Fonds de tiroir

Vous me croirez si vous voulez mais il arrive, en politique, qu’on ne sache plus quoi dire. Non parce que nous sommes en panne d’idées. Mais parce que la conjoncture nous empêche de faire avancer nos premiers choix et nous contraignent à nous replier, non sur ce qui est préférable, mais sur ce qui est applicable.

C’est ainsi qu’existe dans la commode québécoise un tiroir, ou plutôt un fonds de tiroir, où on peut puiser en désespoir de cause des propositions de dernier recours. Des idées qui traînent dans le décor depuis des lustres (capsule linguistique: un lustre, c’est cinq ans; une lune, un mois). Des idées qui ne sont pas intrinsèquement mauvaises, mais qui ne s’imposent pas d’elles-mêmes comme prioritaires.

J’en vois quatre : le TGV Montréal-New York (ou Québec-Windsor), le revenu minimum garanti, le monorail Montréal-Québec, la constitution québécoise.

Nos amis libéraux adoreraient nous annoncer que, eux élus, ils vont changer la constitution du Canada pour y faire reconnaître l’existence de notre nation, notre souveraineté culturelle, notre autonomie sociale, dans l’honneur et l’enthousiasme. Malheureusement, la crédibilité de cette promesse a connu sa date de péremption il y a plus ou moins trente ans. La commission politique du Parti libéral s’est repliée sur un projet de constitution québécoise. Par dépit, oui, mais aussi pour une raison admirable. Comment envoyer un signal aux francophones qui, à plus de 90%, boudent le PLQ ? Dominique Anglade (vous vous souvenez ? elle était cheffe, oui, il y a moins d’un lustre) avait eu la curieuse idée de proposer 28 mesures pour renforcer le français. Tout allait bien jusqu’à ce que l’électorat anglophone du parti, et ses médias, menacent de l’abandonner. Alors, que reste-t-il, si on veut parler d’identité québécoise ? Il y a bien le projet, mort-né sous le gouvernement de Philippe Couillard, d’adopter une politique faisant de l’interculturalisme, plutôt que le multiculturalisme, le canevas du vivre-ensemble. Je sais que je vais peiner mon ami Gérard Bouchard en réitérant ici que seuls les spécialistes peuvent saisir la différence. (Charles Taylor l’avait froissé en affirmant que l’interculturalisme c’était « le multiculturalisme en français ».)

Cet assaisonnement identitaire manquant un peu de punch, les auteurs l’ont enrobé dans la constitution. Je ne suis pas contre. Je me suis déjà prononcé en faveur. Le problème est que lorsque le PLQ écrit une constitution, cela ne tourne pas toujours bien. En 1995, un comité interne avait imaginé un texte proposant que le Québec y soit déclaré officiellement bilingue. Le document avait coulé. Il était à ce point dommageable que le chef libéral de l’époque, Daniel Johnson, m’avait subtilement accusé de l’avoir moi-même écrit pour l’enquiquiner. « Lisez, lisez, lisez » avait-il déclaré dans un discours au sujet de ce texte. (J’attends toujours les excuses.)

Il est généralement convenu qu’une constitution québécoise enchâsserait nos deux lois phares, la Charte québécoise des droits et libertés et la Charte de la langue française. Les libéraux, c’est connu, veulent soustraire certaines dispositions à la Charte de la langue, parmi celles introduites par la CAQ en adoptant la loi 96. Les prétendants au trône libéral se bousculaient aux micros cette fin de semaine pour indiquer quelles sections ils comptaient dépecer à la première occasion. Denis Coderre était le plus gourmand. Il faut « scrapper la loi 96 », a-t-il dit. (J’ai beau chercher dans mes dictionnaires, scrapper ne semble pas être un mot français; mais, un coup parti !) Faire d’un projet de constitution la pièce maîtresse d’une grande réunion du parti avait donc comme effet secondaire (imprévu?) de remettre en vitrine la volonté libérale de faire reculer la loi actuelle. Message envoyé aux francophones : avec le PLQ, la défense du français va faiblir, on vous le garantit ! Attendons les prochains sondages…

Je vous prévois que la main de la CAQ se plongera sous peu dans le fond de tiroir pour y chercher, aussi, le projet de constitution. Si on se place dans une perspective où le Québec va bientôt quitter le Canada, c’est superflu. Mais si on prévoit, comme le fait la CAQ, un séjour indéfini dans la nation de nos voisins, la constitution peut servir à blinder nos positions défensives.

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Le cas de figure parfait est celui de la loi sur la laïcité. Son auteur, le ministre Simon Jolin-Barrette, avait bien pris garde d’insérer dans la Charte québécoise des droits de nouvelles dispositions qui indiquaient aux juges que la laïcité en était un principe directeur. L’idéal aurait été de pouvoir dire que la loi 21 ne contrevenait pas à la Charte québécoise, donc à notre version des droits, mais seulement à la Charte canadienne, donc à leur version. Mais Jolin-Barrette a eu raison de se méfier et d’invoquer quand même la clause dérogatoire de la québécoise. Car le seul juge fédéral à s’être penché sur la question, Marc-André Blanchard de la Cour supérieure, a superbement ignoré l’existence même de ces nouvelles dispositions pour dire tout le mal qu’il pensait de l’affront aux droits et canadiens, et québécois, que constituait l’ignoble loi 21. Les juges fédéraux ont en effet pris le parti d’interpréter la charte québécoise à travers la lunette de la charte canadienne.

Le remède à ce militantisme trudeauiste des juges fédéraux ne réside donc que partiellement dans l’enchâssement de notre charte dans une constitution québécoise. Il faudrait de plus que Québec créée son propre « Conseil constitutionnel », formé, disons, de trois juristes de renom. Lors de l’adoption de lois propres à prendre les juges fédéraux à rebrousse-poil, Québec pourrait demander à ce conseil un avis sur la constitutionnalité québécoise de sa mesure, dans le cas où il souhaiterait ne pas recourir à la clause dérogatoire. Si le conseil bénit la loi, son avis deviendra un argument supplémentaire à présenter à la Cour suprême sur le respect de notre propre charte, en droit québécois. La cour canadienne aura toujours le dernier mot, quoiqu’on en dise. Est-ce presque rien, ou mieux que rien ? En tout cas, voilà où on en est, pour une nation qui s’entête, pour des lustres et des lustres, à vivre dans un tiroir.

(Une version un peu plus courte de ce texte a été publiée dans Le Devoir.)

1 avis sur « Fonds de tiroir »

  1. J’y comprends que d’oeuvrer à l’idée d’une constitution québécoise ne s’impose pas d’elle même.

    J’ai appris en 2022 à la suite d’un lockout parlementaire par l’ex-président de l’Assemblée nationale, François Paradis et de sa résolution par la nouvelle présidente, Nathalie Roy, que les Québécois en ont une. J’ai compris qu’elle ne date pas de 1982 ni de 1867 mais de 1791 ou 12. Je me trompe ?

    « Je, (nom du député), déclare sous serment que je serai loyal envers le peuple du Québec et que j’exercerai mes fonctions de député avec honnêteté et justice dans le respect de la constitution du Québec. »

    Conscient de me répéter :

    Peuple ? Même pas peur, même pas peur de faire un Général de Gaulle de moi-même ! qu’est-ce que le peuple dans l’expression Le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple prononcée par Abraham Lincoln en 1863, quatre ans avant 1867, à l’occasion de l’inauguration d’un cimetière militaire à Gettysburg.
    Il m’arrive de penser que les trois « peuple » dans l’expression ont trois sens : le premier, les électeurs, le deuxième les élu/es et le troisième la population.
    Quelqu’un/ de plus calé que moi en histoire saurait vous dire si à cette époque les femmes non propriétaires avaient le droit de vote aux États-Unis. Au Québec, elles l’ont eu en 1792, je dirais mais perdu en 1834, au désaveu de Londres.

    La question qui vient à mon esprit curieux-Bégin est auquel ou auxquels des trois peuples les esprits troublés accordent-ils/ toujours raison. Et alors, foutaise ?
    L’idée de diviser un électorat en socle et sur le socle, comme Abraracourcix sur bouclier, est éclairante. Est-ce que Joseph Facal l’a eu ? André Pratte ?

    Je prends note de cette idée de trois peuples en un, la population, pour enrichir ma recherche et mon développement d’un système électoral et parlementaire dédié à une représentation politique de la population évolutive, progressive, donc algorithmique.
    Le pouvoir parlementaire, le peuple au sens des 125 élus/ au Québec, y aurait la possibilité d’ajouter de la raison au droit d’avoir tord du peuple au premier sens, les plus de 6 millions d’électeurs/, aux lendemains d’élections générales.

    Ce deuxième effort viserait un bénéfice pour le troisième peuple, la population de maintenant 9 millions de personnes, au pays où depuis 1944 comptent aussi les femmes mais où ne compteront pas encore en 2026 les moins de 18 ans et à jamais les non-inscrits/ et les inscrits/ qui ne votent pas. Donc une majorité parlementaire actuelle minoritaire à 41 % contre ~ 56 % à moins de 50 % de 9 millions.

    Donc, les inscrits/ votants/ au droit d’avoir tord ont toujours le dernier mot et doivent l’avoir ? Foutaise ! Aux lendemains d’une élection, la balle est dans le camp des élus/ pour 4 ans si majorité d’un parti. Le troisième peuple à l’oeuvre ailleurs a pour divertissement le choix entre les estrades ou une modalité télévisuelle à ses heures de loisirs, sinon la façade de l’Hôtel du Parlement ou la rue.
    Note. Si vous n’avez pas déjà compris, la barre oblique est pour signaler qu’il peut aussi bien s’agir d’une femme que d’un homme.

    Suggestion personnelle de lecture cette semaine :

    https://policyoptions.irpp.org/fr/magazines/septembre-2024/carte-electorale-quebec/

    https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2118782/carte-electorale-quebec-poursuite

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