Et maintenant : la diversité linguistique

Lorsqu’elle est apparue dans les milieux gouvernementaux et universitaires de Québec, en 1996, l’idée de freiner le rouleau compresseur culturel des États-Unis grâce à un traité international qui soustrairait la culture à la tyrannie de la logique commerciale semblait complètement chimérique.

Pourtant, une décennie plus tard, en octobre 2006, 148 États représentés à l’Unesco – seuls les États-Unis et Israël votant non – ont approuvé le nouveau traité, révolutionnaire, qui protège la capacité des États de soutenir leurs artistes, leur cinéma, leur industrie du disque. Certes, on aimerait, avec Louise Beaudoin, à qui l’on est largement redevable de l’existence de ce traité, qu’il soit plus musclé, plus contraignant. Mais en soi, il constitue un gigantesque et improbable pied de nez à la puissance américaine… ou un symptôme de sa faiblesse momentanée.

Il y a cependant une petite chose que ce traité protège mal : la langue. Pourtant, s’il fallait agir pour protéger aides publiques et quotas culturels avant que l’Organisation mondiale du commerce ne les déclare, un à un, des entraves au commerce, le même argument peut être avancé pour la langue. Selon le juriste Ivan Bernier, de l’Université Laval, un des principaux cerveaux derrière le traité de l’Unesco, et selon Christine Fréchette, du Conseil de la langue française, ce n’est qu’une question de temps avant qu’un tribunal de l’OMC ne déclare contraires au droit commercial la loi du Québec obligeant les majors à fournir des versions françaises de leurs films et mette dans sa mire les quotas contraignant les radios à diffuser une proportion minimale de chansons en français.

Même les dispositions de la loi 101 qui imposent la présence du français ou sa prédominance dans l’étiquetage, les modes d’emploi et l’affichage pourraient être hachées menu sur l’autel du commerce – à moins qu’on ne fasse la démonstration que la santé et la sécurité des consommateurs sont en danger. Un jugement européen a d’ailleurs mis cela en cause, en 2000, en arguant de la connaissance de plus en plus généralisée de l’anglais. Si tous peuvent lire les warnings, la santé est sauve, non ? Dans la logique commerciale, même si on fait la preuve que le français doit être présent pour des raisons de santé, cela ne protège nullement sa prédominance, qui répond à un impératif socio-politico-identitaire. La logique commerciale et l’affirmation maintenant irréversible de l’anglais comme langue commune internationale (les 10 nouveaux États de l’Union européenne ont tous choisi l’anglais comme langue de communication avec la Commission européenne) laissent présager une pression accrue.

Réfléchissons un instant à ce qu’un traité sur la diversité linguistique pourrait contenir. Comme celui sur la culture, il interdirait d’interdire. C’est-à-dire que les États ne pourraient éliminer de leur paysage une langue minoritaire ou étrangère (comme les Grecs tentent de le faire avec le turc, ennemi héréditaire). Dans le respect des langues minoritaires, les États pourraient se donner le droit de déclarer une ou plusieurs langues officielles, de décréter la prédominance d’une de ces langues sur son territoire, d’adopter des politiques publiques visant à perpétuer cette prédominance, y compris en éducation. C’est la loi 101 actuelle, toute crachée.

Préserver l’acquis linguistique serait déjà bien. Mais il faut également gagner du terrain, avant qu’il soit trop tard. La généralisation de l’anglais dans les raisons sociales et les marques de commerce est déjà un sujet d’inquiétude tant au Québec qu’en France, en Russie, au Mexique ou en Chine. Le droit national actuel ne peut obliger Future Shop ou Toys « R » Us à se franciser, ne serait-ce que pour mieux atteindre leurs clientèles francophones. Le même raisonnement s’applique évidemment au Cirque du Soleil en tournée en Arkansas ou à Singapour.

Suivant les recommandations du Conseil de la langue française et de la commission Larose, le Québec pourrait proposer qu’un nouveau traité, tout en reconnaissant les dénominations commerciales étrangères existantes (pourquoi franciser rétroactivement ce joyau de la langue du commerce qu’est Canadian Tire) et en protégeant celles, actuelles et futures, qui sont des noms propres (Fouquet, Tim Horton, Bombardier), permette aux États de réglementer l’implantation de nouvelles marques et raisons sociales. En certains cas, des États, comme le Québec, pourraient se fixer l’objectif d’assurer une prédominance globale du français sur la totalité des marques et établir, au-delà d’un certain seuil, un moratoire sur les nouvelles marques unilingues anglaises. D’autres viseront l’égalité des langues. D’autres s’abstiendront d’agir. La montée aux barricades est prévisible sur Madison Avenue, l’avenue newyorkaise qui tient lieu de quartier général anglo-américain des marques de commerce. Mais qu’on nous montre sur quelles tables de la loi divine il est écrit que ce sont les entreprises transnationales, et non les représentants élus des peuples, qui doivent avoir le dernier mot en ces matières.

Un traité comme celui-là pourrait avoir deux effets secondaires positifs pour le Québec. Inscrire dans un traité international signé par le Québec l’interdiction d’interdire rendrait impossible tout retour à l’affichage commercial unilingue français. Bien. Inscrire dans un traité international signé par le Canada le droit des États à des politiques publiques visant la prédominance d’une langue mettrait la Cour suprême canadienne en garde contre toute tentative d’invalider les dispositions scolaires et commerciales actuelles de la loi 101. Ce qui ne serait pas un bénin bénéfice.

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Pour un point de vue plus complet sur la question, lire ma conférence

Pour un traité international sur la diversité linguistique