Français : interdit de s’alarmer !

angliciseDans 21 ans, les résidents de l’île de Montréal qui parleront le français en mangeant leurs céréales le matin ne seront plus que 43 %, soit une chute de 10 % par rapport à 2001.

La ministre Christine St-Pierre estime que le rapport du péquiste Pierre Curzi sur le français, dont sont tirés ces chiffres, est « alarmiste » et que le député « joue les Cassandre ». La ministre de la culture sait sans doute que, même si personne ne l’écoutait, Cassandre avait toujours raison.  Elle doit savoir qu’un alarmiste est quelqu’un qui dissémine des bruits et des nouvelles alarmantes, mais souvent justes.

Une question me vient à l’esprit. À partir de quel moment devrions-nous être alarmés ? Lorsque la proportion de francophones sur l’île sera de 40 % ? 35 % ? 30 % ? Qu’on nous donne un chiffre, pour qu’on puisse régler nos sonnettes d’alarme.

Le document, intitulé Le grand Montréal s’anglicise, fondé pour une large part sur les travaux de Charles Castonguay et de Marc Termotte, offre un portrait sans fard de l’évolution linguistique. Il montre que, malgré les progrès, la plupart des indicateurs témoignent d’un affaiblissement du français. C’est vrai à Montréal, mais également dans la couronne.

Des pistes d’action

Le document ne livre pas de pistes d’action, cela viendra plus tard, dans l’élaboration du programme péquiste. Cependant le choix des auteurs en faveur du prolongement de la loi 101 au Cégep est manifeste.

Quelle que soit la vertu de cette mesure, on sent bien, à la lecture de l’ensemble du portrait, qu’elle n’aura qu’un impact marginal sur la situation globale.

Le document établit clairement ce que les démographes savent, soit que les principales variables qui font ou défont le français à Montréal sont, par ordre d’importance : 1) la composition linguistique de l’immigration ; 2) l’exode des francophones vers les banlieues; 3) l’exode des anglophones vers le Rest of Canada. La loi 101, les transferts linguistiques, l’affichage et tout le dispositif législatif ont un impact, mais pas autant que ces trois facteurs.

Or, le document semble lancer la serviette sur la composition linguistique de l’immigration, affirmant, citant Termotte, qu’on ne peut avoir plus de 35 % des immigrants ayant le français comme langue d’usage. On sent là un déficit de volontarisme car, si c’est vraiment le cas, on ne voit pas comment renverser durablement la tendance à l’anglicisation.

Sur l’exode des francophones vers la banlieue, le document est muet sur des mesures de redressement. La question fut timidement soulevée dans un autre document péquiste, celui portant sur la création de richesse. On pouvait y lire : « Une des raisons qui incite les jeunes familles à quitter l’île, c’est le coût élevé des propriétés influençant ainsi la proportion des francophones sur l’île de Montréal. »

Un objectif national légitime

La question est de savoir si le Parti québécois aura le cran d’affirmer, pour la première fois de son histoire, que le maintien sur l’île de Montréal d’une majorité de francophones est un objectif national légitime, à la fois sur le plan linguistique, sur celui de la capacité d’intégration des nouveaux arrivants et sur le plan de la cohésion sociale ? Puis, ce principe étant posé, saura-t-il  discuter ouvertement de mesures d’application générale aptes à atteindre ce but (j’en ai discuté ici) ?

Le document Curzi est donc une contribution valable au débat linguistique québécois, une première étape. Il a raison de s’alarmer, et on espère qu’il ne subira pas le même sort que les avertissements de cette pauvre Cassandre.