Entrevue d’outre-tombe avec Stéphane Venne

Venne et Renée Claude, sous l’oeil de Boubou.

Notre vie est faite d’un maelstrom d’activités, de rencontres, de crises et de rires. Malgré tous nos efforts, chaque récit qu’on en fait est incomplet. Il manque la bande sonore. On ne peut raconter correctement une vie sans inclure la musique, les chansons, les rythmes qui l’ont accompagnée.

Pour les gens éveillés à la vie publique québécoise dans les années 1970, il s’agissait d’un hymne continu à la jeunesse, à la liberté, à l’amour et à la joie. Jacques Michel nous disait qu’un « nouveau jour va se lever », car « le temps des muselières se meurt dans la fourrière ». Robert Charlebois nous poussait à « se grouiller le cul » entre deux joints. Harmonium avisait les aînés : « On a mis quelqu’un au monde, on devrait peut-être l’écouter. »

Parmi ces géants, Stéphane Venne figure au premier plan. Sa chanson Le début d’un temps nouveau, incarnée par l’irrésistible Renée Claude, s’était imposée comme le chant indépendantiste par excellence. Cela faisait rager un peu René Lévesque. « Ce n’est pas vrai », maugréait-il au sujet de cette phrase : « Les hommes ne travaillent presque plus. » Ajoutons que la précédente, « les femmes font l’amour librement », ne lui déplaisait point.

Comment rendre aujourd’hui à Stéphane Venne pleinement hommage ? J’ai pensé que le mieux était de lui donner la parole. Les réponses qui viennent sont toutes de lui, plus précisément de ses chansons. Les questions sont moins bien écrites. Elles sont de moi.

*****

Jean-François Lisée : Cher Stéphane Venne, maintenant que vous avez quitté votre enveloppe corporelle, comment vous sentez-vous ?

Stéphane Venne : Le temps est bon, le ciel est bleu, nous n’avons rien à faire, rien que d’être heureux.

J.-F.L. : Mais encore ?

S.V. : Nous voilà devenus des oiseaux / Dans les cumulus du tango / Ceux du ciel et ceux du cerveau.

Et ma vie, l’autre vie / Je la sens comme une onde / Je la sens, je la suis dans le monde.

J.-F.L. : Vous avez choisi l’aide médicale à mourir, mais n’avez-vous pas dit que « la vie est courte, c’est pas la peine de l’abréger davantage » ?

S.V. : C’est vrai, mais j’ai aussi dit : « Toute la vie, c’est toute la vie, mais pas une heure de plus. »

J.-F.L. : C’est quand même une décision difficile à prendre. Qu’est-ce qui vous a fait franchir le pas ?

S.V. : J’étais sans vie / Et sans voie / Sans espérance et sans joie / Presque rendu au bout de mon temps / Mais voici que se sont ouverts les grands bras de la lumière / Et voilà que je pars vers l’univers.

J.-F.L. : Avez-vous eu le temps de faire le tour de l’au-delà ?

S.V. : C’est pas fini, c’est rien qu’un début / Le vrai soleil on l’a pas encore vu / Et jusqu’aujourd’hui, on n’a rien vécu / La grande extase, on l’a pas encore eue / Mais c’est le plus beau des commencements.

J.-F.L. : Est-ce que vous suivez, de là-haut, les derniers événements, l’arrivée du nouveau président américain ?

S.V. : J’voudrais crier, mais la voix me manque.

J.-F.L. : Sur terre, vous étiez politiquement engagé. Quelle sagesse tirez-vous de votre expérience de vie ?

S.V. : Tout le temps qu’on passe à se battre est foutu à jamais / Viens, mon amour, viens, faisons la paix / Nous pourrons guérir nos égratignures après.

J.-F.L. : Vous semblez résigné.

S.V. : Tu trouveras la paix dans ton cœur / Et pas ailleurs, et pas ailleurs / La seule vraie tranquillité / Le grand repos, l’immobilité.

J.-F.L. : L’immobilité ? Ce n’est pas ce que vous disiez, notamment au sujet de l’indépendance du Québec. Vous prôniez plutôt l’action, la mobilisation, non ? Que dites-vous à vos amis indépendantistes aujourd’hui ?

S.V. : Ce sont tous des braves gens / Ils n’ont plus qu’une idée / C’est de défaire leurs valises / Et déposer leurs paquets / La terre promise, ils l’ont bien méritée.

J.-F.L. : Justement, avec Donald Trump, ça se complique un peu, non ?

S.V. : La terre est à l’année zéro.

J.-F.L. : Vous ne répondez pas vraiment, ça se complique, n’est-ce pas ?

S.V. : J’ai jamais dit qu’c’est faux quand c’est vrai.

J.-F.L. : Vous n’étiez pas un peu optimiste quand vous avez écrit, en 1976, au sujet de l’indépendance, qu’« à partir d’aujourd’hui, demain nous appartient » ?

S.V. : Vous ne citez pas la phrase suivante, que René Lévesque m’avait dictée : « Si vraiment on y tient. » Tout est là.

J.-F.L. : Croyez-vous que les Québécois y tiendront vraiment demain ?

S.V. : Quant à l’avenir, je n’sais rien / Je ne lis pas dans la main / Mais si je puis lire un peu dans la couleur de tes yeux.

J.-F.L. : Heu… vous me parlez à moi, là ?

S.V. : Non, excusez-moi, je suis avec Renée Claude, sous le charme. Elle salue vos lecteurs.

J.-F.L. : Si je comprends bien, vous me répondez en chansons.

S.V. : Chanter c’est comme parler, mais c’est plus beau.

J.-F.L. : Alors, en ces temps glauques, donnez-nous quand même un peu d’espoir, en terminant, voulez-vous ?

S.V. : Les enfants de l’avenir vont savoir comment faire une paix qui dure / Les enfants de l’avenir se feront des chansons de couleurs / Les enfants de l’avenir vont savoir naviguer au feu planétaire / Les enfants de l’avenir se feront l’amour sur la lumière.

J.-F.L. : Merci. Vraiment. Pour tout.

*****

Les réponses sont tirées des chansons Le début d’un temps nouveauLe temps est bonEt c’est pas finiAttention la vie est courteLe ciel est à moiLe monde à l’enversTu trouveras la paix dans ton cœurLa terre promiseThat’s it that’s allDemain nous appartientC’est notre fête aujourd’huiLe reel facileLes enfants de l’avenir, et de conversations tenues avec lui — de son vivant.

(Ce texte fut d’abord publié dans Le Devoir.)

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À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !

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