Francais: le grave danger des demi-mesures

J’ai une admiration sans borne pour Guy Rocher, un des pères de la loi 101. C’est donc avec une fébrilité que je m’apprête à le contredire. Dans Le Devoir de samedi, il attirait notre attention sur le danger des demi-mesures. Ce n’est pas chaque décennie qu’un gouvernement a la capacité de donner un élan historique à notre langue nationale. Le PQ de 1977 a livré une réforme qui avait couvé pendant un quart de siècle et, comme le rappelle M. Rocher, le Dr Camille Laurin est allé au-delà des attentes. Mieux que d’autres, il avait compris à quelle profondeur il devait ancrer la réforme.

(Une version légèrement écourtée de ce texte a été publié dans Le Devoir.)

Une fenêtre semblable est ouverte pour François Legault. Un large consensus s’est établi sur le déclin du français et l’opinion attend des mesures fortes. Lui livrer des demi-mesures qui n’aurait pas la force nécessaire pour renverser la situation équivaudrait à gaspiller un moment historique.

Guy Rocher propose d’étendre la loi 101 au Cégep. Il est rejoint par un nombre croissant d’intervenants. Ils y voient, dans les outils disponibles, celui qui frappe le plus fort.

Malheureusement, et c’est là où je fausse compagnie à M. Rocher, c’est l’exemple même de la demi-mesure. Elle donne l’impression de la fermeté. Elle rate complètement la cible.

Elle interdit aux jeunes québécois qui sortent de onze ans d’enseignement primaire et secondaire en français et qui, donc, sont pour la vie parfaitement opérationnels en français, de flirter avec l’anglophilie inhérente aux cégeps anglophones. Le gain n’est pas inexistant. Mais il ne résout pas notre problème.

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Quel est-il ? L’extension rapide de l’anglais langue de travail à Montréal. C’est le moteur du déclin du français. Il découle en particulier de la propension de salariés non francophones d’imposer l’anglais au travail (selon l’OQLF, cette attitude est responsable du tiers des échanges en anglais). Certes, cette tendance délétère se heurte à une faible résistance de la part de francophones pour lesquels l’impératif de français langue commune est faible et encore davantage de la part d’allophones pour lesquels le français et l’anglais sont des langues secondes. Admettons aussi le facteur d’efficacité: les francos et les allos bilingues ne veulent pas perdre de temps à tenter de comprendre un anglo dont le français est trop faible.

Pour modifier cette dynamique, l’extension de la loi 101 au Cégep ou encore la réduction du financement des Cégeps anglophones est non seulement inutile mais, à la marge, contreproductif. En laissant les anglos (et les allos anglicisés) dans leur ghetto collégial, en retirant de leurs classes ceux qui parlent le français, on réduit leur contact déjà ténu avec la réalité francophone.

Le problème qu’il faut résoudre est exactement là où cette demi-mesure n’aide en rien: dans la formation des anglos et des allos anglicisés. Il faut faire en sorte que chaque future cohorte de diplômés de Dawson, de McGill et des autres institutions post-secondaires anglos doivent avoir acquis 1) une excellente maîtrise du français écrit et oral 2) la conviction que la nation québécoise tient mordicus à ce que le français soit la langue commune, que cela plaise ou non.

Il y a deux façons d’y arriver. La première est renforcer l’enseignement du français pendant les trois premières sessions d’un cours général de Cégeps anglos puis d’obliger l’étudiant à faire sa dernière session en immersion dans un Cégep francophone. Pour obtenir son diplôme il devra, comme son collègue francophone, réussir son examen de français final, éliminatoire. (Cela doit s’accompagner de cours de maintien du français au niveau universitaire anglo, avec examen final éliminatoire, et d’exigences de français pour les étudiants étrangers qui, sinon, sont un facteur d’anglicisation de Montréal.) J’ai défendu cette position pendant plusieurs années et elle figure au programme du PQ.

J’estime que la détérioration du français à Montréal est si rapide (passer de 9 à 25% d’entreprises à bilinguisme intégral en 12 ans est catastrophique), que l’étiolement du concept de français langue commune est si grave qu’il faille désormais aller plus loin et poser un geste politique, symbolique et national plus résolu: le Cégep en français pour tous.

Il ne s’agit pas de fermer Dawson et les autres, mais de les transformer, sur 10 ans, en Cégeps francophones (entre 10 et 50% de leurs enseignants sont déjà francophones). Il s’agit d’un geste national qui affirme que dans ce coin francophone d’Amérique nous avons décidé de faire du Cégep en français le point de passage commun et obligatoire de toutes nos futures élites techniques et professionnelles.

J’entends l’argument: mais, la constitution ne protège-t-elle pas l’enseignement en anglais ? Seulement aux niveaux primaire et secondaire. Nous avons carte blanche pour les Cégeps.

J’entends: mais, les étudiants anglos seront pas de niveau ? Justement, il faudra les mettre à niveau dans les dernières années du secondaire.

J’entends: mais, la communauté anglo sera contre ? Elle sera contre toutes les réformes proposées. Opposition pour opposition, autant appliquer la bonne réforme. Cela dit, il est préférable d’arguer que cette réforme est inclusive, assurant aux jeunes anglos un réel succès dans le marché du travail francophone, que d’aller défendre l’atrophie des Cégeps anglos avec l’extension de la loi 101.

J’entends: mais les jeunes anglos vont partir en Ontario ? En ce moment, c’est ce qu’ils font, sortant de leurs Cégeps et universités sans réelle maîtrise du français. Une perte nette pour la communauté anglo et pour l’investissement dans leur éducation.

J’entends: oui mais là, ils vont partir faire leurs études en Ontario ? Nous sommes dans un pays libre. Mais il ne faut pas penser que la mobilité est si grande à cet âge. Les coûts sont énormes hors-Québec et ces exilés n’auraient pas accès à nos prêts et bourses.

J’entends: mais c’est énorme ! Oui, et c’est ce qu’il faut. L’exact contraire d’une demi-mesure. 


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1 avis sur « Francais: le grave danger des demi-mesures »

  1. Autrement dit: imposer le français aux CEGEP et universités québécoises (de moi) en utilisant la réforme étapiste linguistique que vous proposez mais en la consolidant chaque année pour arriver à un réseau québécois français.

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