Faire vraiment sa fête à la Terre

Lorsque je roule rue Notre-Dame, direction ouest, à l’approche du pont Jacques-Cartier, je ralentis. Je tente de repérer, sur ma gauche, vers le fleuve, un petit arbre. Je m’inquiète pour lui. Va-t-il bien ? A-t-il résisté au récent verglas ? Au smog, aux vents, aux vandales ?

Nous nous étions mis à deux pour le planter, le Jour de la Terre 2013, moi, ministre de la Métropole, lui, Yves-François Blanchet, ministre de l’Environnement du gouvernement Marois. Comme on n’avait pas posé devant lui une plaque soulignant cet événement nullement historique, je ne puis dire aujourd’hui lequel est le nôtre. Il faudrait que je compare avec les photos de presse d’époque, que je mesure les distances, que j’établisse sa géolocalisation.

Chaque petit geste compte, évidemment. Mais chaque gros geste compte bien davantage. À ce point du récit du réchauffement, nous ne sommes plus — ou, du moins, nous ne devrions plus être — à l’étape de faire le tri entre les mesures de réduction des GES. Nous devrions être en train d’appuyer sur tous les leviers en même temps.

Il est évidemment scandaleux que le gouvernement canadien continue, à même nos impôts, à subventionner l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures. Scandaleux que la production canadienne du carburant responsable du réchauffement soit en piste pour croître de 50 % d’ici 20 ans. (On a peine à imaginer quelle serait la situation si notre ministre de l’Environnement n’était pas un écologiste renommé.)

Le Canada s’engage d’ailleurs dans la dernière marotte à la mode : le financement de la capture et du stockage de carbone, une technologie naine qui n’a à ce jour jamais rempli ses promesses et dont, de toute façon, la totalité des coûts devrait être assumée par les pollueurs, pas par les pollués. (Je vous invite à visionner le déboulonnage ironique, mais bien informé, de cette arnaque par des Australiens.) Mais à moins de déclarer l’indépendance dans les mois qui viennent, nous n’y pouvons pas grand-chose.

Au Québec, on nous annonce pour bientôt une autre tranche de la stratégie québécoise en environnement. Voici ce qui devrait, d’après moi, impérativement, s’y trouver :

L’auto. Puisque le transport constitue toujours une part majeure de nos émissions, un programme sérieux de renoncement volontaire à la seconde voiture et à l’auto solo devrait se déployer. J’y inclurais une incitation forte au covoiturage. Comment ? La CAQ devrait piquer notre proposition péquiste de 2018 de « Tinder du covoiturage ». On y proposait de payer le conducteur et le passager trois ou quatre dollars par déplacement en heure de pointe, ce qui retirerait au bas mot 150 000 voitures des routes, le tout financé par le Fonds vert (un peu plus de 75 millions par an, estimions-nous alors).

Le gain de vitesse doit être immédiatement perceptible grâce aux voies réservées pour les bus, taxis et covoitureurs à trois ou quatre passagers. Une incitation financière forte à l’utilisation de l’autopartage électrique (Communauto et compagnie) devrait être introduite pour les six premiers mois, notamment en banlieue, comme pour l’utilisation des vélos électriques, le temps que les utilisateurs découvrent leurs vertus.

Le bus. Il faudrait piquer aussi la proposition de Québec solidaire de 2022 d’instaurer une Société Québec-Bus pour une offre électrique de liaisons interurbaines fiables et à coût raisonnable. Intégrer dans le prix du trajet un billet gratuit de transport en commun au point de départ et d’arrivée, ou une réduction pour l’utilisation d’un taxi électrique pour rassurer le voyageur : ce sera de la porte à la porte… Le tout, enrobé d’une campagne de pub sur le thème de « la seconde voiture, en as-tu vraiment besoin ? », ou « en as-tu vraiment les moyens ? » assortie d’exemples des économies considérables effectuées par les décrocheurs de la seconde bagnole. (Indice : c’est plus de 11 000 $/an.) L’interdiction de la publicité pour les voitures à essence devrait être immédiate, comme la surtaxe, croissante dans le temps, sur les modèles les plus pollueurs (ne m’écrivez pas : je sais que plusieurs VUS offrent une faible consommation).

Les champs. Des scénarios crédibles annoncent pour bientôt une augmentation importante et permanente des cours du pétrole. Les nations qui auront rapidement électrifié leurs flottes de distribution commerciale et leur matériel roulant agricole pourront, seules, amortir le choc. (La constitution d’une réserve stratégique québécoise de pétrole s’impose pour passer ce cap.) Le réchauffement et l’assèchement, notamment, mais pas seulement, du sud-ouest des États-Unis vont provoquer une rareté agricole importante, donc une montée des prix, qui doit nous conduire à accélérer notre autosuffisance dans les plus brefs délais et dans le plus grand nombre de secteurs alimentaires possible.

Les arbres. Je reviens à mon arbre. Il n’a de sens que s’il a des centaines de milliers de confrères. La démonstration n’est plus à faire : en milieu urbain, la canopée réduit les températures extrêmes, le nombre de décès pendant les canicules, le coût de l’énergie consacrée à la climatisation. 

Le verdissement des stationnements, ces lacs de bitume, devrait être encouragé et faire l’objet de prix régionaux et nationaux annuels (un million de dollars !) pour enclencher une robuste émulation. Que les entreprises et centres d’achats précurseurs s’en enorgueillissent et en fassent un argument d’attraction des clients, que les autres crèvent de honte ! Qu’on mette aussi à l’épreuve les colorants qui rendent le bitume roux, bleu ou vert, pour en réduire l’absorption et la rétention de chaleur.

Une fête. Il ne s’agit pas que d’une affaire d’État. Chaque citoyen devrait être appelé à planter un arbre chaque année, sur les terrains qui leur appartiennent, ou de la verdure en pots sur leurs balcons. Qu’on en fasse un événement, une fête annuelle, le premier ministre, les ministres, députés, maires et conseillers montrant l’exemple, chaque Jour de la Terre. Qu’on mette les quartiers et les arrondissements en amicale compétition pour augmenter leur couverture verte, année après année. Je ne sais pas si c’est le cas pour Yves-François, mais chez moi, ma pelle est prête.

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)

1 avis sur « Faire vraiment sa fête à la Terre »

  1. J,ai tout lu ou presque .je vous écoute aux mordu je vous lis dans le devoir vous êtes ma référence quant aux sujets variés que vous traitées de tout causes Merci
    À quand un livre sur Legeault pour le définir …

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