Et si on jouait tout le temps ?

D’abord il y a les statistiques. Des chiffres gigantesques. Un demi-milliard de personnes, aujourd’hui, participent pendant au moins une heure par jour à des jeux en ligne complexes, comme World Of WarCraft, un monde virtuel  du Moyen-Âge.

Vous trouvez que c’est beaucoup ? Ce n’est qu’un début. L’industrie du jeu estime que, d’ici dix ans, un milliard de joueurs supplémentaires vont s’ajouter.  Cela équivaudra à un terrien sur cinq.

J’ai d’autres chiffres. Un jeune adulte occidental moyen a passé, du primaire à la fin du secondaire, environ 10 000 heures sur les bancs d’école.  Aujourd’hui, ce jeune a aussi passé 10 000 heures à jouer en ligne.

Et si on met bout à bout les heures passées depuis l’apparition de ces jeux – il y a 17 ans à peine –l’humanité a récemment consacré presque six millions d’années en ligne.

Toute cette science vient de Jane McGonigal, une conceptrice de jeux puis chercheure qui vient de publier Reality is Broken (La réalité est brisée : Pourquoi les jeux nous rendent meilleurs et comment ils peuvent changer le monde).

Se fondant sur le principe, connu, que le jeu pousse ses participants à la créativité et à la collaboration, elle estime que l’évasion de centaines de millions de personnes dans les mondes virtuels s’explique aisément. Le jeu les rend optimistes – ils réussissent constamment à se surpasser – ils s’investissent dans la résolution de problèmes importants (le château est attaqué, la planète doit se défendre) et ils collaborent avec des étrangers en ligne qui deviennent des collaborateurs.

Mais lorsqu’ils se débranchent, ils retombent dans une réalité qu’ils ne peuvent pas changer, dans laquelle ils ne sont ni performants ni encouragés. Donc, ils y retournent. Et développent parfois des pathologies (dans 9% des cas, selon une étude américaine récente).

Est-il possible d’harnacher les compétences développées dans le jeu au profit de problèmes bien réels ? McGonigal a lancé avec la Banque Mondiale l’an dernier le jeu Urgent Evoke, destiné à mobiliser les joueurs dans la résolution de problèmes concrets, comme les de pénurie alimentaire. Précédemment, elle avait lancé un jeu sur la raréfaction du pétrole. Les participants y trouvent, de manière ludique, des informations utiles sur ces enjeux.

Mais au-delà de leur prise de conscience, on ne voit pas très bien comment le jeu lui-même est, comme le dit McGonigal « essentiel pour la survie de la planète ». Ni comment une portion significative du bientôt milliard et demi de joueurs pourront être convaincus d’arrêter de tirer des missiles sur des ennemis virtuels pour sortir plutôt planter des brocolis sur les toits.

Pourrais-t-on utiliser le jeu pour retenir les garçons en classe ? C’est l’expérience tentée depuis un an par une école de Manhattan qui a organisé la totalité de son enseignement autour de jeux vidéo éducatifs.

Par exemple, en histoire, plutôt que d’apprendre l’histoire de la guerre entre Athènes et Sparte, les élèves « jouent » à être l’agent secret sparte à Athènes, ce qui suppose connaître le terrain, les enjeux, les protagonistes. C’est un peu la réforme québécoise d’apprentissage par projet, très controversée, mais le jeu en plus.

Les titres des cours évoquent ce parti-pris : les mathématiques et l’anglais s’appellent Codeworlds (Le monde des codes), la science est The Way Things Work (Comment ça marche) et ainsi de suite. En prime, les élèves ont des cours de conception de jeux vidéo.

Les enseignants/concepteurs ont introduit dans les jeux éducatifs les pièges, surprises et récompenses habituels dans ce monde virtuel. Par exemple : l’élève qui maîtrise bien l’usage du microscope pourra lire des messages cachés dans des bouillons de culture…  Amusant, mais je reste sceptique.

Certains audacieux ont trouvé d’autres façons de capitaliser sur l’attrait du jeu. Le magazine Wired rapporte que le quotidien anglais The Guardian a ainsi délégué aux joueurs du travail d’enquête. Lors du scandale des notes de frais des députés anglais en 2009, les journaux ont eu accès à 170 000 pages de reçus.

Les internautes étaient invités à choisir une facture au hasard et, s’ils y dénichaient quelque chose de louche – un stylo à 440$, par exemple – ils le signalaient au journal. Plus ils trouvaient matière à scandale, plus ils montaient dans le palmarès des bons chercheurs. En quatre jours, 20 000 internautes ont ainsi fait le travail journalistique requis.

Bref, je ne sais pas si on peut sauver le monde ou l’éducation des garçons avec les jeux, mais la preuve est faite : le journalisme est sauvé !

Et encore :

La Corée du Sud semble être le pays le plus touché par l’accoutumance pathologique au jeu. L’État tente de sévir face aux deux millions de jeunes accrocs. Dans un cas étrange, en décembre dernier, un jeune de 19 ans, exténué après 12 heures de jeu, n’a pu être réanimé à son arrivée à l’hôpital.

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À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !