Et si la forêt d’Amazonie était en Alberta?

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Supposons que le président Obama soit invité à signer un certificat qui permettrait à un pipeline de transporter un flot ininterrompu de buches provenant d’Amazonie. Cela créerait des emplois — mais il ne signerait pas.

Et il ne signerait pas parce que le monde comprend que la forêt amazonienne est essentielle à l’avenir de la planète — et parce que nous semblons être plus exigeants envers le Brésil qu’envers le Canada.

amazonian-rainforest-map-150x150Rapport ? L’auteur de ces lignes est Bill McKibben. Écologiste, auteur du livre The End of Nature et co-directeur d’une campagne visant à convaincre l’administration Obama de ne pas autoriser le pipeline Keystone, qui doit permettre d’augmenter la livraison de pétrole albertain aux États-Unis.

Sans ce pipeline, pas d’extension rapide de l’industrie pétrolière albertaine.

Rapport ? Dans un récent texte publié sur le site du New Republic, McKibben rappelle que, malgré toutes les embuches et répondant à une forte pression internationale, le gouvernement brésilien a réussi depuis 10 ans à réduire de 66% le rythme de déforestation de la forêt amazonienne et que sa nouvelle présidente, Dilma  Roussef, s’est engagée à le réduire encore de 80%. La déforestation relâche dans l’atmosphère de grandes quantités de CO2, contribuant au réchauffement climatique.

Rapport ? McKibben estime que l’exploitation des sables bitumineux d’Alberta est équivalent, pour la planète, à la déforestation amazonienne. Au-delà même du problème posé par le caractère énergivore de la production de ce pétrole (il faut bruler de l’énergie pour séparer le pétrole du sable), McKibben affirme que cet énorme gisement pétrolier est le premier que l’humanité a décidé d’exploiter depuis qu’elle est consciente du risque de réchauffement planétaire.

En un sens, le monde a « découvert » le caractère précieux, pour la planète, de la forêt amazonienne à peu près au moment même où le Canada a découvert le potentiel commercial des sables bitumineux.

c7f6e3dc-81f4-11e0-a063-00144feabdc0Sa position est la suivante. Bien des forêts sont disparues avant celle de l’Amazonie. Nous voulons préserver celle-là précisément à cause de notre conscience du risque. Donc, nous devrions prendre la décision, analogue, de laisser dans le sol la quantité phénoménale de CO2 présente dans les sables bitumineux.

L’exploitation de cette ressource, non seulement repousse l’heure de l’indispensable transition hors de l’ère du pétrole, mais permet de dégager une telle quantité supplémentaire de carbone que tout objectif de réduction globale des émissions devient hors de portée.

L’argument est novateur. Du moins, votre blogueur favori ne l’avait jamais entendu. De toute évidence, il ne sera pas suivi d’effet. Le pétrole albertain sera exploité, le pipeline sera construit, le CO2 enchâssé dans le sol canadien sera libéré.

En fait, Stephen Harper promet que le Canada sera bientôt une « superpuissance énergétique ». Le ministre albertain de l’énergie, Ron Liepert, affirmait ce printemps que son gouvernement allait « toutes voiles dehors » chercher de nouveaux marchés, y compris chinois, pour « vendre chaque goutte » de pétrole provenant des sables.

La consommation de ce pétrole s’ajoutera à l’augmentation générale de combustion des énergies fossiles au Nord comme au Sud (seule l’Europe réduit de manière absolue ses émissions — apparemment en pure perte).

Il s’agit donc d’un débat théorique. Mais il mène McKibben à une bonne question:

Le monde resterait-il silencieux si, comme le fait le gouvernement canadien avec les sables bitumineux, la présidente brésilien promettait de trouver de nouveaux marchés pour faire en sorte de « vendre chaque copeau de bois » disponible en son pays et de le vendre ? C’est difficile à imaginer.

*  *  *

J’ai un post-scriptum à ajouter. L’Edmonton Journal rapportait en janvier qu’environ 500 Albertains ont donné chacun 100$ à une famille d’Edmonton qui s’est établie sur la côte amazonienne. Pourquoi ? Pour reboiser.

Fin du post-scriptum.

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À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !