Encore quatre ans !

De quoi serait (sera) fait le second mandat Bush ?

Ex-correspondant de La Presse à Washington l’auteur est directeur exécutif du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal et associé à la Chaire d’études politiques et économiques américaines.

 » Encore quatre ans !  » scandaient les manifestants pro-Bush à Boston pendant la convention démocrate alors que l’épouse du candidat John Kerry Theresa Heinz passait par là. Avec le sens de la répartie qui en ferait une première dame haute en couleur Mme Heinz-Kerry leur répondit :  » Vous voulez dire : encore quatre ans en enfer !  »

Certaines figures néo-conservatrices, et des commentateurs démocrates, pensent en effet qu’un second mandat Bush serait un enfer pour les démocrates. Et puisqu’il faut se préparer psychologiquement à une victoire de Bush- ne serait-ce que pour se réjouir d’une élection surprise de Kerry- il faut commencer à envisager de quoi l’avenir prochain peut être fait.

Dans l’univers républicain, Grover Norquist, président de l’American Conservative Union, fait figure de Cassandre hilare. Dans des entrevues, et dans un texte du Washington Monthly courant (intitulé : The Democratic Party is Toast, traduction libre : Les démocrates sont foutus), il explique comment le second mandat Bush va durablement tirer le tapis sous l’adversaire héréditaire démocrate.
Haro sur les avocats et les syndicats

George Bush entend réduire la capacité des juges, et surtout des jurys, de verser des millions de dollars aux victimes d’incompétence médicale ou de défauts de fabrication. Sous le couvert de corriger les abus d’un système effectivement déficient et de réduire les coûts de santé et d’assurance, un objectif politique est visé. Comme le savent tous les lecteurs de Grisham, les avocats spécialisés dans ces poursuites prennent une bonne part du gâteau, évaluée à plus de 200 milliards US par an. Une partie de cet argent va dans les coffres des candidats démocrates, défenseurs du système. En fermant ce robinet, Bush couperait une importante source de financement de ses adversaires. De même, les républicains veulent faire sauter la formule Rand, donc la perception automatique des cotisations syndicales. De telles lois sont maintenant en vigueur dans 22 des 50 États. L’objectif, explique Norquist, est d’appauvrir les appareils syndicaux, autre pilier de la maison démocrate, et bien sûr de réduire la force syndicale, passée en 25 ans de 20 % à 13 % des salariés.
Libérer les héritiers et réduire le filet social

Plusieurs aspects des réductions d’impôts éléphantesques adoptées depuis quatre ans contenaient des clauses temporaires. Ainsi l’élimination quasi complète de l’impôt sur les successions devrait ne durer qu’un temps. Le candidat Bush a promis de rendre ces réductions permanentes, ce qui creusera davantage encore le déficit budgétaire américain- en moyenne 440 $ milliards US par an pour l’avenir prévisible. Selon Norquist, les héritiers, généralement républicains, pouvant dorénavant passer leurs pactoles à leurs enfants, n’auront plus à créer de fondations charitables comme les Ford ou Carnegie Foundation, qui deviennent souvent des repères d’activistes de centre-gauche, donc d’autres points d’appuis démocrates. Il fallait y penser.

De façon plus importante, le fait que le fardeau fiscal étatsunien soit maintenant revenu au niveau de l’après-Seconde Guerre (en proportion du PIB) rend tout à fait intenable le financement des grands services sociaux que sont la sécurité sociale (les pensions publiques) et Medicaire et Medicaid (l’assurance-maladie pour les aînés et les pauvres). Selon une analyse de chercheurs de la Réserve fédérale américaine et de l’Université de Pennsylvanie, pour éviter un endettement insoutenable, Washington devrait immédiatement réduire de moitié ses programmes sociaux ou augmenter de 70 % ses impôts. C’est exactement ce que Norquist et ses amis espèrent : l’assèchement fiscal de l’État ne peut se résoudre que par une réduction du filet social. Conséquence politique souhaitée : les citoyens qui dépendent de l’État pour leur subsistance sont davantage démocrates que républicains.
Créer une nation de propriétaires

Bush II veut privatiser la sécurité sociale et Medicare et permettre aux citoyens de créer l’équivalent de REER pensions et santé, qu’ils géreront eux-mêmes. Passons sur le fait que ces propositions font exploser les coûts. Le voeu politique derrière cette stratégie est net : les citoyens qui possèdent des actions en Bourse ont davantage tendance à être républicains que démocrates.

Heureusement, tous ces voeux ne se réaliseront pas. Le président américain doit faire adopter ses réformes par le Congrès. Il est vrai qu’un George Bush réélu bénéficierait de majorités dans les deux chambres. Cependant la minorité de blocage démocrate au Sénat restera vraisemblablement assez forte pour empêcher l’adoption des législations proposées sur les avocats, les syndicats et la privatisation de la sécurité sociale et de Medicare. Tout dépend donc du nombre de sénateurs démocrates élus le 2 novembre.

Rien cependant ne pourra freiner la spirale de l’endettement public généré par les réductions d’impôts, dont la reconduction est probable. Les républicains de Bush mettent la table pour une crise majeure du financement des services sociaux, espérant les faire reculer. Cela pourra être le chant du cygne des démocrates, comme l’espèrent les Bush et Norquist, ou alors, face à ce gâchis de proportion historique, l’occasion d’un sérieux rebond.

Ce contenu a été publié dans États-Unis par Jean-François Lisée. Mettez-le en favori avec son permalien.

À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !