Il existe une machine à imprimer de l’argent au bénéfice des frères Molson qui s’appelle le Canadien de Montréal.
Il existe un maire de la seconde ville au Québec qui rêve de construire un grand Colisée et d’attirer une machine à imprimer un peu moins d’argent, les Nordiques de Québec, qu’un maître de l’impression de l’argent, Pierre Karl Péladeau, tente d’ajouter à son empire.
En quoi les pouvoirs publics devraient-ils se mêler de ces entreprises capitalistes, autrement que par les aides normales prodiguées aux usines de fabrication d’allumettes ?
La question est excellente, d’autant que les magnats du hockey sont passés maîtres dans l’art de socialiser les pertes (donc d’extorquer le contribuable) et de privatiser les profits (donc de partir avec la caisse).
Pourquoi, donc, la conscience collective se fixe-t-elle avec autant d’acuité sur ces deux équipes, l’actuelle et la virtuelle ? C’est que, contrairement aux allumettes, elles constituent pour les Québécois un bien commun considérable. Une expression, parmi d’autres, mais peut-être plus rassembleuse que beaucoup d’autres, de leur identité.
Définir ce qui est souhaitable
a) Les Nordiques
Avant d’aborder les pièges financiers que nous posent les promoteurs, il faut identifier quel est ce bien commun et ce que nous voudrions qu’il devienne (ou redevienne).
Pour les plus jeunes, sachez que pendant près de 20 ans les matchs Canadien-Nordiques ponctuaient nos hivers comme autant de tempêtes du siècle. Chacun retenait son souffle. Pendant les retransmissions, les rues étaient désertes. Les billets, hors de prix.
Cela attisait la rivalité Québec-Montréal ? Pas du tout, cette rivalité gît dans le code génétique des deux villes. Mais cela la canalisait, lui offrait un exutoire. Et au moins, sur la glace, en fin de troisième période ou de prolongation, on savait clairement qui avait gagné, qui avait perdu, jusqu’à la prochaine fois.
Les Nordiques ont survécu de façon subreptice sous la forme de l’équipe fictive du National, dans l’inépuisable série de Réjean Tremblay, Lance et compte. Les tentatives pour faire revivre la vraie équipe disent aussi combien elle nous manque, comme un membre qu’on nous aurait coupé, mais que l’on sent encore, dans les moments de grande émotion.
On parle beaucoup d’identité ces temps-ci au Québec. De langue, de culture, d’efforts à déployer pour ne pas, comment dire ? dégénérationner. De respect pour le patrimoine culturel, historique, religieux du Québec. Et cela me frappe qu’on ait si peu compris combien l’existence d’une équipe de hockey dans chacune des deux grandes villes québécoises constituait, non seulement pour les gens de Québec, mais pour tous les Québécois, un élément structurant de la vie collective.
Cela tenait à la fois du divertissement, de la présence de notre sport national dans nos vies et même de l’aiguisement de notre esprit compétitif. Et du respect de notre langue.
En cas de retour des Nordiques, retrouverons-nous la magie des matchs d’autrefois ? Pas du tout. Ce sera mieux. Parce qu’avec les nouvelles règles de la LNH, les Nordiques et le Canadien pourront s’affronter en demi-finale de la Coupe Stanley. Jamais nous n’aurons vécu ce niveau d’intensité.
Jusqu’au jour dit, on en rêvera. Lorsqu’il arrivera, on sera en transe. Après, il entrera dans la légende. Divisés pendant cette étape cruciale, les Québécois (sauf quelques grincheux) s’uniront ensuite derrière le vainqueur pour la finale, contre la meilleure équipe du reste de l’Amérique. Pour donner du tonus à l’identité québécoise, la résurrection des Nordiques serait la plus belle mise au jeu.
b) Les Canadiens
Avez-vous remarqué que le départ des Nordiques a signifié le déclin du français au hockey, même au sein du Canadien ? La baisse du nombre de Québécois repêchés par la LNH et par le Canadien.
Il y a bien, comme l’a dit cette semaine Pierre Curzi et comme le dénonce régulièrement Réjean Tremblay et bien d’autres, un refus du Canadien d’assumer son rôle d’équipe montréalaise et québécoise.
L’affaire est chiffrée et entendue: il existe une discrimination dans le repêchage des joueurs francophones. Que les équipes américaines ou canadiennes anglaises exercent ce mépris (contre-productif) contre le talent québécois est une chose. Que l’équipe qui imprime son argent grâce aux billets achetés par des Québécois fasse de même est proprement inacceptable.
Sans même revenir à la pratique donnant au Canadien le premier choix au repêchage au Québec, la simple décision de choisir, à compétence égale, un francophone me paraît être le minimum exigible.
Mon estimé collègue Yves Boisvert, rétif dans sa chronique de ce samedi à l’idée de mélanger identité et hockey, affirme ce qui suit:
Le Canadien a tout de même commis deux fautes difficilement pardonnables. D’abord, ne pas être la meilleure équipe pour trouver le talent québécois. Ensuite, ne pas avoir montréalisé ses joueurs, venus de partout dans le monde. Je veux dire convaincre quelques figures de proue d’avoir la courtoisie élémentaire de parler un français fonctionnel. De montrer qu’ils savent où ils sont sur cette planète.
100 000 jeunes sur la glace
En ces temps où on se préoccupe grandement de la montée de l’obésité chez nos jeunes, j’ajoute que tout ce qui peut contribuer au maintien et à l’essor d’un sport aussi physique que le hockey est bon à prendre.
Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’au moment où le climat se réchauffe et restreint la période où on peut patiner sur les ronds de glace extérieurs (imaginez, il y a maintenant des patinoires extérieures réfrigérées à Montréal !) l’attachement à ce sport se raffermit, avec 100 000 jeunes sur la glace, plutôt que de fondre au soleil.
Le retour du couple Canadien/Nordiques, la multiplication de talents québécois, (de modèles québécois?) sur la glace, ne feraient-ils pas davantage que cent campagnes de sensibilisation pour renvoyer garçons et filles courir des rondelles plutôt que surfer les Galaxies avec Mario ?
Voilà donc ce qui est souhaitable: un retour des Nordiques, un respect réel du Canadien pour sa base majoritairement francophone et les talents québécois, un effet d’entraînement sportif pour un plus grand nombre de jeunes.
Comment y arriver sans se faire avoir.
Demain: argent public et hockey
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(Transparence totale: J’ai auto-plagié une partie de ce billet de ma chronique Nordiques: Opération Résurrection, d’octobre 2007.)