Excuses d’Octobre: lettre à François Legault

Monsieur le Premier ministre du Québec,

Il y a 50 ans, des centaines de vos concitoyens étaient réveillés en pleine nuit et conduits, sans mandat ou accusation, dans des cellules. Ce fut le pire abus de pouvoir de notre histoire moderne.

Une période noire où le délit d’opinion, principalement indépendantiste, était passible de prison, de harcèlement et, en plusieurs cas, de violence policière.

Jamais depuis ni l’État canadien, ni l’État québécois n’ont reconnu leur responsabilité dans ce qui fut une atteinte frontale à la justice et aux droits. Depuis deux semaines, des motions ont été présentées devant vous par le Parti québécois puis par le Parti libéral au sujet des excuses qui devraient être présentées. Elles n’ont pas obtenu les assentiments nécessaires pour être adoptées.

Ces échecs n’honorent ni l’Assemblée, ni le gouvernement, ni surtout notre devoir de mémoire et de réparation envers l’histoire.

À Ottawa, deux partis politiques, le Bloc québécois et le NPD, veulent pousser le gouvernement canadien à présenter, aussi, des excuses. Le premier ministre canadien, Justin Trudeau, malgré une réticence évidente, a signalé qu’il était prêt à y réfléchir si chacun prenait ses responsabilités à Montréal, Québec et Ottawa.

Certains de mes amis indépendantistes souhaitent que la totalité du blâme repose sur le gouvernement canadien qui, seul, avait le pouvoir d’invoquer la Loi sur les mesures de guerre. Cette responsabilité est indéniable et c’est sciemment que Pierre Trudeau a voulu qu’une rafle nocturne coïncide avec le déploiement de l’armée pour qu’un choc soit asséné au mouvement nationaliste au grand complet.

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Cependant, la vérité historique doit prévaloir sur les préoccupations politiques. C’est le gouvernement Bourassa qui a, avec le maire de Montréal Jean Drapeau, insisté pour obtenir cette loi. C’est le gouvernement Bourassa qui a décidé de l’ampleur des arrestations et des perquisitions à exécuter, de la longueur des périodes de détention. Ottawa lui a donné l’outil. Québec aurait pu l’utiliser avec parcimonie, mais en a fait une utilisation massive, agressive et politique.

Évidemment, cher François Legault, vous n’y êtes pour rien. Cependant la balle est dans votre camp. Vous pouvez être celui qui écrit le chapitre réparateur de cette sombre histoire. Vous n’avez de permission à demander à personne pour présenter à l’Assemblée une déclaration ministérielle reconnaissant la responsabilité de l’État québécois dans cette affaire et réclamant une prise de responsabilité semblable aux gouvernements d’Ottawa et de Montréal.

À l’époque, seul un détenu injustement arrêté sur cinq fut indemnisé par le Protecteur du citoyen. Vous devriez réclamer qu’un fonds conjoint Ottawa-Québec soit constitué pour dédommager ceux qui ne l’ont pas été. Il est évidemment nécessaire, dans cette déclaration, de rendre hommage aux victimes principales d’Octobre : Pierre Laporte et sa famille. M. Laporte avait eu droit en 1970 à trois jours de deuil national et son nom est pour toujours inscrit dans notre paysage : pont majestueux, écoles, rues.

Nulle part cependant on ne trouve trace de l’injustice commise il y a un demi-siècle contre des centaines de citoyens innocents. Dans cette rafle impardonnable, cinq poètes et une chanteuse furent incarcérés. Une place et une œuvre d’art des Poètes emprisonnés, de préférence sur le boulevard Robert-Bourassa, permettraient d’exprimer à la fois le regret et la reconnaissance de l’affront commis contre la liberté.

Faire ce geste, Monsieur le Premier Ministre, vous grandirait. Il forcerait le gouvernement canadien à faire acte de contrition. Il nous permettrait de tourner la page.

Si vous ne répondez pas à cet appel, alors que vivent encore parmi nous plusieurs des victimes d’Octobre, quand obtiendront-ils justice ? Au 100e anniversaire de l’événement ? Ce sera trop tard. Vous seul êtes au bon endroit au bon moment.

(Ce texte a été publié dans Le Devoir.)

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À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !