Godin-le-magnifique

2_Godin_pub_24Heures_5semaines-158x300J’ai dû ruminer plusieurs jours, après avoir vu le film Godin, avant de savoir précisément ce que j’en pensais, et pouvoir vous le dire.

Ce qui frappe énormément, au début du film, sont des images du jeune Godin. À 29 ans, cigarette au bec, au volant d’une voiture rouge tape-à-l’oeil, le jeune progressiste/journaliste/poète exsudait l’arrogance de la jeunesse, ses certitudes, sa séduction.

Dans ces images 35mm tournées par Gilles Groulx, tout l’avenir d’un Québec nouveau, à la veille de naître, semble comprimé dans le personnage.

À le voir s’exprimer en entrevue avec sérieux et assurance, à le voir produire une poésie à la fois proche et dénonciatrice du réel, à le voir devenir le compagnon de la splendide et enivrante Pauline Julien, à le voir arrêté en octobre 1970 pour délit d’opinion, on s’attend à ce que ce prologue soit suivi par un feu d’artifice, une grande oeuvre sociale, politique, littéraire.

Comme tous les récits des artisans de l’indépendance des années 70, 80 et 90, l’arc narratif se rompt sur l’échec référendaire de 1980, puis de 1995.

Privée de victoire à la mesure de leur talent et de leur promesse, leur histoire doit se replier sur des parcours, voire des réussites, qui, chez d’autres, suffiraient amplement à satisfaire le récit mais qui, chez eux, n’ont que le goût de l’incomplétude.

Le documentariste Simon Beaulieu tente hardiment de compenser ce défaut structurel irréfragable en introduisant la notion de progrès vers l’étape finale, cette indépendance encore à venir et à laquelle son héros travaille jusqu’à la fin.

Mais le fait que Godin soit victime de cancer, donc privé de la capacité de participer à la suite des choses, amplifie le malaise. La vie est doublement injuste envers lui.

Pour illustrer combien Godin est un battant qui continue, malgré le mal qui ronge son corps, à poursuivre son combat politique et son activité de député de proximité sur le Plateau, Beaulieu nous fait entendre un extrait de discours de René Lévesque sur l’urgence d’agir.

Il s’agit du Lévesque de 1968, au début, donc, de son combat indépendantiste. L’extrait est cependant remarquable, non par l’espoir porté sur l’avenir, mais par le ton excédé de Lévesque face à ceux qui ne comprennent pas le bien fondé de son projet.

Je ne l’avais jamais entendu ainsi. Et peut-être est-ce mon oreille, davantage que son ton, qui est ici en cause. Mais écoutez d’abord:

(il faut aller jusqu’aux applaudissements, pour la portion utilisée dans le film)

« Puisque l’avenir, il va être là de toutes façons ! »

Le sentiment qu’on en retire, dans le contexte du film, est que Lévesque est furieux à l’avance du fait que, en 2000, ni Godin ni lui n’auront atteint leur objectif.

Ainsi, de film à la gloire de la persistance, le documentaire devient un film sur la frustration.

Ma conclusion: allez le voir. Peut-être y trouverez vous autre chose que moi. Peut-être le ressent-on autrement si on est jeune ou vieux.

Si oui, revenez me l’écrire. Si non, écrivez-le moi aussi.

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À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !