2009 coûtait en moyenne 1,0991 dollar en Ontario. (Je suis redevable à Denis Guindon, de Finances Québec, et à Jean-Pierre Maynard, de Statistique Canada, pour leurs conseils dans la construction de ce taux de conversion de pouvoir d’achat interprovincial, mais j’assume seul la responsabilité du résultat final.)
Le rapport entre le niveau de vie du Québec et celui de l’Ontario pour cette année-là n’était donc pas de 87,7 % comme le laisse croire le rapport simple entre les PIB par habitant des deux provinces, mais plutôt de 1,0991 fois 87,7 %, c’est-à-dire de 96,4 %. Pour les années antérieures, le niveau de vie est estimé en divisant le PIB par habitant par l’indice des prix de la demande intérieure finale. Cette définition du niveau de vie coïncide avec la notion de « revenu intérieur brut réel » employée par Statistique Canada et la Banque du Canada (voir Ross et Murray 2010 pour une explication détaillée).
L’indice des prix de la demande intérieure finale est défini sur base 2009 = 1,0, ce qui permet de retrouver la valeur de 96,5 % calculée ci-dessus pour le rapport entre les niveaux de vie du Québec et de l’Ontario de cette année-là. Statistique Canada (2010, tableau 384-0002) publie les indices de prix de la demande intérieure finale des provinces depuis 1971. Pour les années précédant 1971, le rapport entre les indices de prix de la demande intérieure finale est remplacé, faute de mieux, par le rapport entre les indices des prix à la consommation de Montréal et de Toronto. C’est le résultat de toutes ces opérations qui définit la trajectoire pour la période 1961-2009.
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