Et si Québec appelait 1-800-l’armée ?

cc_videoplayer_still-300x284La rumeur a couru dans les sites Internet ce lundi que le gouvernement québécois pourrait appeler l’armée en renfort pour mettre fin à la crise. Le bureau de Jean Charest l’a formellement démenti.

Pourtant, à l’heure où on se parle et depuis déjà plusieurs jours, sinon semaines, les Forces armées canadiennes planchent sur ce que pourrait être une aide ponctuelle aux forces policières québécoises et font en sorte que leurs officiers et soldats soient à même d’être déployés en quelques heures.

Comment le sait-on ? Parce que c’est ce que fait constamment l’état-major des Forces armées, au moment de toute crise où son aide serait potentiellement sollicitée. C’est ce que m’a expliqué le lieutenant-colonel à la retraite Rémi Landry, qui a passé 34 ans dans les Forces avant d’enseigner aujourd’hui à l’Université de Sherbrooke. Il se rappelle qu’au moment de la crise d’Oka des scénarios d’interventions avaient été dressés trois semaines avant que Québec ne fasse l’appel.

Selon Landry :

Des liens permanents existent entre les autorités militaires et civiles. L’échange d’information et l’étude de scénarios exigeant une quelconque aide font partie des pratiques courantes. Au fur et à mesure que la situation se dégrade, ces scénarios sont révisés, la nature de l’aide est précisée et les périodes d’attente sont mises à jour afin de pouvoir répondre promptement à la demande des autorités civiles si et lorsqu’elle se fait.

Chaque jour, des troupes sont en état d’alerte, prêtes à être déployées afin d’appuyer le pouvoir civil. Selon la situation et le contexte, l’état d’alerte de ces troupes est augmenté ou réduit au fur et à mesure que la situation s’aggrave ou s’apaise et qu’il est possible que certains éléments, certains équipements seront requis pour aider les autorités.

Dans ce contexte, il est évident que compte tenu des antécédents, de la situation actuelle des manifestations étudiantes et de la loi spéciale qui les encadre dorénavant, des représentants militaires sont au fait de la situation et des discussions ont lieu sur la nature de l’aide qui pourrait être accordée en cas de besoin afin de faciliter le travail des autorités civiles.

En 2012, de quoi s’agirait-il exactement ?

1. Ce ne seraient pas les mesures de guerre.

Le premier ministre d’une province peut, sur simple demande, faire en sorte que l’armée canadienne intervienne sur son territoire. Politiquement, les deux premiers ministres se parlent. Légalement, le procureur général de la province en fait la demande au chef d’état-major des Forces canadiennes. En matière d’appui à la sécurité publique, cela fut fait en 1969, puis en octobre 1970 et encore en août 1990, pendant la crise d’Oka.

La présence des militaires sur le territoire est distincte de la suspension des libertés civiles. En octobre 1970, les deux actions furent concomitantes, pour traumatiser l’opinion. La « Loi des mesures de guerre » fut remplacée depuis par la « Loi des mesures d’urgence », plus circonspecte.

2. À quoi pourrait servir l’armée ?

Les Forces armées canadiennes n’ont plus la capacité de faire de la gestion de foule, comme c’était le cas pendant les années 1960 et 1970. Selon Landry, une intervention en 2012 ne signifierait pas de disposer des soldats armés à chaque coin de rue du centre-ville, mais certains lieux jugés stratégiques pourraient jouir d’une protection spéciale.

Il s’agirait plutôt de :

– déploiement d’officiers en civil dans les quartiers généraux policiers pour agir comme conseillers et liaisons avec l’armée ;

– prêt de matériel roulant, de matériel de communication, d’hélicoptères ;

– déploiement de soldats dans les manèges militaires québécois pour que leur simple arrivée, visible, et présence, invisible, ait un effet dissuasif sur les manifestants.

3. Quel effet sur les manifs ?

On ne voit pas très bien pourquoi des casseurs prêts à risquer arrestations et blessures en s’attaquant au Service de police de la Ville de Montréal deviendraient craintifs face à une présence militaire non visible dans les rues de Montréal.

Si des soldats devaient garder précisément des édifices publics, on ne voit pas non plus pourquoi les casseurs ne les prendraient pas pour cibles.

Il est possible que le SPVM, dont les forces sont déployées quotidiennement depuis 15 semaines, ait besoin de nouveau matériel et de renforts, mais si c’est le cas, on suppose que les troupes de la SQ seraient davantage qualifiées pour combler ces besoins que des soldats ou officiers de retour d’Afghanistan.

4. Comment ça marche, sur le plan organisationnel ?

Selon Rémi Landry, « depuis la création du ministère canadien de la Sécurité publique, des centre régionaux de coordination ont été établis afin d’échanger avec les autorités provinciales divers types de renseignements liés à la sécurité publique. C’est à l’intérieur des ces nouveaux mécanismes que des plans de contingence sont en préparation au sein des quartiers généraux responsables de maintenir ces liens avec les autorités civiles des provinces, dans le but de conseiller et de prévoir la nature de l’aide qui pourrait être accordée en cas de demande. »

C’est expressément le rôle du Centre des opérations du gouvernement (fédéral), dont voici la définition :

Le Centre des opérations du gouvernement (COG) offre une intervention d’urgence intégrée tous risques en cas d’incidents (possibles ou réels, d’origine naturelle ou anthropique, accidentelle ou intentionnelle) visant l’intérêt national. En tout temps, il assure la surveillance, produit des rapports, offre une connaissance de la situation à l’échelle nationale, élabore des évaluations intégrées du risque et de produits d’avertissement, effectue la planification à l’échelle nationale et coordonne une gestion pangouvernementale des interventions.

Surveillance et production de rapports en tout temps

Le COG surveille les événements d’intérêt national (jour et nuit) et transmet des informations à la haute direction, aux gouvernements provinciaux et territoriaux (P/T) et au secteur privé. Il consulte de nombreuses sources d’information et du renseignement, notamment les médias, les organismes d’application de la loi et du renseignement, les organisations de gestion des urgences et le secteur privé à l’échelle internationale, fédérale, provinciales et territoriales, ainsi qu’auprès des ONG.

Connaissance de la situation à l’échelle nationale

Grâce à l’information et au renseignement qu’il obtient et à l’échange coordonné de ceux-ci avec les partenaires compétents, le COG a la capacité d’acquérir une connaissance de la situation commune liée à l’échelle nationale qui se rapporte à tous les risques, possibles ou réels, visant l’intérêt national et de la transmettre à l’échelle nationale. […]

Appui à la haute direction

Le COG, de concert avec tous ses partenaires, informe les hauts fonctionnaires de l’évolution des incidents et détermine les questions qu’ils doivent régler. Le COG présente aux cadres supérieurs responsables de la prise de décisions les questions évaluées et les plans d’action élaborés ou donne des conseils à ce sujet. C’est lui qui est responsable de la mise en œuvre des décisions.

Bref, tout est prévu. Ne manque que l’appel.

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À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !