Plus tôt cette semaine, j’ai appris qu’existait une rapporteuse spéciale des Nations unies sur la violence contre les femmes et les filles, Reem Alsalem. J’ai aussi appris qu’elle venait de déposer un rapport recommandant que « les catégories féminines dans le sport organisé soient exclusivement réservées aux personnes de sexe biologique féminin ». Elle a calculé que ces dernières années, « plus de 600 athlètes féminines dans plus de 400 compétitions ont perdu plus de 890 médailles dans 29 sports ». Des athlètes aux corps d’hommes, mais concourant comme femmes, l’ont emporté.
Il y a les faits. Il y a le contexte. Elle écrit : « Les athlètes et les entraîneurs de sexe féminin qui s’opposent à la présence d’hommes dans leurs espaces sont réduites au silence ou contraintes à l’autocensure sous peine de perdre des opportunités sportives, des bourses d’études et des sponsors. Nombre d’entre elles sont également taxées d’intolérance et suspendues de leur équipe sportive, ou font l’objet de mesures d’éloignement, d’expulsion, de diffamation et de procédures disciplinaires injustes. »
Déposé en août, ce rapport a été rendu public le 8 octobre dernier. Compte tenu de l’intensité de la couverture ces dernières années sur cette question, et en particulier pendant les Jeux olympiques cet été, j’estime humblement que ce rapport est digne d’intérêt. J’en ai trouvé la trace dans plusieurs journaux anglophones, mais aucun média francophone québécois n’en a parlé. Aucun, sauf un. Enfin, je devrais dire « sauf une » : l’information m’est parvenue car je suis un lecteur fidèle des chroniques de Sophie Durocher dans Le Journal de Montréal.
« Mon genre n’est pas ton costume »
Vous me direz si c’est un hasard : elle lance cette semaine son livre Où sont les femmes ? L’effacement du féminin dans l’espace public (Éditions du Journal).
Elle utilise deux images pour illustrer son propos. L’une vient du passé : le faire-part envoyé par ses parents à sa naissance. On y lisait : « M. et Mme Gilles Durocher ont le plaisir de vous annoncer la naissance de leur fille, Sophie. » La mère, Pauline Perras, n’avait « pas de prénom, pas de nom de famille », écrit sa fille, donc « pas d’identité propre, disparue, effacée, donc invisibilisée ». L’autre image est actuelle : une photo, dans un métro européen, de deux personnes assises côte à côte, une drag queen et une femme portant le niqab. Donc, un homme déguisé en caricature de femme et une femme invisibilisée par une religion patriarcale.
La chroniqueuse et animatrice (je n’ose écrire « autrice », car elle déteste) note une incongruité dans le discours à la mode. Si une chanteuse blanche porte une coiffe indienne, c’est de l’appropriation culturelle. « Ma culture n’est pas ton costume », tonne-t-on. Mais dans le cas des drag queens, personne ne dit : « Mon genre n’est pas ton costume. » L’écrivaine ne souhaite interdire ni l’une ni l’autre, mais le déséquilibre est frappant. L’autre image, le niqab, est une négation de la présence du corps de la femme par les diktats d’hommes de robe.
Ce sont des symboles forts d’une partie de la réalité contemporaine occidentale. Mais d’une partie seulement. Sophie ne l’aborde pas (je l’appelle Sophie, car, transparence totale, c’est une amie), mais d’autres symboles forts attestent de la normalisation de la visibilité des femmes. Les leaders de nos deux principales centrales syndicales sont des femmes — dont une Autochtone — ; le maire de Montréal est une mairesse ; les ministres phares de François Legault sont Sonia LeBel et Geneviève Guilbault ; chez Justin Trudeau, elles s’appellent Chrystia Freeland et Anita Anand. Nous sommes à l’orée d’un point de bascule historique.
Ce n’est pas son propos, j’en conviens, et ça ne le rend pas moins pertinent. Car en parallèle de ce progrès fulgurant, des forces venues du volet masculin de la planète et prenant les atours du progressisme tentent de faire subir recul sur recul à un certain nombre d’acquis féminins durement gagnés.
Sophie tient un compte précis du nombre de fois où, par dérive intellectuelle ou par simple volonté d’être dans le vent, des organismes de l’État ou de la société civile ont voulu faire disparaître le mot « femme » du vocabulaire, ici et ailleurs, y compris les mots vagin, clitoris, même sein ! Au nom de l’inclusion du 0,75 % de la population qui s’auto-exclut des deux genres, il faudrait biffer les mentions de l’existence de la moitié des 99,25 % restants. Un peu comme si on interdisait à Justin Trudeau de dire « Canadiens, Canadiennes », car il est certain qu’il y a toujours un ou deux touristes dans l’auditoire. Elle note par exemple qu’il ne sera plus possible de suivre l’évolution du nombre de femmes au Collège des médecins, car leurs questionnaires ont changé pour donner, non deux choix de genre, mais 14 (14 !).
Une poignée d’insurgés
On pourrait lui répliquer que plusieurs des cas locaux et recensés ont été battus en brèche à cause de la réaction provoquée dans l’espace public par des femmes (et des hommes) qui réprouvent ces dérives. Justement. Si ces réactions existent, c’est que Sophie Durocher et quelques autres se sont donné le rôle de dire non. De faire de la « pédagogie de combat », selon l’expression de l’admirable Française Caroline Fourest, ou du « féminisme viril », selon celle de Sophie.
Ces interventions portent leurs fruits. Je me hasarde à penser qu’en Occident, ces dérives auront connu leur apogée entre 2020 et 2023 — et qu’elles sont désormais sinon en retrait, ou du moins sur la défensive. C’est davantage le cas au Québec qu’ailleurs, ce coin de continent que j’aime appeler la République du bon sens. Martine Biron a été prompte à refuser que le mot « femme » disparaisse du Code civil. Elle a été appuyée même par Québec solidaire. C’est un signe. Le refus d’accepter que les Montréalaises soient représentées par une femme voilée dans une image d’accueil à l’hôtel de ville s’est rendu à Valérie Plante, qui y a donné droit. C’en est un autre.
Ces victoires ne sont pas arrivées seules. Il a fallu qu’à la manière de Sophie Durocher, des citoyens s’insurgent contre ce qui s’installait comme une nouvelle façon d’être, présentée comme moderne et inclusive, alors que leur effet combiné, voulu ou non, réduisait l’espace que les femmes avaient acquis. Pour mener ce combat, il fallait accepter d’être exclu, pendant cet instant où la bêtise semblait dominante, du club des gens bien, du réseau de l’élite et du progrès.
C’est plus ardu que vous ne le pensez. On trouve moins de volontaires pour mener ces combats que de partisans du confort bien-pensant. C’est pourquoi on ne demande jamais, sur ces questions, où est Sophie Durocher ? Elle est toujours là, au front.
(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)
Si votre autrice n’aime pas le mot autrice, vous devriez la qualifier d’animateur…
Bizarrement, toutes les études scientifiques mentionnent que les sportives trans, après la période de transformation que toutes les disciplines exigent, n’ont pas d’avantages indues sur les femmes cis. Évidemment, quelques-unes gagnent parfois des médailles, mais c’est aussi le cas des hommes trans…