Étranges accommodements étrangers

Jusqu’où doit-on aller pour accommoder les comportements misogynes des dévots, dans l’espace public ? Voilà une des questions posées au Québec ces dernières années. Aujourd’hui, deux éclairages étrangers: britannique, mais d’abord, suédois.

Dans cet exemple rapporté la semaine dernière par le quotidien suédois Dagens Nyheter (non, je ne suis pas abonné, j’ai lu la traduction dans le Courrier International ), un chômeur musulman tenu de faire une recherche active d’emploi pour avoir droit au maintien de ses prestations ne contrevient pas à cette condition si, lors de rencontre d’embauche, il refuse de serrer la main ou de regarder dans les yeux la dame responsable des embauches.

La journaliste suédoise qui rapporte le fait, Lena Andersson, probablement une laïque stricte, affirme:

«N’importe qui estimerait normal qu’une personne qui refuse de serrer la main d’un noir ou d’un musulman se voie refuser un emploi. En revanche, si Dieu proclame qu’il est interdit de toucher les créatures du sexe opposé, on peut compter sur le soutien des pouvoirs publics suédois.»

L’article ne dit pas si le chômeur a le droit de refuser toute offre d’emploi qui le mettrait en contact avec des femmes, du moins dans les cas (à vue de nez, 98%) où il arrive de devoir regarder dans les yeux ses collègues féminins — situation qui se pose également, précisons-le, lorsque ladite collègue porte un niqab. Le médiateur chargé de trancher ce débat a pour mandat de s’opposer aux « discriminations relatives au sexe, à l’identité sexuelle, au genre, à l’appartenance religieuse, à la religion ou autres convictions personnelles, au handicap, à l’orientation sexuelle et à l’âge.» Dans ce cas, il a choisi de faire primer l’appartenance religieuse du chômeur sur la discrimination relative au sexe. Ce n’est donc pas qu’au Québec que cette primauté du droit religieux sur l’égalité des sexes pose problème.

Les Britanniques étendent le champ

Je l’ai souvent écrit ici, le grand problème de l’aménagement actuel du rapport au religieux est la préséance qui lui est donné sur les autres affiliations ou opinions. Sur les autres, donc, libertés de conscience, pour reprendre l’expression de Charles Taylor et de Jocelyn Maclure, auteurs d’un récent ouvrage sur la question.

Or les tribunaux britanniques ont été confrontés en novembre dernier au cas suivant: Un grand PDG avait quitté Londres pour l’Irlande en oubliant son Blackberry derrière lui. Il a demandé à un membre de son personnel de prendre le Blackberry et de sauter dans un avion pour venir le lui donner. Tim Nicholson, responsable des politiques environnementales de l’entreprise, s’oppose à cette décision énergivore. Quelques mois plus tard, il est viré. Il poursuit l’entreprise, affirmant avoir été victime de discrimination fondée sur ses opinions vertes.

Or voilà, seule les convictions religieuses ou «philosophiques» lui auraient permis de contester son renvoi. Le juge Burton a changé tout cela, affirmant que les personnes qui ont des croyances fortes sur d’autres sujets ont un recours assimilable au motif religieux, en donnant une interprétation plus large de ce en quoi consistent des croyances «philosophiques». Un jugement qui ouvre la porte à d’autres libertés de consciences: féministe, végétarien et autres. Le juge n’a donné que quelques autres exemples: l’humanisme, oui, mais la croyance dans les pouvoirs des Jedis ou l’adhésion à un parti politique, non.

L’excellent exercice de Gérald Larose

On se demande pourquoi (pour la politique – pour les Jedis, on comprend). Et cela nous ramène chez nous, et au débat sur les signes religieux dans la fonction publique.  Taylor et Maclure, précités, défendent le droit au port de signes religieux. Gérald Larose, dans son blogue, a posé la question qui tue: pourquoi permettre les signes religieux et non les signes politiques ? On le sait, il est rigoureusement interdit, lorsqu’on est fonctionnaire, de porter un macaron, une casquette ou autre attribut politique et personne n’y trouve rien à redire. Pourtant, l’article 10 de la Charte québécoise des droits met sur un pied d’égalité, et côte à côte, la protection de «la religion, les convictions politiques».

Gérald propose qu’on reprenne le texte de MM Taylor et Maclure en remplaçant les termes religieux par des termes politiques. Suggestion reprise sur un blogue dit du TViste (je n’en connais pas l’auteur). J’en reprends ici quelques extraits savoureux. En italique, le texte d’origine. Vous reconnaitrez facilement le texte retouché:

On voit mal pourquoi il faudrait penser, a priori, que ceux qui affichent leur appartenance religieuse sont moins capables de faire la part des choses que ceux dont les convictions de conscience ne sont pas extériorisées ou le sont de façon moins visible (pensons au port de la croix). Pourquoi refuser la présomption d’impartialité à l’un et l’accorder à l’autre?

On voit mal pourquoi il faudrait penser, a priori, que ceux qui affichent leur appartenance politique sont moins capables de faire la part des choses que ceux dont les convictions de conscience ne sont pas extériorisées ou le sont de façon moins visible (pensons au port du petit macaron ‘Je suis souverainiste’). Pourquoi refuser la présomption d’impartialité à l’un et l’accorder à l’autre?

Par exemple, ce qu’il faudrait proscrire, dans le cas d’un employé portant un signe religieux visible et faisant du prosélytisme au travail, ce serait le prosélytisme et non le port du signe religieux, qui n’est pas en soi un acte de prosélytisme.

 

Par exemple, ce qu’il faudrait proscrire, dans le cas d’un employé portant un drapeau canadien comme veston et faisant du prosélytisme au travail, ce serait le prosélytisme et non le port du drapeau canadien recouvrant tout son corps, qui n’est pas en soi un acte de prosélytisme.

 

Il se peut que des citoyens soient choqués par la vision d’un agent de l’État affichant son appartenance religieuse, peu importe les compétences de ce dernier. Mais comment s’explique cette réaction? Est-il possible que, dans bien des cas, elle provienne d’une suspicion, voire d’une intolérance, envers la religion en général ou envers les religions minoritaires en particulier?

 

Il se peut que des citoyens soient choqués par la vision d’un agent de l’État affichant un macaron disant ‘Je vote Parti Québécois’, peu importe les compétences de ce dernier. Mais comment s’explique cette réaction? Est-il possible que, dans bien des cas, elle provienne d’une suspicion, voire d’une intolérance, envers les partis souverainistes en général ou envers le Parti Québécois en particulier?

Un dernier mot sur cet inépuisable sujet. Mon ami Camil Bouchard me faisait récemment remarquer que l’expression «ostentatoire» utilisée pour baliser les signes religieux qui pourraient être interdits pour les représentants de l’État n’est qu’une échappatoire pour les petits signes religieux. En effet, les petits signes — épinglettes par exemple — syndicaux, politiques ou écologistes sont bannis. Ce n’est pas une question de taille, mais de principe.

Merci à l’alertinternaute Sylvie pour certains de ces signalements.

Ce contenu a été publié dans Laïcité par Jean-François Lisée. Mettez-le en favori avec son permalien.

À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !