Hommes blancs médiocres

Édith Cresson fut nommée, en 1991, première femme à accéder à la fonction de première ministre de la République. Elle fut renvoyée pour incompétence caractérisée. Un jalon venait d’être franchi dans la quête de l’égalité des sexes. Compte tenu du nombre d’hommes blancs médiocres ayant occupé cette fonction auparavant, n’était-il pas temps qu’une femme blanche médiocre puisse également y sévir ?

Les réjouissances doivent être assombries, cependant, pour cause de brièveté de mandat : 10 mois et 10 jours. Un record battu cette année par la première ministre britannique Liz Truss, dont l’incurie n’a pu se déployer que pendant 45 jours. Dans l’échelle du progrès de l’égalité, on peut donc noter que la médiocrité atteint désormais le sommet, peu importe le sexe (manque encore la couleur de peau et l’orientation sexuelle). Mais puisque l’incompétent Boris Johnson a, lui, mal gouverné le pays pendant trois ans, le biais systémique en faveur des hommes blancs médiocres est toujours actif, du moins pour ce qui concerne la durée.

On doit remercier la professeure de sciences politiques à l’Université Laval, Sule Tomkinson, d’avoir introduit l’expression « homme blanc médiocre » dans notre conversation nationale cette semaine. N’allez pas dire que les intellectuels n’ont pas d’influence sur la cité. Le thème est en vogue dans les milieux féministes depuis la parution il y a deux ans du livre Mediocre. The Dangerous Legacy of White Male America, de Ijeoma Oluo. La thèse se défend aisément. Le nombre d’idiots mâles et pâles qui ont peuplé les gouvernements, déclenché des guerres absurdes, vendu des produits dangereux, refusé des progrès élémentaires, provoqué faillites, oppressions et destructions est proprement incalculable. À l’inverse, une statistique s’impose : faire émerger nos élites à partir de 100 % de la population, donc incluant femmes et minorités, plutôt que de moins de 50 % garantit mathématiquement une plus grande qualité intellectuelle aux sommets.

Certes, des hommes blancs géniaux se sont imposés. George Washington, Thomas Jefferson, les Roosevelt, pour rester aux É.-U. Mais, au hasard, pas Donald Trump. De même, des hommes blancs non médiocres ont aboli l’esclavage, institué le suffrage universel, reconnu le droit de vote des femmes, entre autres progrès humains. Mais je m’égare.

Nous sommes dans le siècle de la montée en puissance des femmes et j’ai toujours été favorable aux politiques qui assurent une accélération de la tendance. Voilà ce à quoi servent les programmes d’accès à l’égalité en emploi : à accélérer le processus. Si les femmes occupent aujourd’hui la moitié des sièges dans les conseils d’administration de l’État québécois, c’est qu’en 2006, le premier ministre Jean Charest a inscrit cet objectif dans la loi et l’objectif fut dépassé en cinq ans, une préférence à l’embauche ayant été donnée aux femmes, à compétence égale.

Cliquer pour infos et abonnement

Était-ce vraiment le cas, demande-t-on ? Comment se fait-il qu’en cinq ans, on ait découvert qu’existait un bassin de femmes assez compétentes pour occuper ces fonctions ? Quelques médiocres ne se sont-elles pas faufilées dans le lot ? Ma réponse : je n’en ai pas le moindre doute. Mais compte tenu du nombre d’hommes blancs médiocres désignés à ces postes précédemment, voilà un coût de transition tout à fait raisonnable. Et puisqu’il nous force à choisir des hommes dans un bassin moitié moins grand, nous avons la certitude que moins d’hommes médiocres seront choisis qu’auparavant. Bref, en moyenne, le niveau monte.

Évidemment, toute bonne idée poussée à son extrême devient folle. Nous y sommes lorsque les généreuses chaires de recherche du Canada sont désormais assujetties à des critères tels qu’en sont désormais exclus des candidats qui ont le tort de s’auto-identifier comme hommes blancs. C’était le cas pour une chaire en histoire de l’Université Laval, qui ne sera d’ailleurs occupée par personne, car aucun candidat non blanc de qualité ne s’est manifesté. L’historien, auteur et prof de cégep Frédéric Bastien a déposé une plainte devant la Commission des droits de la personne du Québec et du Canada contre l’Université Laval et le Programme des chaires pour discrimination, car il n’a même pas eu le droit d’y poser sa candidature. Sa plainte serait irrecevable si le programme avait privilégié, même à 80 %, l’embauche de non-Blancs dans le but d’atteindre une juste représentation d’ensemble. Mais à 100 %, la coupe est, disons, pleine.

La professeure Sule Tomkinson, précitée, a réagi à cette plainte par ce tweet : « Je vous souhaite à tous de commencer votre semaine avec l’état d’esprit d’un homme blanc médiocre qui est convaincu qu’il mérite une chaire de recherche du Canada alors qu’il n’a publié que quelques livres non évalués par des pairs. » Mme Tomkinson est une enseignante primée, dont, apprend-on, « les pratiques en matière d’enseignement sont axées sur l’ouverture ». M. Bastien et plusieurs internautes ont jugé que l’accusation d’homme blanc médiocre semblait un tantinet éloignée de la définition généralement acceptée de l’ouverture. La professeure a fourni la non-excuse classique — elle est « désolée » que Bastien se soit « senti visé » — et son message était, au moment où ces lignes étaient écrites, toujours sur son fil. Est venue à sa rescousse une autre enseignante, en géographie, de l’Université Laval, Adèle Garnier. Elle a enrichi le débat en écrivant que Bastien et ses soutiens étaient « méchants », « jaloux », « vieux » et « moches ». Le tweet a été retiré, mais pas avant qu’une des personnes visées, Mathieu Bock-Côté, ne réplique qu’il n’était, lui, ni jaloux ni vieux.

Ayant oeuvré dans le milieu universitaire pendant une dizaine d’années (2003-2012), je puis attester qu’il est désormais impossible pour un homme blanc médiocre d’obtenir une chaire de recherche, tant les exigences universitaires sont devenues lourdes. Mais on est forcé de constater que, même en 2022, des femmes blanches enseignant à notre belle jeunesse dans une université québécoise se permettent d’étaler publiquement des arguments indubitablement médiocres.

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir)

Versions numériques et AudioLivres disponibles.

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *