Hockey et identité (2) Argent public, oui, arnaque, non !

C’est maintenant officiel. S’il y a de l’argent public dans le futur Colisée de Québec, il sera doublement québécois: de la ville et de la province. Mais pas canadien. Harper a dit Niet. Si les électeurs de Québec veulent que leur part des impôts fédéraux servent à l’amphi et aux futurs Nordiques, une seule solution: l’indépendance du Québec.

Et la question revient: faut-il mettre des sous des contribuables dans un tel projet? L’État québécois dépense à lui seul plus de 600 millions de dollars par an pour la culture, les artistes, les musées, l’opéra. Je suis pour. La culture ne peut pas s’autofinancer. Même nos films les plus courus seraient déficitaires sans aides publiques, car notre marché est trop petit pour absorber tous les coûts.

kent-nagano-montreal-canadiens-781355-150x150L’État investit près de 260 millions dans la construction d’une nouvelle salle pour l’Orchestre symphonique de Montréal. Quelque 1 900 mélomanes pourront y prendre place. Bravo. C’est de la culture avec un grand « C ».

Mais pourquoi les 14 000 partisans des Nordiques (l’assistance moyenne à leurs matchs, à l’époque) n’ont-ils pas droit à une somme équivalente pour construire l’aréna qui pourrait faire revenir leur équipe ? Pourquoi est-il interdit d’investir dans la culture populaire avec un grand « P » — ou avec un grand « H » ou un grand « N », en l’espèce ?

Investir, oui, se faire avoir, non !

On répond ces jours-ci que la différence entre les Nordiques et l’OSM tient au profit. L’OSM n’en fait pas. PKP, lui, en fera. Certes, maisdans le reste de la culture subventionnée — cinéma, télé — les producteurs privés partent aussi avec une partie de la caisse publique.

Mais je m’emballe. Alors je me résume. Comme je l’indiquais hier:

1. Le retour à Québec des Nordiques serait un bien commun considérable pour tout le Québec
2. La prise de conscience par le Canadien de son rôle identitaire est une urgence
3. Le regain d’intérêt pour le hockey chez les jeunes québécois vaut mieux, pour les faire jouer dehors, que cent campagnes anti-obésité
4. L’utilisation, sensée, de fonds publics pour atteindre ces objectifs ne pose pas de problème de principe
4. On ne veut pas se faire avoir par les promoteurs

Je pose donc comme principe que l’investissement public dans le sport national québécois est un moyen envisageable — si on ne peut atteindre nos objectifs par d’autres moyens — mais que les Québécois doivent être collectivement présents à la fois dans la colonne investissements et dans la colonne profits.

Pour Québec, le problème réside évidemment dans la distinction faite entre l’amphithéâtre et l’équipe. Les contribuables paieraient pour l’amphi, PKP partirait avec les profits de l’équipe. Euh… pas exactement. Puisque la Caisse de dépôt possède 45% de Quebecor Média, qui auraient les droits de télédiffusion des Nordiques, une partie de l’argent imprimé reviendrait à la Caisse, donc aux Québécois.

Reste que je suis loin d’être convaincu que Québec fait la meilleure affaire possible dans ce dossier. Le chèque en blanc pour la construction de l’amphi me semble précipité et élevé.  L’arrimage entre les futurs profits et l’investissement est indirect et, compte tenu des possibilités d’échappatoires entre les filiales Quebecor, incertain.

Quoique nous différions sur plusieurs points, je reprends à mon compte les questions posées par mon collègue Pierre Duhamel, dans sa Lettre à mes amis de Québec, de vendredi:

Faut-il un amphithéâtre tout de suite pour des Jeux olympiques qui auraient lieu, en cas de miracle, en 2022, et plus plus vraisemblablement en 2034 ?

Si c’est pour une équipe de hockey et l’organisation de spectacles, en quoi serait-il déraisonnable de demander à l’entreprise qui deviendrait propriétaire de l’équipe et au promoteur qui utlisera l’équipement de devenir propriétaires, en tout ou en partie, du nouveau Colisée et de rembourser les fonds publics ?

Le maire Labeaume et le premier ministre Charest veulent distinguer le financement dans l’amphi et la venue des Nordiques. Que la ville de Québec ait un amphi digne de ce nom, c’est essentiellement son affaire et les contribuables québécois ne devraient pas contribuer de façon exceptionnelle à ce projet.

Lorsque (si) Québec devenait officiellement la ville hôte des Olympiques d’hiver, cela serait différent, et pour Québec et pour Ottawa.

Le bien commun que j’identifie comme considérable est, spécifiquement, la venue des Nordiques. Il serait envisageable, là, et là seulement, que les contribuables soient davantage impliqués. Alors, il faudrait à mon avis poser la question de l’investissement public dans l’équipe et dans son amphi, et la question du retour sur investissement public de l’équipe et de l’amphi.

Sinon, et comme c’est engagé, nous sommes dans un exemple classique de socialisation des pertes et de privatisation des profits. Donc, dans une arnaque.

Le Canadien, un market failure, une approche graduée

D’un strict point de vue d’affaires, aurait-il été préférable que les vendeuses de chez Eaton, dans les années soixante, acceptent de parler français à leurs clientes, dans un marché majoritairement francophone ? Évidemment.

De même, les majors américains se sont battus becs et ongles contre la loi québécoise les forçant à présenter le même jour au Québec des versions françaises et anglaises de leurs films. (Ils avaient menacé de retirer Star Wars de nos écrans!) Pourtant, une fois la mesure appliquée , leur part de marché a augmenté.

C’est ce qu’on appelle un market-failure, une incapacité de la main invisible du marché de reconnaître son véritable intérêt. En l’espèce, l’anglicisation du Canadien de Montréal est à la fois une insulte à son public et une idiotie pour l’entreprise.

Au moment du rachat de l’équipe par les frères Molson, on a fait grand cas de la francophilie des acheteurs. En rétrospective, on voit qu’il s’agissait d’une pure opération de communication. Et on trouve dommage que l’achat se soit fait sans l’offre de prêt du gouvernement de Québec, deux leviers qui auraient pu peser sur les orientations linguistiques de l’équipe.

Je serais cependant curieux de savoir si le Fonds de solidarité des travailleurs de la FTQ, qui est propriétaire minoritaire des Canadiens à hauteur de 50 millions $, a fait quelque représentation que ce soit au sujet des pratiques linguistiques du Canadien. (Je suis d’autant plus intéressé que je suis personnellement actionnaire du Fonds, dans mon REER.)

Je note cependant que l’autorité politique québécoise n’a jamais seulement demandé aux propriétaires et aux dirigeants du Canadien de modifier leurs politiques. Ces derniers n’ont jamais été convoqués au bureau du Premier ministre pour s’expliquer.

Je me souviens du jour de 1998 où nous avions appris que les grands magasins du Centre-ville avaient décidé d’abandonner l’affichage unilingue français pour introduire de l’anglais (avec le français prédominant). C’était leur droit. Mais Lucien Bouchard les a convoqués en fanfare à son bureau et ce mouvement a été stoppé net. Il leur a fait honte. (Il était très bon là-dessus.)

Que devrait demander Jean Charest (peut-être avec l’appui d’une motion l’Assemblée nationale) aux frères Molson ?

1. De repêcher, à compétence égale, des joueurs québécois;
2. De démontrer un effort réel pour enseigner des rudiments de français à ses joueurs et administrateurs;
3. D’établir la nette prédominance du français dans les communications à l’intérieur du Centre Bell.

Et s’ils disent non ?
Alors qu’on envisage une prise de participation de l’État québécois dans la propriété de l’équipe, genre de Golden Share (invention de Margaret Thatcher) qui donnerait au représentant de l’État voix au chapitre de manière très balisée, sur les politiques générales, y compris sur la cession de l’entreprise.

Je gage que la simple discussion de cette possibilité rendra son exécution superflue…

Voilà ce qui me semble faisable, dans l’état actuel du jeu. Il me reste encore à vous dire ce que j’estime optimal pour l’avenir de nos deux équipes.

Demain: Pourquoi pas une participation populaire ?

Hier: Hockey et Identité: Ce qui est souhaitable.

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À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !