« La patrie est un projet commun, une création continue de nos efforts solidaires […]. Être ensemble est une orchestration infiniment complexe, dont le chef invisible est la conviction partagée que cet ensemble existe, qu’il a un sens à travers l’histoire, qu’il nous faut y être attentifs afin qu’il ne se relâche pas […]. Le plus grave désastre qui puisse menacer un peuple, c’est l’indifférence de ses membres à la forme de son avenir. »
Cette prodigieuse citation est de Pierre Emmanuel, poète et académicien français. Elle fut choisie par Camille Laurin et Fernand Dumont pour ouvrir, en 1978, leur Politique québécoise de développement culturel. Ce document devait, après la Charte de la langue française, établir un second pilier de l’affirmation de l’identité québécoise, incluant une politique de vivre-ensemble qu’ils appelaient la convergence culturelle. Une oeuvre, à ce jour, inachevée.
Je prends prétexte de la fête nationale que nous venons de célébrer pour tenter de dessiner les contours de l’orchestration infiniment complexe qu’est l’identité d’une nation. C’est une définition que je peaufine depuis plusieurs années. Je suis heureux de vous présenter l’état de mon brouillon aujourd’hui.
Il n’est pas suffisant de dire que nous ne nous reconnaissons pas dans le projet postnational de Justin Trudeau et des siens. Ou de nous décrire en opposition aux Américains, aux Britanniques ou aux Français. Au-delà du fait de constater que nous avons un passé, un présent et un avenir qui ont un sens, une identité qui nous définit et nous soutient, que nous ne sommes pas que des individus, mais une nation, tout reste à dire…
Comment décrire plus précisément, et forcément imparfaitement, ce que, dans Option Québec, René Lévesque appelait notre « différence vitale » ?
D’abord, il y a des évidences, le Québec forme une nation sur son territoire. Le Québec a une langue officielle et commune, le français, et tous les habitants sont appelés à l’apprendre, à la connaître, à la partager. Le combat pour la défense de cette langue est un élément permanent de notre existence. Le Québec s’est incarné dans une très riche production culturelle principalement francophone qui exprime à la fois ses origines, son évolution et ses métissages. Tous les étudiants québécois devraient en connaître les oeuvres essentielles.
Nos racines culturelles sont françaises, nos institutions britanniques, notre mode de vie américain, autant de traces inscrites dans un récit historique riche et singulier, toujours en devenir. La connaissance de ce récit fait ou doit faire partie de l’expérience d’une citoyenneté québécoise commune.
Il y a notre attachement à notre immense territoire. Nos enracinements locaux. La fierté d’être Gaspésien, Beauceron, d’Abitibi ou du Lac. Il faudrait les nommer toutes. La fierté des gens de Québec, ville d’histoire et d’avenir. L’extraordinaire laboratoire permanent d’idées, de rencontres de cultures et de création qu’est Montréal.
On y trouve le coeur de notre minorité historique, anglophone, tantôt rivale, tantôt partenaire dans la construction de la métropole et du Québec, et la vivacité de Québécois d’adoption de tous horizons investissant la vie et la culture québécoise de leurs apports.
Sur ce territoire vaste, riche et vivant, depuis Champlain, notre premier et peut-être notre plus grand héros, nous avons voulu tisser avec les nations autochtones des relations d’amitié et de respect mutuel. Il y a eu des reculs. Des cicatrices profondes qu’il nous appartient de panser ensemble pour mieux préparer l’avenir. Mais de la Grande Paix de 1701 à la paix des braves de 2002, il y a une volonté de vivre côte à côte, dans un échange mutuellement bénéfique. L’identité québécoise doit beaucoup à son empreinte autochtone, en particulier notre goût précoce de la liberté et notre rapport au territoire. J’ai la faiblesse de penser que les nations autochtones ont, aussi, une empreinte québécoise. Il leur appartient, à elles seules, de la constater et de la nommer.
Le goût du voyage est un de nos traits identitaires. Des explorateurs et coureurs des bois qui ont sillonné et nommé le continent, aux missionnaires oeuvrant en Afrique et en Asie, aux coopérants, exportateurs, artistes et aux simples voyageurs, les Québécois sont des globe-trotters et veulent, ailleurs, laisser leurs traces.
Il y a ensuite notre attachement particulier à des valeurs universelles :
Le Québec n’est pas le seul lieu où l’égalité entre femmes et hommes est un acquis précieux (et encore incomplet). Mais, à cause de notre histoire, ce désir d’égalité est exprimé intensément et fait partie de notre identité fondamentale ;
Le Québec n’est pas le seul lieu où on trouve un fort élan d’entraide et de concertation, aux côtés de l’esprit d’entreprise. Mais notre statut de minorité a fait de ces approches d’action et de décision des éléments structurants ;
Le Québec n’est pas le seul lieu où la quête de justice sociale se déploie. Mais la marche d’une population francophone qui, avant la Révolution tranquille, était sous-payée et socialement déclassée, vers une société moderne d’une grande mobilité sociale et exigeante pour viser l’équité sous toutes ses formes, fait de cette quête un trait saillant de notre vie collective.
Le Québec n’est pas le seul lieu où la volonté démocratique est présente. Mais des patriotes qui font voter dans tous les villages 92 résolutions réclamant davantage de démocratie, en passant par l’obtention du gouvernement responsable, jusqu’aux lois sur la démocratie de René Lévesque et de Robert Burns, des avancées plus récentes dans l’assainissement de nos pratiques politiques et des débats persistants sur la recherche d’un mode de scrutin plus équitable, notre engagement pour la démocratie est indissociable de ce que nous sommes.
Le Québec a inscrit, dans son identité moderne, une marche vers davantage de laïcité, enchevêtrée au combat pour l’épanouissement des femmes.
Voilà pour l’essentiel ce qui, je pense, dessine l’identité québécoise. Voilà ce qui devrait être le socle sur lequel la « convergence culturelle » souhaitée par Laurin et Dumont devrait conduire. État de droit et société de droits, cette identité admet le droit à la critique, à la dissidence, au non-conformisme, évidemment. Identité n’est pas et ne doit pas être unanimité. La description de l’identité québécoise doit, il me semble, être à la fois affirmation désinhibée de soi et invitation au vivre-ensemble. Elle n’est ni canadienne, ni américaine, ni européenne, ni meilleure, ni pire que celle des autres démocraties avancées. Elle doit être, simplement, québécoise. Et mériter le respect. D’abord de soi.
(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)
. Au premier chef, obtenir une modification de la loi 99 (2000) de manière à ce que soit reconnue la nation canadienne-française, française de langue et de culture, et que lui soient accordés en conséquence droits, appuis et protection de la part de l’État du Québec. Cette modification devrait prendre la forme d’un nouveau considérant : CONSIDÉRANT l’existence de la nation canadienne-française, fondement du peuple québécois, nation de langue et de culture française, jouissant de droits consacrés issus du Canada de la Nouvelle-France, et notamment du droit d’aménager l’espace juridique, politique, institutionnel et public du Québec de manière à lui permettre de refléter son identité nationale, à pouvoir la transmettre et à la faire s’épanouir;
Le jour où j’aurai mal à mon identité québécoise, je relirai ce texte vivifiant. Si un jour on se dote, arrimés à un vouloir collectif , d’un pays bien à nous il se trouve dans ce texte quelques strophes d’un futur hymne national.